En deux mots
C’est auréolé de gloire que Cha débarque en Espagne, de retour des Jeux paralympiques de Sydney. Le nageur a décroché cinq médailles d’or! Mais derrière cette fierté nationale sa cache un passé plus sombre. Dans ses jeunes années, il a été membre du « Groupe », une association de militants d’extrême gauche qui n’a pas hésité à avoir recours à la violence pour déstabiliser le pouvoir en place. Condamné à plusieurs décennies de prison, il sera libéré suite à une grève de la faim qui lui fera perdre l’usage de ses jambes.
Ma note
★★★★ (j’ai adoré)
Ma chronique
Le champion, le terroriste, l’ami
Il aura fallu plus de deux décennies à Ivan Butel pour écrire ce livre consacré au champion paralympique espagnol Sebastian Rodriguez. Appelé « Cha » dans le roman, ce nageur couvert de médailles a été membre d’un groupuscule d’extrême gauche et a été lourdement condamné avant de pouvoir bénéficier d’une remise de peine due à son handicap. Un parcours retracé par celui qui deviendra son ami au fil d’une enquête passionnante.
Qu’est ce qui peut pousser un auteur à suivre pendant plus de deux décennies un homme dont il ne savait rien avant de lire un portrait dans les colonnes de l’Équipe ? Ivan Butel répond en partie à cette question à la page 70 de son récit : « L’intérêt que je porte au passé de Cha n’est pas le fait d’une curiosité morbide, mais de son appartenance à une époque qui ma constitué. Et je ne redoute rien de plus que la disparition des témoins de cette époque, qui se sont tenus au bord de l’histoire, je veux recueillir leur récit.
Mais Cha ? Lui, c’est autre chose, il ne s’est pas uniquement tenu au bord, il a basculé. Il a agi. Il a d’abord été témoin, avant d’être happé par les événements qui se sont abattus sur lui, telle une vague puissante. »
Si le livre s’ouvre en l’an 2000 avec le retour en Espagne du quintuple médaillé d’or aux Jeux paralympiques de Sydney et la fête donnée en son honneur à Vigo, c’est bien son passé plus sombre qui pousse l’auteur à enquêter et à se rapprocher du champion.
Rappelons le contexte politique espagnol au sortir du franquisme : « Attentats, condamnations à mort, exécutions… Le pays est sorti de la dictature mais il vit encore, d’une certaine façon, sous le même régime de violence. Extrême droite et extrême gauche tentent de déstabiliser le système en place. Le bilan des années de la Transition est terrifiant : un peu plus de sept cents morts entre 1976 et 1982 ». L’engagement de Cha au sein du « Groupe » va se faire avec la fougue de sa jeunesse, avec l’idéalisme de ses 20 ans, avec la certitude que la cause défendue justifiait le recours à la violence. Après quelques coups d’éclat et l’assassinat d’un grand patron, il va finir par être arrêté et condamné à des dizaines d’années de prison. Il ne lui reste alors qu’un mince espoir, une amnistie qu’un nouveau gouvernement pourrait promulguer…
Mais ce sont des circonstances autrement dramatiques qui vont sceller son destin. À la suite de la décision prise par les autorités pénitentiaires de séparer les détenus, ces derniers vont décider une grève de la faim. Pour Cha, elle durera plus de 400 jours et lui coûtera l’usage de ses jambes. « Un après-midi, le directeur de la prison vient lui annoncer qu’il va être libéré le soir même. Un nouvel article de loi stipule, en effet, qu’un individu atteint d’une maladie ou d’un handicap incurable doit être remis en liberté. Cha ne peut y croire. On doit presque le mettre dehors. II est 23 heures, il est libre. » Nous sommes en 1994, il a trente-sept ans et est alors à l’aube d’un formidable carrière sportive.
À cet instant de ma chronique, il me faut confesser que si ce livre m’a autant touché, c’est que j’ai eu l’honneur et la chance de participer en tant que volontaire aux Jeux paralympiques de Paris 2024 et que j’ai pu côtoyer de nombreux athlètes et échanger avec eux sur leurs parcours respectifs. À chaque fois, ces récits de vie m’ont touché, tout autant que leur force de caractère et leur appétit de vivre. À l’image de Sebastian Rodriguez – devenu Cha dans le livre – on ne peut qu’être admiratif de leurs performances et de leur combat pour améliorer les conditions de vie de tous les handicapés.
Une expérience qui me permet aussi de comprendre le cheminement d’Ivan Butel aux côtés de celui qui deviendra un ami et rendra sans doute plus difficile l’écriture de ce livre qui n’entend pas occulter les zones d’ombre de Cha.
Comme dans Ne t’arrête pas de courir, le récit que Mathieu Palain a consacré au coureur de 400 m Toumany Coulibaly, ces longues enquêtes que l’on situera entre le journalisme et la littérature, permettent de nuancer les jugements, de comprendre combien le manichéisme peut être toxique. Au lecteur, auquel on confie toutes les clés de compréhension, de se faire une opinion.
De silence et d’or
lvan Butel
Éditions Globe
Premier roman
256 p., 22 €
EAN 9782383613329
Paru le 9/01/2025
Où ?
Le roman est situé principalement en Espagne, à Vigo, Marbella, Cadix. On y évoque aussi Sydney, Athènes, Pékin et Londres.
Quand ?
L’action se déroule de nos jours, avec des retours en arrière jusqu’en 2000.
Ce qu’en dit l’éditeur
Octobre 2000, Jeux de Sydney. Le nageur paralympique Sebastian Rodriguez, qu’on surnomme Cha, remporte cinq médailles d’or. À son retour en Espagne, le quotidien El Pais lui consacre un article. Le journal révèle son passé : son appartenance à un groupe armé d’extrême gauche dans les années 80, sa condamnation pour participation à un assassinat et une longue peine de prison. Bien qu’il ait payé sa dette et retrouvé une place dans la société, on ne cesse d’exiger de Cha une déclaration de repentance qui ne vient pas. Alors qu’en Espagne la mémoire des victimes du franquisme se réveille après des décennies de silence imposé par l’État, le narrateur se rend à Vigo, en Galice, pour rencontrer Cha.
En enquêtant pour comprendre la part d’ombre de cet homme, son engagement et son refus obstiné de s’exprimer sur le passé, Ivan Butel fait le récit d’une amitié naissante et questionne la manière d’écrire honnêtement sur un destin qui transcende le bien et le mal. De silence et d’or documente les séquelles du silence et livre une lumineuse histoire de rédemption.
Les critiques
Babelio
Lecteurs.com
Collatéral (Johan Faerber)
Le Suricate (Adrien Cambron)
Blog The Killer inside me
Blog de Karen Lajon
Yvan Butel présente « De silence et d’or » © Production Librairie Mollat
Les premières pages du livre
« Il y a un souvenir que je me suis sans doute fabriqué et auquel je tiens comme à un mythe fondateur. C’est une légende, à la frontière entre la réalité et la fiction. Je n’ai pas dix ans, je fais semblant de dormir sur la banquette d’un salon, dans un appartement parisien. Il y a du monde dans la pièce. Le flot des conversations me parvient, mes yeux se ferment et je me laisse bercer par le timbre de ces voix qui me sont familières. Au bout d’un moment, les intonations changent. Les mots semblent désormais évoquer des choses dangereuses. Le sommeil me gagne mais je résiste, je ne veux rien perdre de ces échanges. Tout, sauf le silence de la nuit ! Le silence, c’est la mort, alors je lutte pour demeurer parmi les vivants qui m’entourent. Du coin de l’œil, j’aperçois une bougie qui finit de se consumer, posée sur une table basse. Les ombres dessinées sur le mur font ressembler les adultes à des géants.
« On va faire le point », dit l’un.
Est-ce mon père ? À cette époque, il lance un journal. Le jour, j’apprends à lire en parcourant les unes de la presse qui traînent dans la cuisine, à la maison et ailleurs. J’ai l’impression qu’il y a des journaux partout durant cette période, des crieurs dans la rue, des gros titres dans les kiosques, des quotidiens posés sur les tables des cafés, sur les bancs publics. Les nouvelles du monde me parviennent, incompréhensibles. Je perçois seulement la violence de ces mots en capitales.
Dans le salon, ils parlent à voix basse. Peut-être partagent-ils des secrets qui ne doivent pas s’ébruiter ? Je tends l’oreille. Soudain, un éclat, quelqu’un s’emporte. La flamme de la bougie vacille. Je prie pour qu’elle ne s’éteigne pas.
Aujourd’hui, ces souvenirs sont nimbés d’un halo mythique. Aucune photo ne témoigne de cette scène, personne ne me l’a racontée, elle a donc été vécue, ou bien est-elle issue de mon imagination ? J’ai le sentiment que cela revient au même : elle fait partie de moi. Même si je l’ai imaginée, elle me constitue. « On va faire le point. » Cette phrase, je ne la comprends pas mais elle m’impressionne. Qu’avaient-ils à se dire pour se réunir ainsi en pleine nuit ? Qui pourrait en témoigner, près de cinquante ans plus tard ? Est-ce qu’ils évoquaient leurs proches disparus, morts, parfois assassinés ? Est-ce qu’ils continuaient de parler d’eux pour ne pas les oublier ? Ou bien, est-ce qu’ils parlaient comme je les écoutais, simplement pour rester du côté des vivants ?
À l’âge de vingt-cinq ans, pendant mes études universitaires, j’ai appris à manier une caméra, ainsi que des rudiments de montage. J’ai notamment suivi des cours de cinéma ethnographique. Ils démarraient rituellement par un échauffement collectif. Nous apprenions à nous déplacer en basculant le poids du corps d’une jambe sur l’autre, essayant de nous faire le plus légers possible pour défier les lois de la pesanteur. Nous tentions de filmer en mouvement sans que l’image tremble, en avançant précautionneusement, l’œil rivé sur le viseur de la caméra. Il s’agissait d’apprendre à s’insérer dans un groupe avec du matériel de prise de vue, et non pas, contrairement à ce que l’on pouvait penser, de s’effacer, d’être le plus silencieux possible pour se fondre dans le décor. C’était un échange. Il fallait réfléchir à ce que cela signifiait de prendre l’image d’autrui. Que devait-on apporter en contrepartie pour se faire accepter ? Ces réflexions me passionnaient.
Huit ans plus tard, à l’été 2001, je suis à Gênes lors du G8 au cours duquel ma génération a découvert la violence politique d’État. La ville est le théâtre d’une répression qu’Amnesty International qualifiera de « plus grande violation des droits humains et démocratiques dans un pays occidental depuis la Seconde Guerre mondiale », entraînant la mort d’un manifestant, Carlo Giuliani. Je m’y suis rendu dans un car affrété par des militants, depuis Turin où je travaille dans l’équipe chargée d’organiser le festival du film de la ville. Je tourne, pendant mon temps libre, mon premier documentaire, sur les traces de Nietzsche qui était devenu fou dans la cité piémontaise. Il s’était un beau jour jeté, en pleurs, au cou d’un cheval brutalisé par son cocher, et n’avait ensuite plus jamais retrouvé la raison.
À mon retour de Gênes, je mêle à mon documentaire des images télévisées de la Scuola Diaz, montrant les activistes et les médias alternatifs, qui en ont fait leur QG durant le G8, en train d’être tabassés par la police. Le sang des activistes macule le sol et quelqu’un a inscrit sur le mur : « N’effacez pas les traces ». Il faut préserver les preuves, conserver la mémoire de cet événement, de la violence qui s’est déchaînée et que les policiers essaieront inévitablement de justifier et d’étouffer. Filmer les vestiges de cette violence, les immortaliser, me paraît le meilleur moyen d’y parvenir.
Peu après, lorsque je commence à m’intéresser à l’histoire de Cha, une amie me demande sur quoi je travaille. Je lui dis que c’est toujours un peu la même chose, le même sujet.
« C’est-à-dire ? » insiste-t-elle.
Je réponds : « Les années de plomb. »
J’ai reconnu quelque chose dans cette histoire, elle rassemble des ingrédients qui me sont familiers, elle s’inscrit dans ce qui m’a construit… J’ai envie de récits politiques, d’histoires qui se situent par-delà le bien et le mal, pour reprendre le titre du livre de Nietzsche dont j’ai filmé la couverture à Gênes. Par-delà le bien et le mal, voilà ce que j’ai reconnu dans la trajectoire de Cha.
En octobre 2000, Cha rentre des Jeux de Sydney avec cinq médailles d’or, il s’apprête à être accueilli triomphalement à sa descente d’avion, à Vigo. Pourtant, ses sentiments sont partagés. À la fierté de revenir en vainqueur se mêle une colère sourde qu’il essaie de contenir. À travers le hublot de l’avion, tout est rouge orangé. Il a l’impression de survoler un volcan. Les lumières de la ville ressemblent à des roches incandescentes ou à un corps translucide avec vaisseaux sanguins et artères apparents. Un peu plus tôt, l’hôtesse de l’air lui a tendu un journal. Sous ses yeux : son passé. Le titre à la une d’El País, le plus grand quotidien d’Espagne : « De la prison au podium ». Dans les pages intérieures, un article déroule les différentes étapes de sa vie. On y apprend qu’il est un ancien activiste d’extrême gauche, condamné à une longue peine de prison. Ce n’est qu’après sa remise en liberté conditionnelle, en 1994, qu’il s’est lancé dans la natation.
En fait, Cha savait depuis la veille que le papier sortirait. Le journaliste l’a appelé en Australie, afin qu’il s’explique. Il lui a juste répondu, après un long silence : « Ce n’est pas le moment de parler de mon passé. C’est le moment du sport. » Le journaliste a insisté, Cha a raccroché. Et maintenant, cet article prétend retracer sa vie avec des mots qui ne sont pas les siens. La description de son adolescence à Vigo en Galice, la fin du franquisme, sur fond de conflits sociaux sur les chantiers navals où il travaillait, où travaillait son père. La constitution d’un groupe armé dans sa ville, dans son quartier. Sa première arrestation, à dix-huit ans, après avoir manifesté contre les exécutions ordonnées par Franco en 1975. Son passage dans la clandestinité en 1983 et sa participation à plusieurs actions armées. Son arrestation et sa condamnation à une lourde peine d’emprisonnement. La très longue grève de la faim, menée avec les membres du Groupe en protestation de leur dispersion dans diverses prisons, et qui l’a laissé paralysé des deux jambes.
Dans le pays, ces révélations font l’effet d’une déflagration mais, en réalité, beaucoup de gens étaient déjà au courant du passé de Cha. À sa sortie de prison, il est revenu vivre à Vigo. Il a trouvé un travail de vendeur de tickets de loterie et il a commencé la natation. Il a grandi au bord de la mer, il a toujours aimé nager. Sa réinsertion paraît exemplaire. L’article précise que, concernant son passé politique, Cha ne semble pas dans la repentance. Le temps a fait son œuvre, ces années de sa vie sont derrière lui, c’est une époque révolue. Pourtant, si Cha est passé à autre chose, la question du terrorisme n’est pas réglée en Espagne. L’ETA, avec laquelle il n’avait rien à voir du temps de son activisme, continue de commettre des attentats, et dans l’opinion publique, tout se mêle. Ce jour-là, dans cet avion qui traverse les fuseaux horaires, où le lever et le coucher de soleil semblent se confondre, son passé le rattrape.
À Paris, la rumeur urbaine, les éclats des coups de klaxon, les conversations sur les seuils des boutiques, montent jusqu’à mon appartement. Les fenêtres mal isolées laissent tout entrer. Quand le silence se fait enfin, la nuit, c’est la soufflerie du fast-food en bas de l’immeuble qui prend le relais.
L’article qui a mis le feu aux poudres, celui qui m’a fait découvrir Cha, je l’ai découpé, petit carré de papier qui ne me quitte plus depuis des mois. Je le conserve sur moi, comme on garde sur soi la photo d’un être cher, un marron, un porte-bonheur. Lorsque je le déplie, mes yeux sont systématiquement attirés par la photo de Cha qui l’illustre, et notamment par son sourire que je tente d’interpréter. C’est un sourire suspendu, une invitation au jeu. J’échafaude des hypothèses sur le caractère d’un homme qui m’est inconnu mais qui me fascine déjà. Son destin est profondément lié à l’histoire de son pays, il cristallise la question de la violence politique. À travers les méandres de son parcours, je perçois quelque chose de l’ordre du mythe : violence, répudiation, sacrifice, rédemption. Tout est extrême, par-delà le bien et le mal encore. C’est l’histoire d’un homme qui a lutté à corps perdu contre une mécanique implacable, et pour échapper à un destin funeste.
Cha a été plongé au cœur de la lutte armée. Puis il en est sorti. Qu’a-t-il vu et fait ? En quoi a-t-il cru ? À quoi a-t-il renoncé ensuite ? Son passé est tellement sombre que toutes les couches que le temps y a déposées, tous les efforts effectués pour le recouvrir ne peuvent l’empêcher d’apparaître presque par transparence. Le témoignage qu’il peut apporter sur une part d’ombre de l’histoire qui a été enterrée, et dont les dernières traces disparaissent avec le temps, est unique. C’est quelque chose que je veux recueillir, documenter. Je décide de lui écrire une lettre. Pour lui dire que je souhaite le rencontrer, le connaître et raconter son histoire.
Ce qui me manque aujourd’hui, c’est cette première lettre que je lui ai écrite, après avoir lu l’article. J’ai pourtant conservé des centaines de documents. Dans mon ordinateur se nichent d’innombrables fichiers. Des disques durs emmagasinent des tonnes de dossiers. Des articles découpés sont rangés dans des dizaines de chemises et de cartons. Je suis l’archiviste de cette histoire. Mais la première lettre manque. J’ai dû l’écrire à la main.
Quelques semaines plus tard, en réponse à mon courrier, Cha me propose de venir le voir à Vigo.
Fin septembre 2001, je suis à Vigo et je retrouve Cha qui m’a fixé rendez-vous devant la mairie. Une esplanade de béton sans charme. J’habite dans un appartement qui donne sur cette place, rue du Plaisir, au bout de laquelle travaillent des prostituées, en lisière du quartier gitan. Depuis l’esplanade, on peut grimper jusqu’au château situé sur les hauteurs d’un parc, et dont les salons accueillent les réceptions de la municipalité.
La pluie, incessante depuis mon arrivée, s’est enfin tue. Nous prenons place à la terrasse d’un café, aujourd’hui disparu.
Le silence s’installe entre nous. Je suis parti rapidement, sans m’interroger sur ma maîtrise limitée de l’espagnol. Et soudain, la réalité me frappe : je vais devoir avancer à tâtons, … »
Extraits
« Cette violence s’inscrit dans le prolongement de celle, terrible, de la fin du franquisme. Attentats, condamnations à mort, exécutions… Le pays est sorti de la dictature mais il vit encore, d’une certaine façon, sous le même régime de violence. Extrême droite et extrême gauche tentent de déstabiliser le système en place. Le bilan des années de la Transition est terrifiant : un peu plus de sept cents morts entre 1976 et 1982, dont plus de cinq cents imputables à des « violences contestataires ».
La démocratie naissante est sanglante. Le 24 janvier 1977, le Groupe armé est responsable de l’enlèvement spectaculaire du général Villaescusa, président du Conseil suprême militaire. Le président du Conseil d’État avait déjà été kidnappé, un mois plus tôt. Ce même jour de janvier, un attentat perpétré par l’extrême droite dans un cabinet d’avocats de gauche, rue d’Atocha coûte la vie à cinq personnes. » p. 62
« L’intérêt que je porte au passé de Cha n’est pas le fait d’une curiosité morbide, mais de son appartenance à une époque qui ma constitué. Et je ne redoute rien de plus que la disparition des témoins de cette époque, qui se sont tenus au bord de l’histoire, je veux recueillir leur récit.
Mais Cha ? Lui, c’est autre chose, il ne s’est pas uniquement tenu au bord, il a basculé. Il a agi. Il a d’abord été témoin, avant d’être happé par les événements qui se sont abattus sur lui, telle une vague puissante. » p. 70
« 1994.
Cha a trente-sept ans. Un après-midi, le directeur de la prison vient lui annoncer qu’il va être libéré le soir même. Un nouvel article de loi stipule, en effet, qu’un individu atteint d’une maladie ou d’un handicap incurable doit être remis en liberté. Cha ne peut y croire. On doit presque le mettre dehors. II est 23 heures, il est libre.
Il retourne vivre chez lui, à Vigo. Il habite sur les hauteurs et descend travailler dans le centre, le matin. Le soir, il appelle quelqu’un pour qu’on vienne le chercher et qu’on l’aide à remonter chez lui. Ses préoccupations deviennent très concrètes : apprendre à se mouvoir dans la ville.
Vivre en fauteuil roulant impose une nouvelle existence. Il s’agit maintenant de lutter au quotidien pour améliorer ses conditions de vie et l’accessibilité des handicapés. De façon troublante, son nouvel état permet, à Cha comme aux autres, de ne pas faire le bilan de ses années de lutte politique. La priorité est ailleurs dorénavant. Un combat en a simplement remplacé un autre. Son fauteuil dévale les pentes. Il s’éloigne de ses anciens camarades militants, ne va plus aux réunions. » p. 119
« Un officiel lui passe la médaille d’or autour du cou et dépose sur sa tête la couronne d’olivier du vainqueur. Cha envoie des baisers au public qui l’acclame dans les tribunes. L’hymne espagnol retentit.
Gio se tourne vers ses amis et leur intime de se taire. Il brandit le drapeau espagnol et reprend en chantonnant la mélodie de l’hymne national, un des rares hymnes au monde sans paroles officielles. Il regarde Cha qui, comme toujours, se tient la tête baissée sur le podium. Alors il l’implore, en chuchotant : “Salue ton drapeau”, comme si Cha pouvait l’entendre de là où il était et accéder à sa demande. Mais Cha, autrefois libéré sur parole, demeure silencieux. Aussi muet que l’hymne de son pays. Sur l’écran géant apparaît son image pixélisée, tête baissée. Puis, le drapeau espagnol. » p. 141-142
À propos de l’auteur
lvan Butel © Photo DR – Librairie Mollat
Ivan Butel est scénariste et réalisateur. Il a fait de nombreux documentaires et reçu le prix du documentaire historique des Rendez-vous de l’Histoire de Blois. De silence et d’or est son premier roman, dont le projet a obtenu le soutien d’une bourse de la SCAM. (Source: Éditions Globe)
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