Le petit cheval Tatar
Corinne Desarzens
Éditions la Baconnière
Roman
160 p., 19 €
EAN 9782889601615
Paru le 21/02/2025
Ce qu’en dit l’éditeur
Le petit cheval tatar ne parle ni de chevaux, ni de Tatars, mais il regarde bien au fond de l’œil, si profond qu’arrivent alors des histoires ophtalmologiques de l’Antiquité à nos jours, la déficience visuelle des peintres impressionnistes, la réticence de certains grands conquérants à se faire portraiturer munis de lunettes, la nécessité de déguster une fois au moins un œil de mouton, l’évocation magique des dessins médicaux et la folie qui guette Drogo, dans Le Désert des Tartares, en haut de sa citadelle à trop attendre d’enfin voir quelque chose passer.
Et, à l’instar des opérations fines du chirurgien rétinien Daviel, comme en incisions dans le texte, apparaît l’homme à la veste rouge qui joue à cache-cache avec la narratrice.
Ce texte nous emmène dans un voyage particulier autour du globe oculaire, comme Ella Maillart choisissait des chemins de traverse pour mieux phénoménaliser le monde.
Les critiques
Les premières pages du livre
« — Madame, avec une myopie comme la vôtre, mes patients gardent leurs lunettes même sous la douche.
L’ophtalmologue à l’air grec, en fait, est un ogre allemand passé par Liverpool. Il se tient penché, concentré, les mains posées bien à plat sur ses genoux écartés,
— Un cocktail où la myopie domine. Depuis l’âge de 8 ans, votre corps s’est adapté et l’œil droit a fait tout le travail.
Je n’ai même pas voulu savoir de quoi il se composait, ce terrible cocktail, ni comment il était possible de le dater. Il m’a suffi d’observer combien se tiraient les traits de l’ophtalmologue puis de l’optométriste, de celui, de celle qui sait. En outre, la rétine de mon œil gauche était déchirée.
— Me montrer sur l’écran ? Je préfère vous écouter, que vous me racontiez ce que vous avez vu.
Mettre des lunettes veut dire choisir de voir à un moment précis. Être au spectacle et oublier, nier le reste, autour. D’ailleurs les lunettes, en anglais, ne se disent-elles pas spectacles ? Isoler pour vivre encore plus fort. Ménager ses yeux pour ne retenir que ce qui compte. Un visage. Ton visage. Les grandes routes, le début du petit chemin et le numéro des quais. La signalétique pour trouver les toilettes. Les gestes de chaque jour. La cafetière et les œufs, Le fil et les ciseaux. L’encre, le marteau, l’eye-liner. La mer et les cailloux pointus. Les nuanciers et les dessins. Les virgules. Le soleil, la lune, le W de Cassiopée et ce que font les saisons aux feuilles des arbres. Les étiquettes des bouteilles de vin géorgien. Les enfants, les chats, l’orage et ce qu’il y a après. Les pages et le grand écran. Une auberge rouge, un renard et une buraliste. Un cheval blanc qui surgit de nulle part.
Faire autrement quand cela ne sera pas.
Vers ma trentième année, un essai de lentilles s’était révélé une catastrophe. Comment supporter de voir, tout le temps, dans le train et le bus, partout, avec une telle précision ? Les ourlets déchirés, les pores dilatés et la peau qui sue, les taches et les codes, les signaux et les interdictions ? Les envier, ces yeux si performants ? Sur la deuxième corniche, au purgatoire, les âmes des envieux ont toutes les paupières cousues d’un fil de fer.
Alors sous la douche, pensez, jamais je ne ferai ça.
Quant à la rétine, une intervention m’avait été proposée trois ans auparavant: introduire un gaz, reformer une sorte de pont pour combler la déchirure. Cela donnerait une belle courbe, sur l’ordinateur, mais ne ferait aucune différence, dans la vie courante. J’avais dit non et l’ophtalmologue m’avait serré, fortement, la main.
— Revenez me voir, Madame.
Or trois ans plus tard, alors que j’ai eu si peur du résultat de nouveaux examens, la situation est restée identique, aussi précaire que stationnaire. Comment expliquer que la vision floue me convienne et me protège ? Le risque fait partie de la vie. Le hasard aussi. Prendre une douche sans allumer me plaît même infiniment. L’ophtalmologue, toujours le même, a un bon sourire:
— Vous n’aurez pas besoin d’opération et vous pourrez continuer à conduire. Je lui aurais sauté au cou. Mais j’ai désormais une dette, envers le choix de la précarité et surtout envers ce bon sourire.
— Celui-là s’achète une forêt tropicale, tu te rends compte… Et lui, une île.
— Oh, tu sais, elles seront bientôt toutes sous l’eau, les îles.
Fermer les yeux, quelques instants dans le parc, c’est agréable, parfois, de laisser les bruissements et les bribes de conversation relayer la vue. Solliciter un autre canal pour un portrait sonore. En somme, tu fermes les yeux et tu es sauvé. Plus besoin de stratégies pour orienter ton regard, désormais, puisque dévisager signifie moins porter de l’intérêt ou accorder de l’attention que dénuder, un simple eye contact risquant de passer pour de la provocation.
— C’est quoi, votre chien ?
— Un berger australien. Un bébé, encore.
— Les haricots du supermarché viennent du Kenya. On dirait des crayons.
— Tu es malheureux ou pas tant que ça, au fond ?
— Fratello mio!
— Une île ? quelle île ?
— En Écosse. Sur la carte, en fait, Lewis et Harris forment deux îles en une, la seconde débordant légèrement sur la première. Par un étranglement, on passe de l’une à l’autre sans Quitter terre. Lewis a environ 60 kilomètres de long sur 40 kilomètres de large. Plus petite et montagneuse, Harris s’étend tout de même sur 24.000 hectares.
— Peut-être que tu l’aimais, voilà pourquoi tu sens rien.
— Comment ça ? Tu veux dire que celles qui pleurent le plus aux enterrements sont celles qui veulent se débarrasser de leur mari ?
— Jack! Aux pieds, Jack!
— Harris appartenait à un certain Panchaud. Mister Panchaud. Il habitait tout près d’ici.
— Kenzo! Eros! Buzz! La baballe, Buzz, elle est où la baballe ?
— Maman, regarde ! une coquille d’escargot ! — Touche pas, c’est sale!
— Garde-la, oh s’il te plaît, maman ! Garde-la, j’te dis! — Comment il s’appelle ?
— Tu sais, je pourrais m’acheter une voiture, mais je préfère investir sur moi-même. — Ah bon, comment ?
— Sur mon corps. J’aimerais des seins plus gros. Je vise un bonnet C, mais un D serait, visuellement, tellement mieux.
— Buzz!
— Jack ! Elle est où ?
Mieux vaut avoir l’air de dormir, si tu tiens à filtrer la suite.
À accéder, de manière indirecte pourtant matoise, à tout ce qui est brutal et délectable. De voir à la fois l’ange se lisser les ailes et le sniper essuyer le canon scié de sa mitraillette. Même si c’est révoltant. Laisser percoler. Accepter la condition implicite de ne pas intervenir, surtout ne pas s’en mêler, ni de la coquille ni du bonnet D. Ne t’emballe pas. Ne monte pas sur tes grands chevaux. N’essaie pas de jouer au plus malin en faisant remarquer que 67% des terres écossaises, jusqu’au milieu des années 1990, appartiennent à 0,025% de la population. Qu’un Russe, Pasternak, dit que le printemps est sale et boursouflé. Qu’il a tellement raison.
La jeune boue, la craquelure, un claquement de linge frais.
Le parc est silencieux, aujourd’hui. Ce n’est pas encore le printemps.
Quand le bibliothécaire de l’hôpital ophtalmique, au téléphone, m’a permis d’accéder à la bibliothèque des chercheurs et d’y venir aussitôt, par ce matin de neige, ceux-ci, tous en blanc, attablés lors de leur pause-café, se sont retournés d’un même mouvement : une feuille de papier soufflée par un courant d’air, l’aile d’un oiseau prenant son envol, une longue tablée, au mess, d’officiers en grande tenue.
Ils étaient tous là, dans leur habit de soirée, leur blouse de boucher, leur coton immaculé de chercheur, dans les effluves de café. Les demandes particulières sur rendez-vous étaient rares. Je revenais. D’un seul mouvement, chaque fois, ils se retournaient alors que le bibliothécaire m’accompagnait au sous-sol. Nous chuchotions, mais cela dérangeait sûrement les utilisateurs de la bibliothèque autant que de parler à haute voix. Alors nous sortions. Quand le bibliothécaire reprenait son poste, un doigt vertical sur les lèvres, il faisait défiler les portraits des chercheuses et des doctorantes, libanaises, iraniennes, italiennes, grecques, de graves et espiègles beautés aux yeux noirs, humides, limpides. Une clarté de pétales. Quoi qu’on puisse en penser, perdurent ces prédispositions à certains métiers : les Pakistanais règnent dans leurs kiosques, les Grecs excellent dans l’ophtalmologie, tout le Proche-Orient, particulièrement les Libanais, dans la chirurgie autant qu’en cuisine. Les Japonais se spécialisent dans les fantômes et ouvrent des bars avec des hiboux vivants. L’e-sport shoote les Sud-Coréens. Les Italiens, eh bien les Italiens ont les soirées inoubliables sur de petites places bordées de vieilles façades. Les visages défilaient. Le bibliothécaire ne parlait pas, mais son regard disait, qu’est-ce qu’elles sont belles. C’était vrai Elles étaient sublimes.
Qu’est-ce qu’on fait de toute cette beauté ?
Deux secrets font la célébrité de Lausanne: l’hôpital ophtalmique et le beffroi de la cathédrale, auxquels s’en ajoute un troisième, plus accessible, la cinémathèque. Je viens de vivre cinq ans dans cette ville et c’est au moment de la quitter que le désir vient d’en savoir plus sur la vision, leur point commun, tant que les yeux sont d’accord. Même un quatrième : le musée de la photo de l’Élysée, désormais situé dans un endroit ingrat, dont les deux dernières lettres de photo et les trois dernières du nom Élysée forment le verbe TO SEE.
La neige rend plus net, elle purifie, exigeante et festive.
Je rapporte, aussitôt essorés, les livres prêtés, que le bibliothécaire échange contre ceux qu’il a déjà mis de côté entre-temps. Chaque fois, l’intervalle entre ces deux moments diminue. Je tends une assiette propre qu’il regarnit. Il m’habitue au festin.
Ces matins-là, le lieu est une enclave pour comprendre, un moment bienfaisant et une cachette où se glisser, une diversion pour mettre la peine à distance et ne plus jamais avoir mal. Se plonger dans le récit d’une opération, quoi qu’on en dise et bien qu’on se défende d’une terrible issue, par là détournant la menace planant sur votre propre sort, électrise.
Je m’efforce d’oublier la petite pique de fer, sur les anciens bureaux, où s’embrochait, jour après jour, un feuillet avec une date dessus et souvent un proverbe dessous. Transpercés, inexorablement, les grands chiffres en noir des jours de la semaine et celui en rouge des dimanches.
Je me brûle les doigts, évite les planches anatomiques où s’étale cet œuf bizarre. Je tourne autour d’un pot de miel et m’approche le plus possible d’un abîme. »
Extraits
« D’une déficience visuelle naît une manière de peindre et d’abord une attitude. Le peintre ne reste pas passif, il réagir, se bat, maudit et persévère malgré sa piètre vision, compense par l’imagination ou l’habileté, modifie sa technique, change d’expression s’il le faut, se convertit à la sculpture, passe à la poterie. Il en fait quelque chose. Souvent, son acuité visuelle est déjà affectée bien avant, et s’il acquiesce à une correction, celle-ci n’a qu’une influence minime, voire nulle.
Sur mille six cent vingt-trois peintres, deux cent treize portent une correction : proportion pour le moins sujette à caution, il les faut dociles, résignés, ces peintres, pour l’admettre, l’apprivoiser. La myopie présumée des impressionnistes ? Elle devient un sujet. Ni Manet, Renoir, Pissarro ni Cézanne n’ont porté de lunettes. Renoir était même le premier à détecter le retour des bateaux au port, le soir.
Mais l’évolution sénile, indéniablement, influe sur le style, le Luca Signorelli dernière période diffère de ses débuts, tout comme celle du Titien, de Guido Reni puis de François Boucher. Les opérations surviennent tard et le résultat fait le grand écart.
Chacun vit une expérience particulière. Affecté par une dégénérescence du vitreux, Rodolphe Töpffer se tourne vers les dessins, les caricatures et la BD. À 50 ans, Pissarro cesse de peindre sur le motif, ce qu’il voit de derrière une fenêtre le contente et lui convient désormais très bien. » p. 35
« Albrecht Dürer (1471-1528): strabisme, il louche comme Giovanni Francesco Barbieri (1591-1666), dit précisément Il Guercino, the cross-eyed
Jean-Sébastien Bach (1685-1750) : douleurs, glaucome, opéré par le chevalier John Taylor, un escroc itinérant de haut vol
Georg Friedrich Händel (1685-1759) : également opéré par le misérable escroc
Edgar Degas (1834-1917): œil droit perdu en 1870 lors de la guerre franco-prussienne, scotoma ou tache maculaire à l’œil gauche, cesse de peindre à 57 ans
John Milton (1608-1674) : aveugle à 43 ans
James Thurber (1894-1961), auteur et caricaturiste au New Yorker : une flèche tirée par son frère dans l’œil
Andrea Bocelli (1958-) : aveugle dès 12 ans, un accident de football, à la tête
Ray Charles (1930-2004): glaucome, aveugle à 7 ans
Stevie Wonder (1950-): prématuré, rétinopathie
Galileo Galilei (1564-1642) : iridocyclitis dès 68 ans, cataracte, occlusion de la membrane
Marquis Guglielmo Marconi (1874-1937) : œil droit énucléé lors d’une collision de voiture, en 1912, entre La Spezia et Gênes, uveitis de la part du gauche, par sympathie… » p. 39-40
« C’est l’accueil glacial de Clemenceau et l’humeur à la fois charmante et plaintive de Monet qui attendent Mawas, un dimanche à Giverny. Je vois bleu, je vois bleu, psalmodie Monet, je ne vois plus le rouge, je ne vois plus le jaune; ça m’embête terriblement parce que je sais que ces couleurs existent ; parce que je sais que sur ma palette il y 4 du rouge, du jaune, il y a un vert spécial (.…), mais je ne les vois plus comme je les voyais dans le temps, et pourtant je me rappelle très bien les couleurs que ça me donnait.
— Mais comment savez-vous que vous peignez en bleu ? intervient Mawas.
— Par les tubes de peinture que je choisis. D’un bleu profond, envahissant toute la toile, sont Le Pont Japonais d’alors…
Mawas prescrit des verres teintés jaune/vert, les précurseurs des lentilles intraoculaires. Saisi alors d’une grande boulimie de travail, Monet s’y habitue, poursuit son cycle des Nymphéas. » p. 49
« Être le premier, le premier… C’est en fait une invention anonyme, mise au point par paliers. Commencer à faire des hypothèses prendra longtemps.
Si cela ne suffit pas, il faudra recourir aux lunettes: au moment de prescrire un collyre, Gui de Chauliac, devenu par la suite le médecin de trois papes, fait cette recommandation dans un ouvrage médical de 1303, insérant la plus ancienne mention des lunettes. Effervescence immédiate malgré une antériorité contestée par un ophtalmologue de Montpellier, puis par les archives d’un minuscule patelin où un compromis pour régler un différend aurait été signé, en 1282 déjà, par un individu chaussant des lunettes.
Les couvents italiens s’en mêlent tandis que le mystère s’épaissit même en y voyant plus clair. Ul n’y a pas encore vingt ans, dit frère Giordano de Rivalta dans un discours du 23 février 1305, qu’on a découvert l’art de faire des lunettes. À Pise, un lieu qui revient si souvent qu’il donne envie de couper court aux controverses, une chronique du couvent Sainte-Catherine relate la mort d’un certain frère Alexandre Spina, homme modeste et bon qui fit lui-même des lunettes dont l’inventeur ne voulait pas enseigner la fabrication ni communiquer de bon cœur les procédés.
Sur une dalle de l’église Santa Maria Maggiore, à Florence, cette inscription ne sera relevée que trois siècles plus tard: Ci-gît Salvino d’Amati de Florence, inventeur des lunettes. Dieu lui pardonne ses péchés. L’an de Dieu 1317. Ainsi s’appellerait celui dont le frère Alexandre Spina aurait repris l’invention.
Le frère franciscain britannique Roger Bacon poursuit, lui, les expériences d’Alhazen sur les lentilles convexes qu’il présente honnêtement sous le nom de loupes, vers 1266. Pas surprenant qu’elles arrivent et se développent à Venise, plus particulièrement sur l’île de Murano, l’un des centres verriers les plus importants du Moyen-Âge. » p. 54
« D’Hippocrate, 400 avant notre ère, date la première application de l’aimant en Europe pour retirer des fragments de métal, d’ailleurs utilisée de façon curieuse sous orme de poudre d’aimant pulvérisé avec du plomb et du lait de femme comme contraceptif. Chez les Romains, bon nombre de médecins sont grecs d’origine, souvent des esclaves affranchis. À Strasbourg, en 1534, un médecin s’inspire des connaissances arabes : Si un morceau de fer pénètre dans l’œil, ouvre l’œil bien grand et applique dessus une pierre d’aimant. En 1583, un autre oculiste penche pour la compresse enduite de graisse de lièvre, de cire, d’agate et d’aimant.
Les essais se multiplient, au début du XXe siècle, pour localiser le mieux possible ce qui s’est introduit et choisir la voie d’extraction la moins traumatisante. Dès 1944, les Américains affinent des techniques militaires telles que le déminage, du localisateur électro magnétique à l’application des ultrasons, selon le principe bien plus ancien du sonar maritime. Paradoxalement, certains graves accidents de guerre sont à l’origine de découvertes très importantes. À Londres, un ophtalmologue remarque l’excellente tolérance aux fragments de cockpit des Spitfire, parfois retrouvés dans les yeux des pilotes de la Royal Air Force: le polyméthyl méthacrylate constituant ces cockpits fut donc le matériau qui permit la réalisation du premier cristallin artificiel. » p. 71
« En 1582, vingt-trois ans après la mort de Henri II, sort à Paris un petit livre d’Ambroise Paré, en soixante-quinze feuillets : Discours de la mumie, de la licorne, des venins et de la peste. C’est une commande passée par l’un des plus grands personnages du royaume, Christophe Jouvenel des Ursins, seigneur d’Ermenonville. Deux ans plus tôt, lors d’un grave accident de cheval, un énorme caillou pointu giclé de sous sa monture le blesse au rein. On appelle Ambroise Paré. Evacués, le sang caillé et les sérosités, par plusieurs incisions : si bien soigné, que le seigneur guérit, tout en s’étonnant de n’avoir pas reçu à boire de mumie. Une saloperie fréquemment administrée aux malades: plus exactement une substance à base de bitume et de drogues servant à embaumer les momies, en provenance des anciennes sépultures de l’Égypte. Un remède qui coûte cher. Les apothicaires de Paris se sont mis à en fabriquer de la fausse, en pulvérisant des crânes humains et a distillant la pourriture tirée des tombeaux de pauvres diables.
Son petit traité réfute sèchement les vertus prétendues de cette horreur. En cas de chute, de choc ou chez les victimes de contusions, la mumie empêcherait le sang de coaguler ? Bien d’autres remèdes, qu’il riposte, que cette mumie qui consiste à faire entrer un autre homme dans le corps. Et c’est pour le démontrer qu’il se met à conter — et Ambroise s’y laisse très rarement aller — comment s’est rétabli un gentilhomme gravement blessé à l’œil. » p. 91
« À l’intérieur de l’œil existe ce qui s’appelle une tache aveugle, là où la rétine rencontre le nerf optique. À cet endroit précis ne filtre aucune information visuelle. Tenue à bout de bras, cette tache aurait la grosseur d’une orange. Et pourtant ne se ressent aucune impression de trou, ce qui pose la question de savoir si nous voyons le monde directement, ou si nous faisons confiance à une représentation générée à l’intérieur de notre corps, qui complète ce qui manque. Coupons court aux hypothèses: non seulement nous l’absorbons, ce monde, mais nous le fabriquons, l’élaborons, le raccommodons. L’imagination recolore automatiquement le paysage. Oui, le monde se modifie et se recompose parce que je le regarde. Récolter, accumuler, comparer des expériences et des circonstances amène à prendre conscience de répétitions et, de là, à deviner sinon prédire à quoi s’attendre. Fausses prédictions ? Surprise ! Pourtant familiers, des moments virent à l’étrangeté. Il arrive de prendre une chose, ou une personne, pour une autre. » p. 112
À propos de l’autrice
Corinne Desarzens ©
Photo DR Née à Sète en 1952, Corinne Desarzens est une écrivaine et journaliste franco-suisse licenciée en russe. Passionnée par les langues et l’art d’intercepter les conversations, parfois traductrice, auteure de romans, nouvelles et récits de voyage, dont Un Roi (Grasset, 2011), L’Italie, c’est toujours bien (La Baconnière, 2017), elle est l’une des grandes stylistes de Suisse romande. Elle a été lauréate des Prix suisses de littérature en 2021 pour La lune bouge lentement mais elle traverse la ville (La Baconnière) et du Prix littéraire Michel-Dentan pour Un Noël avec Winston (2023). (Source : Éditions la Baconnière)
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