Incroyable mais vrai, un nouvel article sauvage apparaît ! Et pas des moindres puisqu'on vous parle enfin d'un livre de notre liste de 30 livres pour nos 30 ans qu'on a eu le plaisir de découvrir fin 2024 (oui y a un temps de latence entre lecture et chronique, que voulez-vous, on a parfois du mal à suivre !) à savoir : Moi ce que j'aime, c'est les monstres d'Emil Ferris ! En avant mauvaise troupe !!
Sous vos yeux ébahis, nous revenons donc pleines d'énergie et de bonne humeur (c'est archifaux, on a envie de tout brûler en ce moment.) pour vous parler bande-dessinée !
Moi ce que j'aime c'est les monstres c'était l'évidence même dans notre liste de BD à lire pour nos 30 ans.
Entre :
- le tapage médiatique à la sortie du tome 1
- les multiples chroniques de gens dont je crois les goûts (elles se reconnaitront)
- et les dessins d'Emil Ferris proprement époustouflants, rien qu'en feuilletant la briquasse, j'avais le pressentiment d'une lecture mémorable.
Et c'est bien évidemment l'annonce du tome 2 qui m'a fait réaliser que VRAIMENT, il fallait que je lise cette BD, nom d'un p'tit bonhomme.
Puces secouées, ni une ni deux, me voilà rendue en bibliothèque. Carte de prêt validée, sacoche de vélo alourdie d'un paveton graphique qui fait son pesant de cacahuètes direction un week-end de lecture pas piqué des hannetons !
Moi ce que j'aime c'est les monstres, ça parle de quoi ?
Ouuuulala, vaste question que celle-ci. On vous balance un petit résumé éditeur et on tente de vous dévoiler par touche l'histoire que nous raconte Emil Ferris sans trop en dire non plus afin que votre plaisir de lecture n'en soit pas gâché !
Alors ça dit quoi chez Toussaint Louverture ?
Alors on valide ? Méritait-il sa place dans la fameuse liste des 30 livres ?
Maiiiis, très certainement les ami.es ! Tout d'abord, parce qu'il m'a apporté ce que je recherche avec cette liste de livres, à savoir la découverte d'univers jamais vus, jamais lus, hypnotisants, déroutants. Le genre d'univers qui marque l'esprit, tout simplement !
Un récit dense et hors norme
J'ai tout d'abord adoré le fourmillement de détails, le soin apporté à la construction de chaque planche. Il nous a semblé que, pour une fois, le terme " roman graphique " (NE NOUS LANCEZ PAS SUR LE SUJET!!) conviendrait tout à fait pour désigner ce qu'est ce livre un peu ovniesque (on invente des mots, oui, on est chez nous ici, non mais oh!). Finalement, Moi ce que j'aime c'est les monstres, c'est presque un roman illustré plus qu'une bande dessinée traditionnelle. Ici pas de cases, des bulles oui, mais une construction à la fois éclatée et dont le chemin nous semble pourtant très clairement tracé pour l'œil. Les dessins évoluent librement dans des pages créées pour rappeler le journal intime d'une adolescente gribouillant sa vie, ses mal-êtres et ses questionnements.
Cette liberté des dessins s'accompagne d' un éclatement du récit en diverses ramifications créant le réseau de préoccupations de notre jeune protagoniste. Progressivement les fils narratifs s'enchevêtrent pour nous livrer une histoire dense et prenante. On suit les réflexions de Karen telles qu'elles lui viennent. S'entremêle son quotidien, son amitié passée avec Missy, les balades au musée avec son frère qui l'initie à l'art et un présent très sombre dans lequel la petite fille s'imagine en loup-garou détective chargé d'enquêter sur la mort suspecte de sa voisine, Anka.
Un récit sombre où le gris domine
La candeur et la grande imagination de Karen se heurtent parfois à la vraie vie, Emil Ferris nous laissant voir à travers le dessin une réalité toute autre que celle décrite par la petite fille dans le texte.
Le tout se déroule dans un Chicago des années 60 vérolé par la pauvreté, la prostitution et le racisme. En toile de fond, on entrevoit la grande histoire des États-Unis, on nous parle de l'assassinat de JFK, de celui de Luther King et à travers l'histoire d'Anka, on redécouvre l'Allemagne des années 30-40 avec son lot d'horreurs. Finalement, celui qui résume le mieux le lieu dans lequel se déroule l'intrigue, c'est encore Deeze, le frère ainé de Karen lorsqu'il dit des habitants du quartier qu'ils sont " tous arrivés ici par " l'express de ceux qui en chient " ".
Vous voyez l'ambiance, c'est pas le carnaval de Mickey et personne n'est ni tout noir ni tout blanc. Et c'est aussi un des intérêts de cette BD, la grande dualité qui anime chacun des personnages d'Emil Ferris et auxquels on ne peut, pour autant, pas s'empêcher de s'attacher.
" D'après Deeze, la vie c'est jamais tout bien ou tout mal, tout noir ou tout blanc. Pour lui, la plupart des choses, c'est comme les milliers de nuances dans les dessins au crayon. Pour maman au contraire, soit c'est bon, soit c'est mauvais. Je crois qu'ils ont tort. Pour moi, c'est comme sur une photo, on dirait vraiment des nuances, mais si on regarde de très près ce sont de minuscules points d'encre noire sur une parfaite page blanche. La seule façon de créer une image, c'est de mettre des points sur une page. "
Enfin, j'ai adoré l'hommage constant que l'autrice fait au pulp. Et ce, que ce soit à travers l'enquête sous imper beige de Karen qui rappelle les pulp de détectives et les romans noirs ou à travers les couvertures illustrées de magazines mêlant souvent horreur et érotisme. Certains monstres nous ont évoqué irrémédiablement les plus belles heures des monstres de la Hammer mais aussi la peinture romantique, au-delà des clins d'œils évidents qu'ils faisaient à la diégèse.
Rien de bien neuf à signaler sur cette BD, au-delà de ce qui a déjà été dit partout ailleurs avant nous. On vous invite en tout cas grandement à tenter l'expérience, même si ce ne devait être que pour le style graphique, ça en vaudrait la peine !
Et le tome 2 alors dans tout ça ?!
Eh oui parce que nous on a 5 ans de retard sur le tome 1 mais une fois qu'on a lu le 1, on se fait pas prier pour enchaîner sur le 2.
Alors graphiquement, avec ce tome 2, on reste sur un dessin toujours aussi impressionnant avec, tout de même, quelques pages qui nous ont donné la sensation de quelque chose de griffonné, comme un storyboard que l'autrice aurait voulu reprendre sans en avoir le temps... Ça sent un peu les éditeurs pressants vis-à-vis de l'artiste pour qu'elle termine le tome 2 tant attendu, mais on se trompe peut-être. La construction et le dessin s'en ressentent un peu par moment. Ne nous faites pas dire ce qu'on n'a pas dit, ça reste incroyable et hors norme mais il nous a semblé tout à fait perceptible qu'elle avait eu moins de temps pour vraiment peaufiner son travail comme elle avait pu le faire avec le premier tome. Certains croquis détonnent un peu du reste d'une manière étrange.... Mais rien qui n'affecte profondément le récit, ne vous en faites pas !
En termes de scénario, l'histoire avance très lentement dans ce second volet et c'est dans le dernier tiers que tout semble se bousculer pour nous livrer, une seconde fois, un cliffhanger qui nous donne terriblement envie de connaître la suite de la vie de Karen !
On a aimé les nouvelles thématiques explorées par l'autrice et le changement des préoccupations de notre chère Karen au fur et à mesure qu'elle grandit et passe de l'enfance à l'adolescence. On a également aimé le fait qu'au-delà de nos personnages, le monde autour d'eux, lui aussi, change. L'histoire des États-Unis, qui restait vraiment en toile de fond dans le premier tome, nous a semblé ici prendre plus d'ampleur, pour notre plus grand plaisir !
BREF, on a envie de dire qu'on a déjà hâte d'avoir la suite mais on a avant tout envie que l'autrice puisse travailler à son rythme pour qu'elle puisse continuer de nous livrer le travail le plus abouti qui soit et qu'elle soit surtout libre dans sa création et dans le temps que ça lui demande...