« Pourquoi es-tu devenu un traître, papa? »

Pourquoi es-tu devenu traître, papa?

Enfant de salaud (Sébastien Gnaedig – Isabelle Merlet – D’après le roman de Sorj Chalandon)

En mai 1987, Sorj Chalandon est envoyé à Lyon par son journal pour couvrir le procès du nazi Klaus Barbie, accusé de crimes contre l’humanité. L’événement est retentissant, car Barbie est enfin jugé en France après avoir vécu des dizaines d’années sous une fausse identité en Amérique du Sud. Afin de préparer ce procès, Sorj Chalandon se rend dans un petit village du département de l’Ain. Le journaliste veut voir de ses propres yeux la maison des « enfants d’Izieu ». C’est là, dans cette bâtisse transformée en colonie de vacances pendant la guerre, que celui que l’on surnommait « le boucher de Lyon » a commis l’un de ses pires méfaits. Le 6 avril 1944, alors qu’il dirige la Gestapo de Lyon, Klaus Barbie procède sans aucun état d’âme à l’arrestation de 44 enfants et 7 adultes, tous Juifs, avant de les faire déporter. Quasiment tous mourront à Auschwitz-Birkenau. En quittant la maison d’Izieu, qui avait longtemps été un havre de paix pour ces pauvres enfants, Sorj Chalandon se dit qu’il aurait bien voulu que son père soit là avec lui. « Pas pour te coincer dans un coin du grand réfectoire, te faire dire la vérité ou t’obliger à regretter ce que tu avais fait. Mais tu aurais pu m’aider à savoir et à comprendre. » Car au grand désespoir du journaliste, son père a choisi de rejoindre les Allemands plutôt que les combattre, allant même jusqu’à porter l’uniforme allemand. Comme le lui a confié un jour son grand-père, son paternel était « du mauvais côté » pendant la guerre, ce qui fait de Sorj un « enfant de salaud ». Ces mots terribles le poursuivent depuis lors. « Pourquoi es-tu devenu un traître, papa? », se demande-t-il. Parallèlement au procès Barbie, que son père suit assidûment avec une curiosité presque malsaine, le journaliste décide de crever l’abcès une fois pour toutes. Il mène l’enquête pour enfin faire toute la lumière sur le passé de collabo de son père. Mais même en confrontant celui-ci à ses mensonges et ses contradictions, dossier pénal à l’appui, cet homme colérique et provocateur demeure un mystère pour son propre fils.

Pourquoi es-tu devenu traître, papa?

Sébastien Gnaedig était certainement l’auteur de BD idéal pour adapter « Enfant de salaud », le roman de Sorj Chalandon paru en 2021. Il y a quelques années, c’était déjà lui qui avait signé la magnifique version graphique de « Profession du père », l’autre livre de Sorj Chalandon consacré à sa relation compliquée avec son paternel. Dans ces deux adaptations dessinées, Sébastien Gnaedig représente le père du romancier avec une moustache, des lunettes, un regard noir et un chapeau mou. Or, comme le souligne Sorj Chalandon dans la préface de cette nouvelle BD, « mon père ne portait pas de moustache, avait le regard bleu acier et jusqu’à la fin de sa vie, portait des lunettes en cachette pour nous faire croire qu’il ne vieillissait pas ». Et pourtant, Sébastien Gnaedig parvient tellement bien à saisir l’essence même de la personnalité tellement complexe du père de Sorj Chalandon, en s’appuyant sur les mots puissants et précis du romancier, que ses personnages sont d’une sincérité et d’une authenticité absolues. « C’est bien mon père que Sébastien a dessiné, c’est bien lui qu’il a mis en scène », confirme l’écrivain. « Lorsque je ferme les yeux, je vois son vrai visage. Lorsque Sébastien ferme les siens, c’est ce bonhomme inquiétant qui surgit. Et cela me va. A tel point que, dix ans après sa mort, les deux visages finissent par se confondre. Et souvent, c’est celui dessiné par Sébastien qui l’emporte. Un personnage de papier, qui m’a éloigné de l’enfant trahi. » Ce magnifique hommage souligne à quel point Sébastien Gnaedig est parvenu à rester 100% fidèle à l’émotion particulière qui habitait Sorj Chalandon au moment où il couvrait le procès du monstre Barbie tout en cherchant la vérité sur le passé trouble de son père. Le dessinateur avait déjà réussi cette prouesse dans « Profession du père ». Mais si son « Enfant de salaud » est une adaptation encore plus forte, c’est parce que Sébastien Gnaedig a eu l’idée géniale de s’associer à la coloriste Isabelle Merlet. Ses couleurs donnent davantage de lumière, d’émotion et d’intensité aux planches de Gnaedig. Celui-ci ne s’y est d’ailleurs pas trompé, puisqu’il a ajouté le nom de la coloriste à côté du sien sur la couverture, ce qui reste plutôt rare dans le monde de la BD.


wallpaper-1019588
Vita de Julia Brandon : L’Art de la Rédemption à Travers la Souffrance