
Au début des années 2000, Marvel a entamé une véritable transformation éditoriale et philosophique, après une période de crise et d’incertitude. Bien avant son rachat par Disney et l’essor des films de super-héros, Joe Quesada fut ainsi nommé rédacteur en chef de la célèbre Maison des Idées, tandis que le président Bill Jemas encourageait des productions inédites et audacieuses, destinées à bouleverser l'ordre établi et la conception même que les lecteurs avaient de leurs héros favoris. C’est dans cet esprit d’innovation permanente que Marvel fit appel à des auteurs venus d’horizons variés, souvent éloignés du circuit traditionnel de la bande dessinée super-héroïque, pour concevoir des projets originaux aux résultats inégaux, mais qui ont le mérite d'exister. Parmi eux, le regretté Robert Morales—qui prendra ensuite brièvement les rênes de la série Captain America—et Kyle Baker collaborèrent en 2003 pour la mini-série Truth: Red, White & Black. Toujours inédite en version française librairie, cette histoire repose sur un procédé bien connu : une bonne couche de ret-con, qui consiste à introduire de nouveaux éléments pour modifier le passé d’un récit canonique. Steve Rogers y fait une découverte bouleversante : il n’a pas été le premier Captain America. Avant de lui administrer le sérum du super-soldat, l’armée américaine l’avait testé sur un groupe de soldats noirs, considérés comme des cobayes en raison de leur couleur de peau. L’expérience tourna au drame pour la plupart d’entre eux, et seul Isaiah Bradley en réchappa. Un personnage qui est aussi le grand-père de Elijah Bradley, que vous avez peut-être rencontré en tant que Patriot, dans la série consacrée aux Young Avengers de Heinberg et Cheung. L'album s'ouvre à l'occasion d'une fête foraine en 1940, à New York, qui décide de consacrer une "semaine nègre" à ses visiteurs. Tout un programme. D'emblée, Isaiah et Faith, son épouse, se heurtent au racisme ordinaire d'une population qui n'a nullement envie de voir la communauté noire bénéficier des mêmes droits et loisirs que les blancs. Tous les personnages "de couleur" de cette histoire sont les victimes de ce déclassement scandaleux qui fut pendant très longtemps une ségrégation tout ce qu'il y a de plus officielle au pays de la Liberté, majuscule de rigueur. Liberté d'être cantonnés au statut de sous-homme, de chair à canon, de soldats sur qui pouvoir expérimenter en paix ?


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