En deux mots
Lucie marche sur un fil. Un exercice d’équilibriste à l’image de sa vie, puisqu’après un vertige de l’amour de quinze jours avec Charles, un musicien, elle a vécu des décennies à attendre son retour. Pour son fils, elle a imaginé un mannequin pour pallier son absence. Mais un jour, le miracle se produit. La famille est à nouveau d’aplomb.
Ma note
★★★ (bien aimé)
Ma chronique
Le père absent, le faux père et le vrai père
Un homme retrouve tout à la fois son violon, son amoureuse et un fils. Françoise Dorner a imaginé un joli conte pour raconter une famille qui se crée après plus de vingt ans passés dans l’attente d’un père et mari.
Aux côtés d’Annie Fratellini, Lucie apprend à marcher sur un fil. Un exercice qu’elle réussit plutôt bien. Mais il faut dire qu’elle a de qui tenir. Son grand-père, Ernesto Walder, était appelé le « Magicien du vide » et se produisait un peu partout dans le monde. À Mulhouse, il avait rencontré Jeanne Grünn, dix-sept ans, et lui avait fait un enfant avant de poursuivre sa tournée triomphale. Il était revenu deux ans plus tard et, le temps d’engrosser à nouveau Jeanne, il repartait. C’est ainsi qu’elle se retrouva sans mari, mais avec deux filles sur les bras. La première trouva un bon parti à l’usine Peugeot, la seconde partit faire la fête avec un groupe de hippies et mis Lucie au monde, sans vraiment savoir qui était le père de sa fille.
Lucie, quant à elle, eut la chance de rencontrer le grand amour en la personne d’un beau musicien. Quinze jours d’une passion torride et un petit François en cadeau. Ce qui peut s’apparenter à pas de chance se reproduit. « Dans ma famille, on est filles-mères de mère en fille depuis trois générations. Ce n’est pas un choix ni une fatalité, juste un excès de confiance dans les hommes – disons, un manque de prudence. »
Alors Lucie veut conjurer le sort et ne veut surtout pas que son fils vive sans un père. Avec la meilleure photo de son amant, elle fait confectionner un mannequin et l’installe à la table familiale. Pendant des années, il fera office de père et de mari, même s’il n’a guère de sujet de conversation…
Le temps passe et François, qui n’est guère mélomane, décide de vendre le violon qui est resté là et qui prend la poussière. Outre des offres fantaisistes, un amateur qui a l’air sérieux, se présente.
« Sur le paillasson se tient le mannequin, en chair et en os. Chemise beige, blouson de daim, sourire poli, des rides en plus et des mèches blanches dans les cheveux moins longs, mais le regard est le même. Il tient un sac en plastique, qu’il glisse sous son coude gauche pour tendre la main à François. Le mouvement diffuse dans l’air confiné du palier Pour un homme de Caron.
— Bonjour, monsieur, enchanté. J’ai deux minutes de retard, pardon, je ne prends jamais l’ascenseur.
François n’en croit pas ses yeux. Son cœur bat dans sa gorge, son estomac se noue, il se mord les lèvres. Ne rien montrer. Faire comme si. Demeurer naturel. »
Ne disons rien des suites de cette rencontre pour vous laisser découvrir l’épilogue de ce court et stimulant roman servi avec l’humour de Françoise Dorner. La romancière – qui, rappelons-le est aussi comédienne et scénariste – fait de ce conte une réflexion sur la passion et sur l’absence, sur la persistance de l’amour et sur la possibilité d’une seconde chance. Alors la métaphore de l’acrobate sur un fil prend tout son sens. Il est certes fragile, mais il existe. Et peut servir ! En s’accrochant à cet espoir, il est tout à la fois possible de ne pas désespérer d’une situation difficile, faite de solitude et d’un sentiment de trahison, mais aussi de se construire un avenir. Tant qu’il y a de l’espoir…
NB. Tout d’abord, un grand merci pour m’avoir lu jusqu’ici ! Sur mon blog vous pourrez, outre cette chronique, découvrir les premières pages du livre et en vous y abonnant, vous serez informé de la parution de toutes mes chroniques.
L’Amour ne tient qu’à un fil
Françoise Dorner
Éditions Albin Michel
Roman
160 p., 17,90 €
EAN 9782226497741
Paru le 29/01/2025
Où ?
Le roman est situé principalement en France, à Paris, Mulhouse, Néris-les-Bains, Châteauroux et Keravel dans le Morbihan
Quand ?
L’action se déroule dans les années 1990.
Ce qu’en dit l’éditeur
À 28 ans, Lucie a connu deux semaines d’amour fou avec Charles, un musicien d’orchestre. Du jour au lendemain, il a disparu en lui laissant son violon, sans jamais donner de nouvelles. Quand leur enfant est né, elle a voulu qu’il grandisse
avec la présence de cet homme qui demeure la passion de sa vie. Alors elle a fait fabriquer, à partir d’une photo, un mannequin articulé qui partage leur quotidien. Jusqu’au jour où son fils passe une annonce pour vendre le violon. Et le vrai Charles sonne à la porte.
Avec toute sa sensibilité et son humour décalé,
Françoise Dorner tisse des liens magiques entre trois personnages irrésistibles, prêts à tout pour donner une seconde chance à une passion impossible.
Les critiques
Babelio
Lecteurs.com
Les premières pages du livre
« La première fois que j’ai posé le pied sur un fil, je me suis sentie chez moi. Mon corps a tout de suite trouvé son équilibre, et j’ai parcouru au moins trois mètres cinquante avant de me demander comment c’était possible. Annie Fratellini n’en revenait pas. Ce matin-là, j’étais passée lui rapporter à l’École du cirque les tenues de clown qu’elle me donnait à retoucher régulièrement, depuis qu’elle était en chimio. Entre deux perfusions, elle assurait le spectacle avec sa troupe, laissant ses béquilles en coulisse pour traverser la piste en étirant son bandonéon tel un serpent sans fin, comme si de rien n’était, dopée par les rires que déclenchait sa démarche chaloupée. Là, avec cette bienveillance intransigeante qui inspirait à ses élèves autant d’amour que de crainte, elle me regardait évoluer sur la corde à un mètre du sol.
– Incroyable ! On dirait que tu t’entraînes depuis des mois…
Je t’assure, ma Lucie, tu as ça dans le sang !
Elle ne croyait pas si bien dire. Dans ma famille, on est filles-mères de mère en fille depuis trois générations. Ce n’est pas un choix ni une fatalité, juste un excès de confiance dans les hommes –disons, un manque de prudence.
Tout avait commencé avec Ernesto Walder, le « Magicien du vide », comme disait la carte postale en noir et blanc où, dans l’entre-deux-guerres, on le voyait se faire cuire des œufs au plat sur un réchaud à tiges au-dessus des chutes du Niagara.
La petite Jeanne Grünn, dix-sept ans, avait couru l’applaudir en cachette quand il était venu manger ses œufs à Mulhouse, sa ville d’origine, sur un câble tendu entre deux tours du temple Saint-Étienne. Il l’avait remarquée en redescendant, parmi la foule enthousiaste. Il l’avait emmenée dîner à son hôtel avec un groupe d’admirateurs, puis l’avait invitée à monter dans sa chambre pour lui offrir une carte postale dédicacée. Quand il s’était mis à la caresser, elle avait fermé les yeux et s’était imaginée dans ses bras au-dessus du vide entre les tours du temple.
Elle le lui avait dit, alors il avait répondu avec une chaleur rassurante : « L’amour ne tient qu’à un fil, mais il ne se rompt jamais. »
Il était reparti le lendemain continuer sa tournée internationale, et elle était tombée enceinte. Reniée par sa famille et travaillant sur les marchés pour nourrir son bébé, Jeanne avait retrouvé l’espoir quand le funambule était revenu se produire à Mulhouse, deux ans plus tard. Elle lui avait présenté sa fille. Il s’était montré enthousiaste, fou de bonheur, et il avait recouché avec elle pour fêter l’heureux événement. Le lendemain, il s’envolait pour l’Amérique. Neuf mois plus tard naissait ma tante
Ernesto Walder n’a jamais redonné signe de vie, en dehors de ses exploits que Jeanne découpait dans les Dernières nouvelles d’Alsace, l’été, quand le journal consacrait une série aux célébrités natives de la région. Toujours rejetée par sa famille, elle avait élevé ses deux filles dans l’admiration du grand homme en photo. Elle leur racontait sans relâche sa merveilleuse histoire d’amour brisée par leurs méchants grands-parents. Elle disait qu’il faut pardonner : c’est la vie.
Un jour, entre deux gratte-ciel de Chicago, le fil d’Ernesto s’était rompu. Jeanne Grünn avait découpé une petite bande de tissu noir qu’elle avait collée sur le cadre en verre de la carte postale dédicacée. Quand ses filles avaient intégré l’usine Peugeot de Sausheim, elle avait enfin ressenti un sentiment de sécurité. Elle leur avait écrit une lettre : « J’ai fait mon devoir, mes chéries. Soyez heureuses. » Et elle s’était tiré une balle dans la tête.
Ma tante, un roc, a fait un beau mariage. Le sous-directeur de l’usine. Ma mère, elle, a quitté la chaîne d’assemblage pour suivre une bande de hippies mulhousiens dans un festival de rock en Irlande. Elle en est revenue enceinte de moi, incapable de se rappeler lequel des chanteurs du groupe Limerick était le père. Elle m’en voulait comme si c’était ma faute. S’étant fait recueillir par le Secours catholique qui lui avait trouvé un travail de petite main chez un fabricant de soutanes à Paris, elle m’a placée à cinq ans dans un pensionnat d’Ursulines, puis elle m’a fait interrompre mes études de lettres pour me former au métier sécurisant de couturière retoucheuse, qu’elle a exercé pieusement jusqu’à sa mort – tétanos causé par l’aiguille de sa machine à coudre. Sur l’affichette publicitaire collée chez le boulanger en bas de chez nous, Marthe Grünn et Fille fut remplacé par Lucie Grünn, seul changement notable dans ma vie.
À vingt-huit ans, je n’avais connu que trois hommes – relations aussi brèves qu’espacées. J’attendais trop de l’amour, sans doute ; ça le faisait fuir. Ils disaient que je cherchais le père.
Je m’étais vengée sur le groupe Limerick, déchirant leur poster en mille morceaux jetés aux chiottes. Bref, la seule figure masculine durable, dans le paysage, c’était ce mangeur d’œufs sur fil qui souriait sur sa carte postale encadrée au salon. Née de père inconnu, j’étais au moins la petite-fille d’un homme célèbre, même si tout le monde l’avait oublié. Le portrait de maman trônait désormais à côté de celui de mamie Jeanne, sur le buffet ; elles entouraient le funambule. Je pense que c’est à leur mémoire, pour les réunir à ma façon au-delà du temps et des destins ratés, que ce matin-là, à l’École du cirque, j’avais cédé à la tentation de monter sur un fil.
Annie était éblouie. D’autant que, l’air confus, comme pour m’excuser de ne pas mériter son admiration soudaine, je venais de lui raconter les origines de ma mère. Ernesto Walder était une légende dans le monde du cirque, je l’ignorais.
La famille Fratellini ne jurait que par lui.
– Vas-y, ma Lucie, refais un tour.
J’ai étendu les bras comme le Christ de mon pensionnat, et j’ai refait une traversée. Les mâchoires serrées pour maîtriser l’oscillation, compensant le déséquilibre par un déhanchement qui me procurait une exaltation inouïe, je me répétais, sans savoir pourquoi, la phrase grisante du Magicien du vide qui avait tracé le destin de ma grand-mère : « L’amour ne tient qu’à un fil. »
À mi-parcours, je suis tombée, la tête la première. On a craint une fracture du crâne, mais non.
Juste une commotion, un hématome multicolore et ce qu’ils appelaient, d’un air gêné, un « trouble du comportement ». Le plus embêtant, je dois dire, c’étaient mes doigts qui s’échappaient soudain, de temps en temps, pour déchirer un chemisier ou casser une fermeture éclair dans un accès de rage sans raison. Le médecin m’a prescrit une cure à Néris-les-Bains, la station thermale spécialisée dans les problèmes nerveux. Et c’est là que ma vie a basculé.
En face des fontaines, il y avait un kiosque à musique. Tous les après-midi, un petit orchestre s’y produisait pour distraire les curistes. Le premier violon était un bel homme aux cheveux bruns tirés en arrière, le regard charbonneux et des mains magnifiques, ardentes, aussi précises que passionnées. Il s’appelait Charles Cast.
À mon troisième gobelet d’eau thermale, nos regards s’étaient croisés et j’avais compris que c’était lui, l’homme de ma vie. Le romantique attentionné dont je rêvais depuis que j’étais toute petite. Celui qui me donnerait son nom, me rendrait heureuse comme dans les films et apprendrait la vie à notre enfant.
Le dimanche soir, dans la salle de bal du casino, il était venu vers moi.
–Pardon de vous déranger, mademoiselle, mais vous avez une façon rare d’apprécier Schumann.
J’ignorais qui c’était, mais j’avais remercié d’un air modeste. Il m’avait invitée à prendre le thé le lendemain. Je m’étais renseignée, entre-temps, et j’ai pu lui parler de l’émotion si particulière que me donnait la musique de Robert Schumann. Mes mots avaient l’air de lui plaire.
Sa main s’est posée sur la mienne, et nous avons fait l’amour le surlendemain.
Je n’en revenais pas. Tout était si fort, si beau, si simple. L’enchantement a duré deux semaines, et puis il a reçu un appel téléphonique.
– Je dois faire un aller-retour, ma chérie. Un imprévu. Je te confie mon Pharasius.
C’était son violon. Il ne m’a jamais quitté, lui.
Oui, je sais, je ressasse. Tu la connais par cœur, notre histoire. Mais les moments de bonheur, c’est comme les fleurs : si on ne les arrose pas, ils fanent. Et puis j’adore te parler de toi à la troisième personne. C’est comme ces couples qui se disent vous dans les vieux films.
Tu n’as pas encore lu ton journal, tiens.
Regarde ce que notre maire a dit par rapport à tous ces rats qui nous envahissent : pour s’habituer à vivre avec eux, il faut les appeler des « surmulots ». J’ai trop ri. On dirait une idée de notre fils. Peut-être qu’en réparant leurs ordinateurs, à la mairie, il leur ajoute des phrases dans les discours.
Tu penses à quoi, là ? Tu fais ton fier, je vois bien, parce que ta future belle-fille vient dîner avec ses parents. Tu te dis : enfin du monde, je vais pouvoir parader. Je ne sais pas comment te l’avouer, Charles…
J’hésite un peu à te montrer.
Mais non, je n’ai pas honte de toi. Simplement…je trouve que j’ai pris un coup de vieux, ces temps-ci. Tu ne t’en rends pas compte, mais nous ne sommes plus assortis comme avant…
Sans vouloir te vexer, vu de l’extérieur, j’ai peur que tu fasses davantage séducteur que chef de famille. Tu te rappelles la réaction de Nina, la première fois qu’elle t’a vu. Alors imagine la tête de ses parents, même si elle les a préparés – des charcutiers du Morbihan. Très catholiques, en plus. Peut-être que, pour éviter de les heurter, il te faudrait quelques années de plus…
Mais non, ne te braque pas. Je t’aime comme tu es. Je pense au bonheur de ton fils, c’est tout. Enfin, « au bonheur » …
À sa tranquillité, on va dire.
J’aurais préféré qu’il nous ramène une gentille, comme la petite Valentine du dessus, mais visiblement il préfère les pète-sec. On se demande de qui il tient.
Arrête, Kikou ! Tu as ton grattoir pour te faire les griffes ! C’est fou comme il devient, avec toi. Parfois, on dirait qu’il ne te reconnaît plus. Quinze ans, tu me diras…Il ne rajeunit pas, lui non plus. Tu n’as pas trop de soleil, ça va ? Je te rappelle que tu ne bronzes pas, Charles : tu craquelles. Et après, qui est-ce qui est obligé de te poncer ? Pardon, je t’embête. C’est parce que je suis inquiète par rapport à François. Depuis qu’il a décidé de se marier, il me fait peur. Il s’est mis en tête de me « resocialiser », comme il dit. Il veut que je sorte, que je rencontre des gens en dehors de mes clientes, que je l’accompagne à ses événements de la mairie de Paris, que je me crée des centres d’intérêt, que je noue des liens…
Il a peur que je déprime le jour où je me retrouverai seule avec toi. Mais c’est le monde qui me déprime, mon chéri. Toi, tu ne changes pas. Nous finirons comme deux petits santons de la crèche, tu veux ?
Longtemps, j’ai espéré que tu accéderais à une forme de vie, à force d’être aimé, comme un vrai Pinocchio. Mais c’est le contraire qui va se passer. Tu vas déteindre, Charles. Je vais bouger de moins en moins, rester blottie contre toi jusqu’à la fin des temps, peut-être même que je prendrai moi aussi la couleur de la cire et la consistance du latex, par amour, et ce sera bien.
Allez, hop, nous n’en sommes pas là ! Quinze heures : il faut que j’aille t’acheter du tissu. La promo se termine ce soir, au marché Saint-Pierre. Super 100 bleu nuit, ça te dit ? C’est ce qu’il y a de mieux pour un mariage. Je veux que le petit soit fier de toi.
J’y vais, François ! Quand tu auras fini sur tes écrans, joue un peu avec le chat, tu veux bien ?
Il n’arrête pas d’embêter ton père.
Lucie est partie depuis vingt minutes.
François regarde sa montre, anxieux. Il s’est arrangé pour qu’elle aille chez le marchand de tissus à l’heure du rendez-vous qu’il attend, mais elle est tellement imprévisible, en ce moment. Elle oublie tout. Si ça se trouve, elle va débouler au milieu de la négo en disant qu’elle est partie sans son chéquier.
Il l’a convaincue de vendre le Pharasius. Pour contribuer aux frais du mariage, officiellement.
En réalité, pour la forcer à couper enfin le cordon. Il a si peur qu’elle s’abîme complètement dans son passé, quand il ne sera plus là. Le violon de Charles Cast, ce nid à poussière qu’elle lui installe chaque soir entre les mains et le menton, fermant à demi les paupières pour fredonner le concerto de Schumann qu’il est censé jouer, c’est une première étape. Ensuite, il faudra bien s’attaquer au musicien lui-même. Mais inutile de le mettre sur Leboncoin, celui-là. Un mannequin de cire et latex, ça intéresse les gens quand ça représente quelqu’un de connu, comme au musée Grévin. Là, un violoniste de cure thermale qui n’existe même pas sur Google, il a cherché cent fois, personne ne paierait pour avoir ça chez soi.
Souvent, il a failli le déposer sur le trottoir et appeler les encombrants, mais il sait que sa mère ne s’en remettrait pas. Alors il attend. Il attend de lui donner un petit-fils pour descendre à la cave ce père de synthèse. Pas question qu’un autre gamin subisse la présence de ce fantôme articulé qui a son couvert en bout de table et son rond de serviette, lit Le Figaro, prend des poses dans son fauteuil Voltaire avec le chat sur les genoux, fume des pipes éteintes, dégage un parfum de lavande à la vanille (trois pulvérisations par jour de Pour un homme de Caron), donne des récitals virtuels et réclame des câlins, « Tu n’embrasses pas ton père ? »la phrase maudite de son enfance.
Les premières années, encore, ça allait. Bien sûr, ce n’était pas le genre à vous prendre sur les épaules pour jouer au cheval, à vous rouler dans les vagues ou vous apprendre le vélo, mais il y avait des compensations, pour ne pas dire des avantages. C’était cool d’avoir un père pas comme les autres, qui vous aimait en silence, ne buvait pas, ne gueulait jamais et ne risquait pas de vous abandonner en se barrant avec une autre femme — les exemples ne manquaient pas, chez ses copains. Certains se foutaient de lui, mais beaucoup l’enviaient.
Chaque fois qu’on disait devant lui qu’il était bien élevé, Lucie répondait avec une modestie fière : « Ça, c’est son père. » Comme, en rapport qualité-prix, elle était la meilleure couturière du quartier, les autres mères entraient dans son jeu.
Extrait
« Sur le paillasson se tient le mannequin, en chair et en os. Chemise beige, blouson de daim, sourire poli, des rides en plus et des mèches blanches dans les cheveux moins longs, mais le regard est le même. Il tient un sac en plastique, qu’il glisse sous son coude gauche pour tendre la main à François. Le mouvement diffuse dans l’air confiné du palier Pour un homme de Caron.
— Bonjour, monsieur, enchanté. J’ai deux minutes de retard, pardon, je ne prends jamais l’ascenseur.
François n’en croit pas ses yeux. Son cœur bat dans sa gorge, son estomac se noue, il se mord les lèvres. Ne rien montrer. Faire comme si. Demeurer naturel.
— C’est moi qui vous ai téléphoné hier soir, précise le visiteur en relâchant son sourire, comme le jeune homme demeure immobile dans l’embrasure de la porte. Je viens pour le violon, c’est bien ici ? » p. 32-33
À propos de l’autrice
Françoise Dorner © Photo DR
Françoise Dorner est née à Paris le 17 juin 1949. Elle est comédienne, scénariste, dramaturge et romancière. Jouant Les sales mômes d’Alphonse Boudard, créée le 23 septembre 1983, elle y rencontre Didier van Cauwelaert qui devient son compagnon. Sa pièce L’Hirondelle, écrite avec Jean-Claude Carrière, et Le Parfum de Jeannette, lui ont valu le Prix du Jeune Théâtre de l’Académie française. En 2004, elle reçoit le Prix Goncourt du premier roman pour La Fille du rang derrière, salué par la critique en France mais aussi aux États-Unis. En 2006, La Douceur assassine obtient le Prix Émile Augier et en 2011, elle reçoit le Prix Roger Nimier pour Tartelettes, jarretelles et bigorneaux. (Source : Wikipédia / Éditions Albin Michel)
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