Sibylline – Chroniques d’une escort girl (Sixtine Dano – Editions Glénat)
A seulement 19 ans, Raphaëlle débarque à Paris pour y démarrer des études d’architecture. Durant ses premiers mois dans la capitale, elle mène une vie d’étudiante tout à fait normale: la journée elle assiste aux cours, la nuit elle travaille sur ses maquettes et ses projets, le soir elle sert des bières dans un bar pour arrondir ses fins de mois. Raphaëlle est une jeune fille joyeuse et sociale. Elle se fait donc rapidement des amis, notamment Leïla, qui devient sa confidente inséparable, mais aussi Julien, avec lequel elle entame une relation amoureuse, même si lui continue à voir d’autres filles en même temps. Bref, rien de vraiment exceptionnel. Sauf que la jeune provinciale découvre vite qu’à Paris, le coût de la vie est exorbitant, que ce soit pour se loger, pour boire un verre ou pour acheter du matériel pour ses études. Un jour, sur une application de rencontre, un homme plus âgé lui propose un rendez-vous tarifé. Dans un premier temps, elle refuse, un peu dégoûtée. Mais au bout d’un moment, comme l’argent reste un problème, elle finit par le recontacter et décide d’accepter sa proposition. Après tout, c’est de l’argent facilement et rapidement gagné. Évidemment, elle n’en parle à personne dans son entourage, sauf à Leïla, mais à partir de ce moment, Raphaëlle se rend régulièrement dans des hôtels parisiens sous le nom de Sibylline, son pseudo d’escort girl. Du coup, sa situation financière devient forcément plus facile: la boîte à musique qu’elle garde sous son lit est de plus en plus remplie de billets. Mais va-t-elle parvenir à mener cette double vie pendant longtemps? En acceptant de coucher avec tous ces inconnus souvent beaucoup plus âgés, ne vient-elle pas d’ouvrir la porte à tout un tas de nouveaux problèmes?
On a presque du mal à le croire en lisant cet ouvrage, mais « Sibylline – Chroniques d’une escort girl » est bel et bien la toute première BD d’une jeune autrice française qui s’appelle Sixtine Dano. Bien sûr, celle-ci ne vient pas de nulle part, puisqu’elle a étudié le cinéma d’animation à la célèbre école des Gobelins à Paris et a déjà travaillé sur des films, des clips, des pubs et des livres jeunesse, mais malgré tout, elle frappe fort avec ce premier roman graphique plein d’élégance. Dans « Sibylline », elle raconte le parcours extrêmement intime d’une étudiante qui tombe dans la prostitution. Il s’agit d’une fiction, mais tout à fait réaliste. Pour écrire son récit, l’autrice s’est inspirée de témoignages de véritables « escort girls » et « sugar babies », qu’elle a rencontré à Paris pendant plusieurs années. Le sujet est très dur, mais il est traité avec sensibilité et délicatesse par Sixtine Dano. Dans sa BD, la prostitution étudiante est abordée de manière nuancée, sans voyeurisme ni sensationnalisme. « Sibylline » se révèle être une réflexion intelligente sur la manière de s’approprier son destin en tant que jeune femme dans une société qui reste fortement marquée par le patriarcat et le capitalisme, particulièrement dans une mégapole comme Paris. C’est clairement un récit destiné à un public adulte, mais c’est aussi un roman graphique moderne et intense à ne manquer sous aucun prétexte si on aime la bande dessinée. Malgré son jeune âge, Sixtine Dano y fait déjà preuve d’une maîtrise parfaite du dessin et du scénario. Ce qui est fort, c’est qu’elle parvient à rendre son personnage de Raphaëlle / Sibylline aussi attachant que complexe, en montrant bien les blessures et les conflits intérieurs qui la travaillent. Et puis, ses dessins sont magnifiques, tandis que la mise en scène est elle aussi impeccable, avec beaucoup de rythme et de variété. On sent clairement l’influence de l’animation. On l’aura compris: Sixtine Dano est une autrice à suivre de près.
