Conférence de paix qui réunit Hans Luther, le chancelier allemand, et sept ministres des Affaires étrangères, le Français Aristide Briand, l’Allemand Gustav Stresemann, l’Anglais Austen Chamberlain, le Belge Émile Vandervelde, l’Italien Vittorio Scialoja, auxquels viendront s’ajouter le Polonais Aleksander Skrzyński et le Tchécoslovaque Edvard Beneš. Leur noble, mais très périlleuse mission, est de sauver la paix, alors que l’Europe tente de refermer les plaies encore bien ouvertes de la Grande Guerre.
Aux pages de ce journal qui, du 4 au 21 octobre 1925, vont documenter au jour le jour l’ambiance et l’avancée des pourparlers, Christine de Mazières ajoute la chronique de cet événement aussi important qu’oublié de l’histoire de la construction européenne. Formidablement documenté, ce récit nous permet de comprendre tout à la fois la psychologie des participants, la situation géopolitique d’alors et l’ambiance dans ce petit coin de paradis. Complété par des extraits d’articles que les centaines de journalistes envoyés sur place rédigent tout au long des négociations, le roman se lit tout à la fois comme un formidable suspense – l’issue de la rencontre est plus qu’incertaine – et une page étonnante de la diplomatie internationale. Car l’autrice excelle à mêler petite et grande histoire. Sur la Piazza Grande bondée, le lâcher de colombes, censé incarner la paix, tourne au chaos lorsqu’un aigle s’abat sur l’un des oiseaux. Un cri s’élève : « Mamma mia! Un aquila! C’était un aigle, je vous le jure, j’ai vu son bec jaune recourbé… » Cette scène saisissante illustre à merveille la fragilité des espoirs de réconciliation.
Au fil du récit, des personnages fascinants émergent, incarnant la complexité des identités européennes. Gustav Stresemann, le ministre allemand des Affaires étrangères, incarne la quête d’un apaisement malgré les humiliations de l’après-guerre : « Voyez-vous, nous n’avions pas les moyens de nous payer un grand hôtel en centre-ville […] Le gouvernement a d’autres factures à régler en ce moment pour des réparations urgentes… » Ce ton mi-humoristique, mi-amer, montre combien l’Allemagne de Weimar tente désespérément de se réhabiliter sur la scène internationale. Fort heureusement, il trouve en Aristide Briand un esprit aussi vif qu’un partenaire attentionné : « Voici un grand artiste de la politique, un homme profondément libre. Si libre qu’il peut se permettre d’être seulement un homme, sans les apparences de la dignité, ni les attributs du pouvoir. Un homme dans sa pleine humanité, un Mensch. C’est devenu si rare. Et cela lui plaît d’imaginer un dialogue de Mensch à Mensch avec cet homme-là. La route sera certes difficile, car on ne saurait sous-estimer un tel virtuose, qui jouera, à n’en pas douter, de son charme roublard de vieux chef gaulois avec maestria dans les négociations. Mais il aime à relever les défis. »
Du côté des envoyés spéciaux se joue une partie similaire. L’Allemand Ernst Wibeau, correspondant du Berliner Tageblatt, se lie d’amitié avec Louise et André Meyer, le correspondant de L’Alsace.« Un Français qui porte un nom allemand et un Allemand, un nom français… » Meyer et Wibeau symbolisent bien l’héritage des conflits et la difficulté d’une paix sincère. Tout comme l’histoire personnelle de Louise, son mari allemand porté disparu, son fils né de leur union.
Sans oublier les artistes qui avaient trouvé au Tessin un refuge et une source d’inspiration. Ceux du Monte Verità à l’inspiration écolo-anarchiste, la peintre russe Marianne von Werefkin, la danseuse Charlotte Bara et les dadaïstes Hugo Ball et Emmy Hennings. Mais aussi Hermann Hesse dont Christine de Mazières imagine la rencontre avec Alexis Léger, alias Saint-John Perse.
Dans un style fluide et évocateur, l’autrice joue sur les contrastes entre la beauté lumineuse de Locarno et les blessures invisibles des nations. L’image du rapace devient une allégorie puissante : « Tuer, égorger, étriper, dépecer ! criait son sang. » Le passé rôde, les cicatrices de la guerre restent à vif, et pourtant, il y a cette aspiration fragile à la paix.
Avec justesse et sensibilité, Locarno interroge la mémoire collective et rappelle que l’Histoire se lit autant dans les accords diplomatiques que dans les silences entre les hommes.
Bien entendu, ces discussions résonnent aujourd’hui avec force. Au moment où l’Ukraine est au centre de tractations dont l’enjeu est majeur pour la sécurité du continent, on se dit que Locarno pourrait à bien des égards servir, sinon de modèle, au moins à encourager les partenaires chargés de sortir du conflit. Encore faut-il pour cela vouloir vraiment la paix. C’est ce qui alors a fait le miracle de Locarno où « Les visages, les arbres, les maisons, le lac et les montagnes brillent d’un feu intérieur incandescent : tout est illuminé. Tout irradie. C’est une pulsation, une vibration de tout. On perçoit l’en deçà, le sous-jacent, l’infra-réalité, la trame, la formule chimique, la combinaison secrète des choses. Les couleurs se décomposent en nuances. La lumière chatoie de toutes les teintes du prisme. Tout chante, tout danse, tout s’enivre. (…) La paix ressemble à cela : un vertige au cœur des hommes. »
Locarno
Christine de Mazières
Éditions du Seuil
Roman
240 p., 21,50 €
EAN 9782021575996
Paru le 7/03/2025
Où ?
Le roman est situé principalement en Suisse, à Locarno et environs.
Quand ?
L’action se déroule du 4 au 21 octobre 1925.
Ce qu’en dit l’éditeur
Octobre 1925 à Locarno, sur les rives enchanteresses du Lac Majeur. Louise, une jeune Française qui s’est réfugiée en Suisse au début de la première guerre mondiale pour avoir aimé Hans, un Allemand, et donner naissance à leur enfant, arrive à Locarno comme correspondante du Courrier de Genève. Comme d’autres journalistes venus des quatre coins d’Europe, elle espère que la conférence diplomatique réussira à instaurer une paix durable. Elle espère aussi apprendre ce qu’est devenu Hans, porté disparu à la guerre. Tout en suivant les négociations, Louise découvre de nombreux artistes sur place, la peintre russe Marianne von Werefkin, la danseuse Charlotte Bara, les dadaïstes Hugo Ball et Emmy Hennings, tandis qu’Alexis Léger alias Saint-John Perse croise Hermann Hesse. Pendant qu’un climat euphorique se répand, les négociations s’avèrent difficiles. Le Français Aristide Briand et l’Allemand Gustav Stresemann, que tout oppose, vont devoir inventer un art de la paix. Comment se tendre la main quand les rancœurs et les haines restent profondément ancrées dans les esprits ?
« Locarno » plonge aux racines, oubliées, de la réconciliation franco-allemande et du projet européen, à travers des personnages inoubliables.
Les critiques
Babelio
Lecteurs.com
Les premières pages du livre
Principaux personnages
Edvard Beneš, Premier ministre tchécoslovaque
Philippe Berthelot, secrétaire général du ministère des Affaires étrangères français
Aristide Briand, ministre des Affaires étrangères français
Fernand de Brinon, rédacteur en chef du Journal des débats
Austen Chamberlain, ministre des Affaires étrangères britannique
Ivy Muriel Chamberlain, épouse d’Austen Chamberlain
Henri Fromageot, juriste de la délégation française
Friedrich Gaus, juriste de la délégation allemande
Emmy Hennings, écrivaine allemande
Oswald Hesnard, chef du service d’information de l’ambassade de France à Berlin, interprète pour l’allemand de la délégation française
Hermann Hesse, écrivain allemand
Cecil Hurst, juriste de la délégation britannique
Franz Kempner, secrétaire d’État à la Chancellerie allemande
Otto Kiep, chef du service de presse à la Chancellerie allemande
Hermann Knospe, correspondant du Völkischer Beobachter, journal national-socialiste
Konrad Krampff, correspondant de la Kreuzzeitung
Alexis Leger, directeur de cabinet d’Aristide Briand et poète sous le nom de Saint-John Perse
Louise Lenfant, correspondante du Courrier de Genève
Hans Luther, chancelier allemand
René Massigli, diplomate, secrétaire de la délégation française
André Meyer, correspondant de L’Alsace
Ludovic Naudeau, envoyé spécial de L’Illustration
Jules Sauerwein, correspondant du Matin
Carl von Schubert, secrétaire d’État au ministère des Affaires étrangères allemand
Vittorio Scialoja, ministre des Affaires étrangères italien
Aleksander Skrzyński, ministre des Affaires étrangères polonais
Max von Stockhausen, conseiller personnel du chancelier allemand
Gustav Stresemann, ministre des Affaires étrangères allemand
Geneviève Tabouis, correspondante de La Petite Gironde
Émile Vandervelde, ministre des Affaires étrangères belge
Marianne von Werefkin, peintre d’origine russe
Ernst Wibeau, correspondant du Berliner Tageblatt
« Tout à l’heure, j’ai vu un aigle planer au-dessus de ma tête. Un aigle royal, il me semble. Bec jaune recourbé, immenses ailes brunes ourlées de blanc. Il a tourné plusieurs fois autour du chalet de granit, comme s’il attendait quelque chose. Je voyais son œil rond m’observer fixement. Puis, peu à peu, il a élargi ses tours, pris de la hauteur, et il a disparu par-delà la Cima dell’Uomo.
À part l’aigle, je n’ai pas vu âme qui vive depuis mon arrivée. La montagne semble désertique. Même le ruisseau qui coulait derrière l’appentis n’est plus qu’un mince filet d’eau. Il paraît qu’il y avait des chèvres ici autrefois.
Le chalet n’a pas été occupé depuis des années. Sauf par les araignées, dont j’ai fendu les toiles. Une fine couche de poussière brillante recouvrait les quelques meubles. J’ai fait comme si… J’ai nettoyé, aéré, rangé mes quelques affaires. Ouvert tous les placards, compté les bocaux de myrtilles et d’airelles, les fioles d’alcool de gentiane. Je me suis installé. Un semblant de vie normale, en somme. Une vie où l’on range en vue du lendemain.
Quelques boîtes de conserve traînaient dans le bahut. J’ai lu les étiquettes. Les dates de péremption ne sont pas encore dépassées, mais proches. « Comme toi, mon vieux. » J’ai ri.
Dans une malle en osier, j’ai trouvé quelques livres sur la faune et la flore des montagnes, des cartes géographiques, des coupures de journaux jaunies.
Il y avait aussi un vieux cahier cousu, aux feuillets si fins qu’ils semblent s’effriter sous la main. Ses pages sont recouvertes d’une fine écriture à l’encre passée que je ne connais pas.
Je me suis assis sur la terrasse en bois, face à la vallée. En contrebas, on aperçoit le lac, brillant comme une émeraude. J’ai bu une gorgée d’alcool de gentiane et commencé à lire le cahier. C’est le Journal qu’écrivait ma grand-mère, Louise, lorsqu’elle a rencontré mon grand-père, il y a longtemps, il y a un siècle, en 1925.
Je n’ai pas connu mes grands-parents, ils ne sont pour moi que des visages figés sur des photos. Mais papa m’a raconté tant de fois la conférence de paix à laquelle ils étaient venus assister – mon historien de père a même écrit un long article à ce sujet. Alors, forcément, j’ai entendu parler du pacte de Locarno, des poignées de main entre anciens ennemis devant les caméras pour conjurer le retour de la guerre en Europe. Mais j’ignorais l’existence du Journal de Louise. Vertige du temps aboli. Une émotion singulière m’a saisi comme j’ouvrais la première page du cahier.
Bien calé sur mon banc de bois, j’ai jeté un regard vers le ciel, puis je me suis plongé dans l’Histoire…
Dimanche 4 octobre 1925, midi, dans la région du Tessin en Suisse
Le train avance à flanc de montagne au sein d’une vallée encaissée ; en contrebas, la rivière creuse son chemin parmi l’éboulis de roches. Louise somnole un instant, bercée par le roulis, puis se replonge dans son guide touristique. « La région du Tessin a ceci de remarquable que le Nord et le Sud s’y rejoignent et que, en même temps, elle semble coupée du reste du monde, au Nord par l’écran du massif des Alpes et au Sud par un rideau d’eau bleu scintillante voilant l’Italie toute proche… » « Quelle emphase, tout de même… pense-t-elle. Comment peut-on écrire “dans cette région bénie, toute nostalgie disparaît comme par magie” ? Pourquoi vouloir faire disparaître la nostalgie quand, parfois, c’est tout ce qu’il vous reste du bonheur ? »
Au coup de sifflet de la locomotive, elle relève les yeux. Le tableau encadré par la fenêtre a commencé à changer. Les montagnes semblent s’écarter, la vallée s’élargir. Une lumière nouvelle vient réveiller les couleurs. Devant elle, quelque chose brille, s’étend, grandit, et bientôt le voici, enchâssé dans un dégradé mauve de montagnes, immense miroir étincelant de bleu. Le lac Majeur.
– Locarno, terminus ! crie une voix.
Le train s’immobilise dans une petite gare bordée de palmiers et de lauriers-roses. Un flot de voyageurs, malles, valises et sacs se déverse sur le quai. De joyeuses exclamations jaillissent en diverses langues. Il flotte de la douceur dans l’air. Louise ferme un instant les yeux et prend une inspiration.
– Facchini per vostri bagagli!
Un porteur recueille sa valise avec l’adresse de la chambre qu’elle a louée pour quinze jours. Elle, elle veut rallier le centre-ville à pied.
D’un bon pas, elle longe le petit port, respirant avidement l’air lacustre, admirant l’oscillation des voiliers et des navettes. Elle se surprend à penser qu’elle a oublié son chapeau. La voici « en cheveux », comme disait sa mère jadis. D’ailleurs, ses cheveux, elle les a coupés et elle sent comme un vent de liberté caresser sa nuque dégagée. Lilli lui a dit que cette coupe lui allait bien, avec ses cheveux sombres.
Louise arrive sur une vaste place pavée de galets, aux terrasses de café bondées. Le monde entier semble s’être donné rendez-vous sur la Piazza Grande de Locarno. Au centre de ce décor d’opérette aux façades colorées, jaunes, roses, vertes, une tache blanche : l’hôtel de ville. Sur le balcon orné de drapeaux suisses, le conseil municipal est aligné au grand complet pour le lâcher de colombes. C’est Giovan Battista Rusca, maire de Locarno, qui en a eu l’idée. Ce n’est pas tous les jours qu’on attend une conférence de paix, et pas n’importe laquelle : une conférence de paix annoncée comme décisive, pour faire vraiment la paix, enterrer la hache de guerre, surtout entre les deux grands ennemis héréditaires, l’Allemagne et la France. Alors la Confédération helvétique et lui, Rusca, se sont portés candidats pour accueillir cette conférence de la dernière chance, et voilà pourquoi il jubile en donnant le coup d’envoi.
Les colombes s’envolent dans un grand « Hourra ! » et au même instant s’ébranle la fanfare, sous le balcon blanc de la mairie, les cuivres retentissent. Mais soudain, c’est l’émoi.
– Ma che cos’è?
Un éclair a traversé le ciel de haut en bas. Des pépiements stridents déchirent l’harmonie des cuivres. Des plumes virevoltent. Un cri s’élève de mille bouches. Les édiles, porte-drapeaux, trompettes, trombones, tubas, cornets à pistons et cors de chasse courent en tous sens. Le glockenspiel s’est brisé en tombant. Les cymbales roulent à terre. Chahut de souliers ferrés sur la chaussée pavée. Un enfant hurle. Une voix de ténor s’élève :
– Mamma mia! Un aquila! C’était un aigle, je vous le jure, j’ai vu son bec jaune recourbé…
Installée à une terrasse de café, elle l’a vu, l’aigle, fondre sur les colombes, et, l’instant d’après, elle a vu la fanfare éclater comme un tonnerre et les cuivres briller tels des éclairs aveuglants, effrayant sans doute le rapace. Il a filé si vite qu’il n’est déjà plus qu’un point dans le ciel, qui vole vers le mont Cardada.
Sur le pavement de galets gît une petite boule de plumes blanches froissées. Louise bondit de sa chaise, mais un grand rouquin a été plus rapide. Agenouillé devant la colombe blessée, il la recueille très doucement dans ses mains. D’un œil inquiet, l’oiseau le regarde. Il murmure d’une voix nasillarde :
– Kleine Friedenstaube, der Adler hat dich nicht gefressen…
– Cela vous va bien, à vous les Allemands, de parler de défendre les colombes de la paix contre les aigles !
Un type coiffé d’un canotier a apostrophé en français le rouquin et s’est planté devant lui. Il le toise en souriant, les bras croisés. L’Allemand se relève, la colombe toujours au creux de ses mains, et bégaie, l’air surpris, dans un français hésitant :
– Je… j’aime les oiseaux.
– Moi aussi, je les aime, fait le type au canotier en riant, surtout dans mon assiette : cailles, palombes, perdrix, rissolées aux petits oignons et servies avec un chablis bien frais… Oh, mais je plaisante, je n’ai aucune intention de me la farcir, cette colombe symbole de la paix !
Il saisit sur une table une corbeille à pain garnie d’une serviette blanche et la tend au rouquin qui y dépose délicatement l’oiseau étourdi. Côte à côte, les deux hommes portent tel le saint sacrement dans une procession la corbeille d’où dépassent un bec et un œil inquiet.
– Permettez ? Tendez bien la corbeille devant vous et regardez l’objectif…
Louise a sorti un appareil photo miniature et, clic, immortalise la scène.
– Merci, messieurs. La colombe de la paix sauvée par un Français et un Allemand : quel beau symbole d’amitié !
Le Français rétorque avec vivacité :
– De l’amitié ? Vous allez un peu vite en besogne, mademoiselle. On s’est peut-être canardés dans les tranchées…
Troublé, l’Allemand se défend :
– Des canards ? Non non, seulement des pigeons dans les tranchées…
Elle éclate de rire, suivie de l’homme au canotier. Le rouquin les regarde, l’air ahuri, puis leur tend la main :
– Mon nom est Wibeau, Ernst Wibeau, je suis correspondant du Berliner Tageblatt.
– Moi, c’est Louise Lenfant, du Courrier de Genève.
– Et moi, André Meyer, correspondant de L’Alsace. Chers collègues, je suggère que la colombe repose en terrain neutre, en Suisse donc, auprès de vous, mademoiselle. Vous voulez bien ?
Louise prend la corbeille. La colombe l’examine de son œil rond sans protester. Ils s’attablent tous trois à la terrasse du café.
– Meyer et Wibeau… Quand même, c’est amusant, non ?
La jeune femme les observe, l’un puis l’autre, avec un petit sourire en coin.
– Un Français qui porte un nom allemand et un Allemand, un nom français…
– Ah, en effet, soupire André Meyer en se redressant. Je suis alsacien, d’une famille qui a choisi la France en 1871, et fier de l’être.
– Et ma famille à moi est d’origine huguenote, complète Ernst Wibeau. Elle s’est réfugiée à Berlin pour fuir les persécutions de Louis XIV contre les protestants.
Ils se regardent, vaguement ébranlés. Ils n’ont pas le temps d’approfondir ce sentiment, car déjà on s’amasse autour d’eux. De toutes parts, on accourt. On applaudit. Au centre de la table, l’œil apeuré de l’oiseau roule de l’un à l’autre. D’autres tables sont apportées, et des chaises, à grands raclements sur les pavés. On se serre, on plaisante, on commande des cafés et des limoncelli. Quand tout le monde est installé, un silence se fait. On se surveille du coin de l’œil, en fumant, un peu gênés.
– Un ange passe, lance une voix.
– Pourvu que ce soit un ange de la paix, répond une autre.
Des rires, puis à nouveau plus un bruit. Français, Allemands, Italiens, Anglais, Polonais, Tchèques, accourus de toute l’Europe pour suivre la conférence de paix tant attendue, les voici coude à coude à s’observer. Amis ? Ennemis ? Quelques-uns finissent par se lever et retournent à la table de leurs compatriotes. Les blocs se reforment. Les cicatrices sont trop fraîches. Le souvenir des tranchées trop vif. Là un borgne, là un manchot. Chacun chez soi, c’est plus prudent.
Ils demeurent tous les trois seuls autour de la colombe. Un gros saint-bernard se faufile entre les chaises et s’arrête à leur table, flairant l’oiseau. Le rouquin, d’une main ferme, l’empêche de s’approcher tout en lui caressant la tête. Le chien lui jette ce regard si entier et confiant qu’ont les bêtes et qui l’émeut chaque fois. Ce chien paraît si paisible, malgré ses crocs et ses griffes. « Pourquoi, se demande Wibeau, les animaux, eux, contiennent-ils leur violence et ne connaissent-ils pas la vengeance ? Que peut bien penser d’eux ce chien ? Sans doute qu’on ne sait jamais avec ces drôles d’humains, souvent imprévisibles. »
Le chien a bien perçu qu’il y avait plusieurs meutes d’hommes rivales. Celle des mâles dominants, fiers, gonflés d’eux-mêmes, sentant l’odeur de la force et de la puissance. Ils marquent leur territoire en faisant du bruit, en montrant les dents. Les quelques femelles présentes essaient de paraître attirantes en retroussant leurs babines et en émettant de petits bruits de gorge. Les mâles dominants passent leur temps à se défier entre eux, mais aussi à défier la meute voisine, la meute des vaincus. Ceux-là montrent moins les dents. Ils ne sont pas chétifs, pourtant. Certains semblent même plus grands et plus forts, mais ils courbent l’échine. Ils évitent de regarder les dominants dans les yeux. Leurs voix sont étouffées. Ils se serrent les uns contre les autres, comme craignant une attaque. Ils sentent l’aigre, comme ceux qui supportent mal leur soumission.
Et puis il y a ce groupe mêlant les deux meutes. Il a repéré chez eux un ami sincère des bêtes, un grand au pelage poil de carotte. Voilà que l’homme lui donne un peu de saucisse. C’est bon. Il lui lèche la main en signe de reconnaissance et l’homme le gratte délicatement entre les yeux. Il se laisse faire et gémit doucement sous sa caresse. Il aime la manière dont la main de l’homme le touche. Il y a dans cette main de la chaleur, de l’affection. Il ferait un bon maître et le chien se sent capable de l’aimer jusqu’à la fin de ses jours.
Cependant, cet homme est un ami de toutes les bêtes, même des plus stupides comme cet oiseau blanc posé au centre de la table. Il protège le volatile, sûrement blessé, sinon celui-ci se serait envolé. Une proie facile en principe. Mais le chien a compris, il ne faut pas toucher à la bestiole à plumes. Alors il s’allonge aux pieds de l’homme, son épais museau posé sur ses pattes avant, en lui coulant de temps en temps un regard humide et doux.
Rassuré, Ernst Wibeau peut enfin se tourner vers sa voisine.
– Vous avez une jolie petite caméra, mademoiselle Lenfant.
Louise sourit.
– Oui. C’est une Ermanox. Très pratique : pas besoin de trépied ni de temps de pose.
Il tire de sa poche un appareil photo tout aussi miniature.
– Voyez, moi aussi j’aime la photo. J’ai trouvé à la Foire de printemps de Leipzig cet appareil incroyable, tout nouveau. Une optique très performante, la même que pour les microscopes. Un film souple comme pour le cinéma. Plus besoin de plaque en verre, on peut prendre trente-six photos à la suite. Ça s’appelle un Leica. Vous voulez essayer ?
André Meyer tente de ramener la conversation à lui :
– Alors, comme ça, vous êtes suissesse, mademoiselle ? Cela ne s’entend pas…
– Je vis à Genève, mais je suis parisienne d’origine.
Louise a plongé son regard vers sa tasse. Elle n’a pas l’air de vouloir s’étendre sur le sujet.
– Ah, je me disais bien…
Un groupe de Français s’approche et entoure Meyer.
– Eh, André ! Tu rejoins la tablée ? On a le temps de boire un verre avant la conférence de presse.
Meyer se lève d’un coup, soulève son canotier et s’excuse, les copains et le devoir l’appellent.
– À la prochaine, hein ?
Puis c’est au tour de Wibeau d’être interpellé par ses compatriotes :
– Wibeau, na komm schon und trink mit uns!
Le rouquin se déplie lentement, salue Louise avec cérémonie, en inclinant la tête d’un petit coup sec, à la prussienne. La jeune femme ne peut s’empêcher de rire. Elle se penche vers la colombe, dont une aile tremble légèrement, et lui chuchote :
– Les hommes nous abandonnent, ils reconstituent leurs tranchées. Chacun de son côté. Mais nous, on reste ensemble, hein ?
L’aigle a filé à vive allure vers son aire natale, à l’aplomb de la falaise à pic. Loin de la folie de ces créatures imprévisibles, qui semblent commander l’orage et les éclairs. Sale journée pour le rapace. Il rentre bredouille, lui le roi du ciel, le guerrier puissant qui domine le monde solide peuplé d’êtres rampants, lui le chasseur qui doit perpétuer sa lignée dont seuls les plus forts sont dignes de survivre, selon la loi de l’espèce.
Mais, ce matin, il a eu beau ajuster la focale de ses yeux acérés, deux billes jaunes qui ne cillent jamais, et balayer la terre, fouiller, darder, viser tout ce qui bougeait, cible potentielle à sang chaud, à mesure que remontaient vers lui les effluves des forêts, chlorophylle des noisetiers ou âcre parfum d’humus et d’aiguilles de pin décomposées, nul lièvre des neiges, nul jeune bouquetin égaré à emporter. Rien. Rien que feuilles agitées par le vent, clapotis de ruisseau, agitation de créatures trop insignifiantes pour lui. Les proies dormaient-elles ? Il enrageait. Tuer, égorger, étriper, dépecer ! criait son sang. Lorsqu’il a aperçu le ruban bleu du lac festonné de montagnes, il a jubilé : le domaine des humains regorgeait de proies – agneaux égarés, tendres chiots, grasses poulardes. C’est alors qu’il a vu s’élever une nuée d’oiseaux blancs. Ils semblaient trop petits de prime abord, mais leur blancheur était promesse de chair délicate. En un piqué éclair, il a fondu sur l’un des volatiles, le crochetant de ses puissantes serres.
Puis un bruit effrayant comme le tonnerre a déchiré son tympan. Une lumière tranchante comme la foudre l’a aveuglé. Quoi ! Un orage sous ce ciel bleu ? Il ne comprenait plus. Alerte, alerte maximale ! Son instinct de survie a pris le dessus. En un clin d’œil, le rapace a lâché sa proie pour filer droit vers le ciel, les muscles bandés à l’extrême, les ailes battant à un rythme jamais vu, son record de vitesse d’ascension explosé. Qu’avaient-ils encore inventé, ces humains ?
Dimanche 4 octobre, après-midi
Le grand salon de l’hôtel Esplanade, à Minusio, bruit comme une volière. On entend parler toutes les langues européennes. Deux cents journalistes sont accrédités pour suivre la conférence de paix.
Des appareils photo crépitent quand la délégation allemande fait son entrée. « Ils n’ont pas l’air commode, les Prussiens », entend-on marmonner à l’avant-dernier rang. Le chancelier Hans Luther et son ministre des Affaires étrangères, Gustav Stresemann, prennent place sur le podium. Ils savent que la partie ne sera pas facile. Gagner l’opinion publique est au moins aussi important que réussir les négociations à venir ; c’est pourquoi ils ont organisé cette première conférence de presse internationale. Le silence se fait, bientôt rompu :
– Une question pour M. Stresemann… Monsieur le ministre, est-il vrai que la raison pour laquelle vous êtes arrivés hier par des chemins détournés est que vous craigniez un projet d’attentat contre vous ?
Gustav Stresemann, engoncé dans un costume trois-pièces un peu trop chaud pour l’air encore doux du Tessin, s’efforce de sourire. Ils sont bien renseignés… Il ne va tout de même pas leur raconter qu’ils sont venus en hommes traqués, de vrais parias, obligés de descendre à Bellinzone, l’arrêt précédant Locarno, puis de faire discrètement le reste du trajet en automobile. L’ambassadeur allemand en Suisse était monté dans leur wagon à Berne pour les informer d’un projet d’attentat contre lui, ourdi par la brigade Ehrhardt, des ultra-nationalistes également financés par l’Internationale communiste, prête à toutes les alliances, même contre nature, pour déclencher la révolution mondiale. Certains volontaires de la brigade se sont rétractés, mais la prudence reste de mise, l’affaire n’est peut-être pas réglée.
Stresemann n’a pas envie de finir comme son prédécesseur au ministère des Affaires étrangères, Walther Rathenau, assassiné trois ans plus tôt en plein jour à Berlin. Il préfère répondre avec humour – rien de tel pour mettre dans sa poche les journalistes.
– Je viens en effet d’enlever mon postiche… Non, sérieusement, est-ce que je ressemble à quelqu’un qui se cache ?
– Mais tout de même, renchérit un autre journaliste, la délégation allemande s’est installée à l’écart de Locarno, à Minusio : pourquoi ce souci de discrétion ?
– Voyez-vous, nous n’avions pas les moyens de nous payer un grand hôtel en centre-ville, réplique Stresemann en montrant ses poches vides. Le gouvernement a d’autres factures à régler en ce moment pour des réparations urgentes…
La salle s’esclaffe. Tant mieux. Stresemann n’est pas du genre à étaler son amertume. Les hommes de la jeune république de Weimar ont l’habitude d’être humiliés. Ils sont lestés du poids de la défaite, qui n’est pourtant pas la leur, mais celle du défunt Empire. Les Alliés ont exigé de ne voir aux négociations de l’armistice puis du traité de paix aucun représentant du Reich ou du haut commandement de l’armée, uniquement des civils démocratiquement élus. Ceux qui ont mené le pays à la défaite ont ainsi pu échapper à leurs responsabilités. Le Kaiser a fui dès novembre 1918, en laissant à la nouvelle république un pays vaincu et en proie à la révolution. Mais les Alliés ne font pas dans le détail. L’Allemagne reste l’Allemagne : peu importe qu’elle soit devenue une démocratie, où les femmes ont le droit de vote depuis 1918 ; le jeune État conserve une image militariste aux yeux du monde. Triste ironie de l’Histoire, ce sont eux, les hommes de la jeune république démocratique de Weimar, qui portent le déshonneur d’une Allemagne mise au ban des nations.
La délégation allemande s’est installée à l’hôtel Esplanade, la veille au soir. La pleine lune diffusait une lumière blanchâtre. Tous étaient fatigués par le long voyage. Des effluves sucrés de raisin et des parfums de rose et de jasmin montaient des jardins. Ils ont ôté leurs lourds manteaux. La douceur du climat en ce mois d’octobre donnait envie soudain d’être sentimental. Gustav Stresemann pensait à Käte, sa femme adorée, restée à Berlin. Hans Luther songeait avec attendrissement à ses deux petites filles, Gertraud, onze ans, et Eva Marie, quatre ans, qu’il élevait seul depuis la mort de sa chère Gertrud. Le secrétaire d’État Carl von Schubert se remémorait avec nostalgie un séjour avant guerre dans un palace à Locarno avec son élégante épouse Renata. Quant à Otto Kiep, le responsable du service de presse à la Chancellerie, le lac Majeur dans la lumière du soir lui rappelait le Loch Lomond, près de Glasgow, où il avait passé une enfance heureuse au sein d’une famille de grands négociants originaires de Hambourg. D’autres encore pensaient à leur fils ou à leur frère tombé devant Verdun et qui plus jamais ne connaîtrait cette félicité.
Ils contemplaient le lac Majeur, incendié par le soleil couchant, scintillant de mille feux. La lune, ronde, était maintenant au-dessus de la dentelle de montagnes noires. Des cloches carillonnaient de toutes parts. Après un dîner frugal, ils se sont rendus, silencieux, à la bénédiction par l’évêque des futurs travaux de la conférence de paix. La délégation allemande, quoique en majorité protestante, était de loin la plus nombreuse à l’église des pères capucins du monastère della Madonna del Sasso, érigé sur les hauteurs de Locarno. Le mot « PAX » inscrit sur son fronton brillait dans la nuit comme une exhortation céleste. De là-haut, le lac ressemblait à un diamant noir dans son écrin de velours sombre. »
Extraits
« — La conférence qui s’ouvre demain sera cruciale. Il ne faut pas laisser filer la paix. Entre la France et l’Allemagne il n’est pas d’autre alternative : l’amitié ou la guerre. Parier que la paix est possible, c’est le moindre risque. Les germes de la revanche semés dans une nation finissent toujours par lever dans une tempête, or nous sommes quarante millions de Français face à plus de soixante millions d’Allemands.
Un oiseau crie dans le ciel, zigzag noir sur l’émail azur. Le vieil homme lisse sa moustache et murmure :
— Il faut influencer à temps l’orientation du peuple allemand. Repoussons l’amitié et l’on aura la guerre, tôt ou tard. Et, cette fois, elle sera plus féroce encore. Et nous la perdrons. » p. 40
« Mais voilà que Briand lance sa boutade : « Ne continuez pas, monsieur le chancelier, vous allez tous nous faire pleurer. » Et là, Stresemann comprend soudain. Sa finesse d’esprit, son intelligence désabusée des cœurs. Il l’observe. Voici un grand artiste de la politique, un homme profondément libre. Si libre qu’il peut se permettre d’être seulement un homme, sans les apparences de la dignité, ni les attributs du pouvoir. Un homme dans sa pleine humanité, un Mensch. C’est devenu si rare. E cela lui plaît d’imaginer un dialogue de Mensch à Mensch avec cet homme-là. La route sera certes difficile, car on ne saurait sous-estimer un tel virtuose, qui jouera, à n’en pas douter, de son charme roublard de vieux chef gaulois avec maestria dans les négociations. Mais il aime à relever les défis. » p. 54
« Depuis qu’il est malade, Stresemann sent une urgence en lui. La maladie, en écourtant son espérance de vie, a en même temps affiné sa compréhension des hommes et des choses. Il sait ce qu’il doit faire : relever son pays, mais en tendant la main. Le faire revenir sur la scène internationale, où il est pour l’heure traité en pestiféré. C’est pourquoi il a tenu à avoir le portefeuille des Affaires étrangères, qu’il entend garder jusqu’à son dernier souffle. » p. 110
« Ils gardent le silence devant la beauté assourdissante du paysage. L’eau du lac, calme en apparence, est agité de vaguelettes qui viennent mourir sur la rive. Les montagnes se dressent en sentinelles alentour, écrans successifs de bleus en camaïeu. Briand reprend d’une voix basse, comme s’il se parlait à lui-même. On me voit en rêveur de la paix, mais c’est faux, je ne suis pas un rêveur. Je pèse, je soupèse, je prévoie les coups. Il fait quelques pas et prend une grande inspiration, face au lac. La conférence qui s’ouvre demain sera cruciale, il ne faudra pas laisser filer la paix. Entre la France et l’Allemagne, il n’est pas d’autre alternative : l’amitié ou la guerre. Parier que la paix est possible, c’est le moindre risque. Les germes de la revanche semés dans une nation finissent toujours par lever dans une tempête. Et nous sommes quarante millions de Français face à plus de soixante millions d’Allemands… Un oiseau crie dans le ciel, zigzag noir sur l’émail azuré. Le vieil homme lisse sa moustache et murmure Il faut influencer à temps l’orientation du peuple allemand. Repoussons l’amitié et l’on aura la guerre, tôt ou tard. Et cette fois, elle sera plus féroce encore. Et nous la perdrons. »
« Stresemann, croisant le regard de Briand, éclate soudain d’un rire énorme. Un rire chaleureux, sans fard, qui découvre des dents du bonheur et soulève la carapace qui le protégeait. Briand le voit rire, et ce rire lui fait saisir sa matière humaine, l’enfant qu’il fut, l’homme qu’il est devenu, lui fait comprendre de quels rêves, de quels désirs, de quels tourments il est tissé. Stresemann a fendu l’armure et s’est laissé découvrir, avant même de parler. Cela plaît à Briand. La falaise abrite donc un cœur. Ça palpite au dedans. Avec un tel homme, on peut échanger, chercher un terrain d’entente, mettre en confiance. L’atmosphère se détend d’un coup. Une seule phrase et un rire ont lancé le mouvement. On va pouvoir commencer à écrire l’histoire. »
« Stresemann prend la parole avec une certaine solennité. Il sait que les points qu’il va exposer ne relèvent pas stricto sensu de la conférence, mais ils sont d’une importance cruciale pour la délégation allemande, qui ne peut pas les passer sous silence. Crânement, méthodiquement, il énumère leurs revendications. Évacuation de Cologne, abrègement de l’occupation de la rive gauche du Rhin à moins de quinze ans, réduction de l’armée d’occupation, départ des troupes coloniales françaises, avancement du plébiscite en Sarre, révision de la clause de culpabilité de guerre.
— Par ailleurs, la crise du logement est telle dans les territoires occupés de Rhénanie que, ne serait-ce que pour cette raison, les troupes d’occupation doivent être réduites et cantonnées à certaines garnisons. L’opinion allemande ne comprendrait pas qu’un pacte n’entraîne pas des progrès en ces domaines. » p. 193-194
« Et il y a une énergie folle dans cette attente. Une intensité volcanique dans les regards. Les visages, les arbres, les maisons, le lac et les montagnes brillent d’un feu intérieur incandescent : tout est illuminé. Tout irradie. C’est une pulsation, une vibration de tout. On perçoit l’en deçà, le sous-jacent, l’infra-réalité, la trame, la formule chimique, la combinaison secrète des choses. Les couleurs se décomposent en nuances. La lumière chatoie de toutes les teintes du prisme. Tout chante, tout danse, tout s’enivre.
Alexis Leger aussi a envie de s’étourdir, d’enlacer une jolie femme sans plus prononcer un mot, de s’adonner à la sensation pure. Redevenu poète ce soir, l’homme grave au rire d’enfant se glisse dans la liesse de la nuit étoilée. Sur la piazza, la foule compacte s’étreint, s’embrasse, s’épaule. On se serre la main, on se donne l’accolade, on regarde ses voisins. Des applaudissements crépitent. Des rires fusent. Des chants d’allégresse s’élèvent de mille gorges. Des rondes se forment. Main dans la main, Louise Lenfant, Ernst Wibeau, André Meyer, Marianne von Werefkin, Charlotte Bara, Rudolf von Laban, Gusto Gräser et ses filles ont rejoint la farandole, tandis qu’un orchestre de charleston se déchaîne.
Toute la nuit, on danse dans les rues de Locarno.
Pace. Peace. Frieden. Paix.
La paix ressemble à cela : un vertige au cœur des hommes. » p. 268-269
À propos de l’autriceChristine de Mazières © Photo DR
Christine de Mazières, née dans une famille franco-allemande, est magistrate et vit dans la région parisienne. Elle a publié deux romans, Trois Jours à Berlin et La Route des Balkans, aux éditions Sabine Wespieser. (Source : Éditions du Seuil)
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