En deux mots
Mylène vit dans l’ombre de Mallaury, auteur de polars qu’elle suit de festivals littéraires en résidence d’écrivains. Mais un jour, elle décide de s’éclipser pour trouver le temps d’écrire à son tour. Mais en fait, c’est Mallaury qui disparaît sans laisser de traces.
Ma note
★★★★ (j’ai adoré)
Ma chronique
Entourée de disparus
En imaginant une femme d’écrivain qui décide à son tour de prendre la plume, Séverine Chevalier a construit un roman à fronts renversés. Ainsi, quand sa narratrice choisit de disparaître, elle va constater que c’est en fait son mari qui n’est plus là. Un vrai-faux polar teinté d’humour et de questions existentielles.
Mylène suit Mallaury. Mylène est l’épouse de Mallaury, auteur de polars reconnu. Ils habitent Saint-Étienne, mais au début du livre, on les retrouve à Toulouse où ils sont les invités d’un festival littéraire. Mylène est la petite souris discrète qui s’occupe de l’intendance, dans l’ombre de l’écrivain adulé. « Je suppose, sans jamais avoir osé lui demander confirmation, que je suis la femme du commissaire, dans ses romans. Maintenant, enfin depuis quelques tomes, elle est morte. C’est en un sens plus simple. Je n’ai plus à décrypter certains messages que Mallaury, consciemment ou inconsciemment, chercherait à m’adresser, par la fiction. Je me contente de suivre ce malheureux policier, repris par ses démons, hanté par un passé sombre en lien avec la guerre dont on peine encore à cerner exactement les contours, le tout dans une langue mi-lyrique, mi-à l’os, véritable signature d’un grand styliste. »
Sauf que cette fois, c’est elle qui prend la plume. C’est elle qui raconte qu’après avoir lu sur un site d’information qu’« un homme est resté enfermé quatre jours dans la centrale nucléaire de Paluel », elle s’est dit que cette histoire pourrait faire un bon suspense. Alors, elle a constitué un dossier de résidence d’auteur pour permettre à son mari de visiter les lieux, de s’imprégner de cette histoire pour trouver l’inspiration.
C’est du sous-sol de cette résidence qu’elle écrit, sur l’ordinateur qu’elle a pris le soin d’emporter, après avoir annoncé à son mari qu’elle partait au chevet de sa mère. Et de regagner discrètement la maison.
Dans sa solitude, quelques souvenirs lui reviennent. Cette rencontre récente dans les toilettes du festival toulousain et cette attirance ressentie pour des lèvres pulpeuses toutes proches. Sa visite de la maison d’Izieu où ont été raflés des dizaines d’enfants. Mais aussi et surtout une histoire familiale traumatisante : « Le vendredi 30 septembre 1938, le père de mon mon grand-père, a étouffé sa femme, la mère de mon père, ma grand-mère. Puis il a essayé d’asphyxier mon père, âgé de huit ans, puis de se tuer. Il n’a réussi aucune de ces deux dernières entreprises. Mon père et lui ont survécu. Il a été acquitté pour cause de femme ivrogne et adultère — elle l’aurait rendu fou —, puis il a élevé son fils comme si rien ne s’était passé. »
C’est sans doute ce fait divers qui est à l’origine de son silence, de son effacement. Mais paradoxalement, c’est quand elle décide de se mettre à l’écart que son mari disparaît. Une caméra de surveillance le montre entrant dans le bureau mis à sa disposition dans la centrale nucléaire. Ce sont les dernières images de Mallaury. Il vient grossir les rangs des milliers de disparus recensés chaque année en France. Un mystère qui fait suite à d’autres disparitions, comme celle de sa copine Lydia qui, du jour au lendemain n’a plus donné signe de vie.
Utilisant avec malice les conventions du polar — le fait divers, le recueil de témoignages, les enquêtes policières — Séverine Chevalier va développer son histoire jusqu’aux questions existentielles sur l’identité et la relation aux autres. Il y a dans cette plongée une réflexion sur l’écriture, le choix des mots pour dire l’indicible, mais aussi ceux qui apaisent. Le tout teinté d’une douce ironie, d’un humour qui vient panser une souffrance dont il est temps de s’affranchir : « À force d’être assise dans le sous-sol, devant l’ordinateur, me nourrissant de choses sucrées et grasses ne nécessitant pas d’être cuites, baignant dans une sueur rance, à chercher à reconstituer avec des mots et des phrases ce qu’il me semble avoir été, à les déterrer, les lier, les préciser, peut-être puis-je constater que, même sans l’avoir réellement décidé, même pour raconter ma navrante petite vie, j’écris. » Elle écrit pour notre bonheur de lecteur.
NB. Tout d’abord, un grand merci pour m’avoir lu jusqu’ici ! Sur mon blog vous pourrez, outre cette chronique, découvrir les premières pages du livre et en vous y abonnant, vous serez informé de la parution de toutes mes chroniques.
Théorie de la disparition
Séverine Chevalier
La Manufacture de livres
Roman
176 p., 14,90 €
EAN 9782385531584
Paru le 9/01/2025
Où ?
Le roman est situé à Paluel. On y évoque aussi Saint-Étienne, Toulouse, Lyon, une petite ville en Isère, Yzieu dans l’Ain, L’Isle-d’Abeau
Quand ?
L’action se déroule de nos jours.
Ce qu’en dit l’éditeur
Mylène se considère lucidement comme l’intendante de son mari Mallaury. Une vie simple et banale dans laquelle elle s’occupe de son foyer avec une grande minutie, prolongement du travail consciencieux exercé au service municipal de la ville de Saint-Étienne, quand elle vérifiait les habitations afin de prévenir tout risque de destruction. Mylène veille à ce que Mallaury ne manque de rien, surtout depuis que ses romans connaissent le succès. L’accompagnant dans tous ses déplacements, elle traque le moindre défaut, lisse le moindre pli. Mais un soir, lors d’un dîner entre écrivains, Mylène fait une rencontre qui l’amène à agir étrangement : elle se laisse disparaître. En échappant à son mari pour la première fois, elle se confronte au passé et sort de son silence. La femme de l’écrivain commence à écrire.
Avec Théorie de la disparition, Séverine Chevalier déploie l’épopée minuscule d’une femme qui pense n’avoir rien à dire – à peine à exister. Une réflexion romanesque autour de la réappropriation et du ressaisissement de soi portée par une écriture sensible et marquante.
Les critiques
Babelio
Lecteurs.com
Blog Ce que j’en dis
Au vent des mots (Alain Deroubaix)
Blog Les Mafieuses
Les premières pages du livre
« Si je suis assise en catimini dans un sous-sol devant mon ordinateur portable, si j’ai ouvert un fichier intitulé, après avoir hésité, brouillon sans b majuscule, si j’ai regardé un interminable moment le rectangle blanc vertical, avec la barre clignotant comme une luciole, en haut à gauche, si j’ai passé plusieurs fois mon doigt sur la touche manquante, le E, si je vois, en levant la tête, un deuxième quadrilatère en longueur, soit une fenêtre à la vitre scellée qui découpe l’extérieur de la façon suivante : ciel, mer, champs, maison, étendage, si je sais, laissant mes yeux intérieurs dotés d’une certaine bien que récente connaissance des lieux se prolonger, pour le pavillon du dessous, le premier d’un lotissement inachevé dans lequel il semble n’y avoir personne sauf une jeune femme qui étend parfois son linge, si je sais pour les prés en pente puis les falaises puis les rochers tout en bas sur l’absence intermittente de plage, si je connais plus ou moins la modalité automnale, jaune et grise et normalement normande, de la côte, sauf, étrangeté radicale et quasi secrète puisqu’on ne peut la voir que du large, la centrale, si je sais pour les lignes à haute tension et les routes courbes ou droites sur lesquelles nous avons roulé pour venir du festival, dans le Sud, sans nous arrêter à l’est et au milieu où nous vivons, Mallaury mon mari, et moi, Mylène, en face du cimetière, si j’appelle ce fichier brouillon dans l’idée nouvelle, sûrement absurde, de tenter d’écrire tout ce qui (me) vient, c’est peut-être pour tenter de répondre à cette question pour moi tout à fait confuse : quand et comment sait-on qu’il se passe quelque chose, s’il se passe quelque chose ; et s’il se passe quelque chose, que se passe-t-il ?
Les environnements diffèrent, mais ça se termine toujours de la même façon. Je marche ou entre quelque part, dans une rue, un pré, un tunnel, un quai, une chambre, un bureau, une autoroute, un train, un cirque, je suis seule ou dans la foule. Dans ce cas, il s’agit de silhouettes, je n’identifie personne de connu, tout paraît excessivement normal, les ombres vaquent, consomment, mangent, attendent, ramassent, examinent, construisent, participent, réparent, sélectionnent, surveillent, conduisent, accueillent, budgétisent, promeuvent, conseillent, enlèvent, compilent, effectuent, lancent, montrent, répondent, apprécient, habilitent, s’insurgent, recueillent, exploitent, agrandissent, installent, grimpent, gèrent, acceptent, se rendent d’un point A à un point B. Je marche ou entre ou même sors, je trace dans la matérialité des choses et du monde sans aller nulle part, rien d’éthéré ni de brumeux, pas d’ambiance onirique, les profils humains quoique non détaillés pèsent leur poids de concret, je ne ressens pas d’inquiétudes particulières qui dicteraient un comportement ou une vigilance spéciale, je marche et entre ou même sors comme procède quiconque, enserrée comme les autres dans l’ordre habituel, automatique, je ne regarde pas à terre, je regarde plutôt devant comme on le fait sans y penser pour la pantomime implicite d’évitement des corps, je n’ai pas dans chacun des rêves la mémoire des précédents et quand bien même j’en aurais le souvenir ça ne modifierait pas le cours implacable de ses suites, car le trou n’est pas là d’abord, il n’a pas de coordonnées précises que je pourrais anticiper pour le contourner, il s’entame n’importe où et sous un de mes pieds projeté en l’air au moment pile où je le repose, où je crois encore comme à une évidence jamais démentie à la fois à la platitude du sol et à sa stabilité, à sa permanence, il s’ouvre sans que le processus puisse se décomposer, même a posteriori, instant zéro, plancher sûr et certain pour toutes les vaches, instant zéro plus zéro virgule zéro zéro, etc., un, trou dans lequel : je tombe.
tombe
tombe
tombe
tombe
tombe
Me frappe à l’écrire plusieurs fois l’homonymie avec l’endroit où l’on aboutit en général entreposé, quand on est mort. De la même manière que dans un cercueil je ne bouge pas, je me tiens pour ainsi dire statique, un cadavre, et simultanément j’avance vers le bas, consciente, aspirée à toute allure par le trou et le centre de la Terre ; je chute, je dégringole implacablement, quittant comme les morts le monde des vivants, mais sans être morte moi-même, et il n’y a pas de tout à coup, pouf, me voilà étendue avec Alice sur un tas de fagots et de feuilles sèches – et j’ai fini de tomber ; non, après une durée variable selon les nuits, je me réveille, plus ou moins hagarde. J’allonge alors le bras, pour me rappeler la situation initiale, arrêter sobrement mais clairement le mouvement perpétuel : Mallaury sur la gauche, guéridon, chambre, rideaux aux fleurs bleues occultant ténèbres et cimetière sur terril. Parfois sans faire exprès, je le dérange. Je dis excuse-moi, j’ai encore rêvé du trou.
0.
écart
Quand Mallaury exulte parce qu’il a reçu un prix, il sourit, de cet étirement avec dents pointues à peine apparentes où je distingue, bien que je ne l’aie pas connu enfant, son âme de garçon triste jamais, jamais, jamais, jamais assez : choyé.
Je l’imagine aisément, assis dans la pâtisserie parentale, peut-être sur un tabouret en bois, peut-être dans un recoin pour ne pas déranger, on lui a donné un illustré, il penche la tête sur les images, la relève souvent en direction de sa mère, si blonde et si coiffée, si blonde et si bleue des yeux, derrière la caisse, à virevolter et bourdonner comme un bel insecte des gâteaux aux clients, des clients aux gâteaux, pleine d’une sollicitude commerçante qui ne lui est pas destinée. Elle lui apporte de temps à autre un délice, parmi ses préférés, l’’embrasse sur le haut du crâne avec la main qui se pose, une seconde, sur la joue; on dirait qu’elle s’applique, non pour lui, plutôt pour parfaire le tableau. Saint-Honoré après millefeuille, il ingurgite, il grossit. »
Extraits
« Je suppose, sans jamais avoir osé lui demander confirmation, que je suis la femme du commissaire, dans ses romans. Maintenant, enfin depuis quelques tomes, elle est morte. C’est en un sens plus simple. Je n’ai plus à décrypter certains messages que Mallaury, consciemment ou inconsciemment, chercherait à m’adresser, par la fiction. Je me contente de suivre ce malheureux policier, repris par ses démons, hanté par un passé sombre en lien avec la guerre dont on peine encore à cerner exactement les contours, le tout dans une langue mi-lyrique, mi-à l’os, véritable signature d’un grand styliste (cf. quatrième de couverture). » p. 49
« Il est troublant de constater aujourd’hui que, si j’ai tant aimé son quatrième roman, qui s’inspire largement de cette affaire, c’est peut-être qu’à mon insu se jouait une correspondance secrète entre mon histoire familiale, non sue, et ce qu’il racontait. Il faudrait que je le relise. Je crois que je ne voulais à aucun prix que Mallaury s’empare de l’évènement concernant ma famille pour l’explorer et le mettre en forme à sa façon dans l’écriture; qu’il se l’approprie. » p. 87-88
« À force d’être assise dans le sous-sol, devant l’ordinateur, me nourrissant de choses sucrées et grasses ne nécessitant pas d’être cuites, baignant dans une sueur rance, à chercher à reconstituer avec des mots et des phrases ce qu’il me semble avoir été, à les déterrer, les lier, les préciser, peut-être puis-je constater que, même sans l’avoir réellement décidé, même pour raconter ma navrante petite vie, j’écris. » p. 101
À propos de l’autriceSéverine Chevalier © Photo Robert Guinot
Séverine Chevalier naît en 1973 à Lyon où elle passe les vingt premières années de sa vie. Après des études à Sciences Po, elle poursuit un DESS de droit public et devient juriste à la mairie de Saint-Étienne. Elle vit ensuite pendant treize années à Marseille où elle commence à écrire. En 2015, elle s’installe avec sa famille en Auvergne. Elle se consacre à l’écriture à partir de 2008. Son premier roman, Recluses, est publié aux éditions Écorces en 2011. Ses romans suivants, Clouer l’Ouest (2014), Les Mauvaises (2018), Jeannette et le crocodile (2022) et Théorie de la disparition (2025) sont parus à la Manufacture de livres. (Source : La Manufacture de livres)
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