Althea Gibson, la championne qui a ouvert la voie à Serena Williams

Althea Gibson, championne ouvert voie Serena Williams

White Only (Julien Frey – Sylvain Dorange – Editions Vents d’Ouest)

1938, dans le quartier pauvre de Harlem. La petite Althea Gibson est une vraie terreur des terrains de sport. Intrépide et déterminée, elle défie les garçons dans toutes les disciplines, que ce soit le basket, le baseball, l’athlétisme ou le paddle-tennis, une sorte de tennis des rues qui se joue avec des raquettes en bois. Souvent, Althea brosse les cours pour pouvoir s’adonner à sa passion du sport, ce qui met son père dans une rage folle. Pour lui montrer le destin qui l’attend si elle ne va pas à l’école, il l’emmène faire un tour dans les rues les plus glauques de Harlem, où règnent la misère, l’alcool et la drogue. Mais Althea est du genre obstiné: elle veut prouver à son père qu’elle peut devenir une grande championne. En 1940, elle saisit sa chance lorsqu’on lui propose d’intégrer le Cosmopolitan Tennis Club de Harlem, où elle montre rapidement toutes ses capacités et enchaîne les victoires. Le hic, c’est que dans l’Amérique encore très ségrégationniste de ces années-là, les Noirs comme Althea Gibson ne peuvent tout simplement pas jouer contre les Blancs. Les Noirs ont leurs propres clubs, leurs propres tournois et leur propre fédération, l’American Tennis Association. Autrement dit, il est alors impossible pour une championne prometteuse comme Althea Gibson de participer au championnat national de Forest Hills, l’ancêtre de l’US Open. L’Amérique des années 1940 n’est clairement pas encore prête pour une championne de tennis noire. Encouragée par ses entraîneurs, qui sentent qu’ils tiennent là une joueuse capable de « botter le cul » des autres joueurs dans les « tournois des blancs », Althea continue malgré tout à s’accrocher à son rêve. Ses revendications légitimes finissent par être entendues, notamment grâce au soutien de la championne blanche Alice Marble. Elle devient la première joueuse noire à remporter des tournois du Grand Chelem: Roland Garros, Wimbledon et puis, consécration suprême, Forest Hills. Son parcours de pionnière, ses victoires et son engagement ouvrent la voie à l’émergence d’autres grands joueurs de tennis noirs comme Arthur Ashe, les sœurs Williams ou Coco Gauff.

Althea Gibson, championne ouvert voie Serena Williams

En ce 8 mars, journée internationale de lutte pour les droits des femmes, il est important de se souvenir de la personnalité hors du commun d’Althea Gibson. Car si elle-même répétait souvent que la politique ne l’intéressait pas, son parcours admirable a servi d’exemple à tous les sportifs et toutes les sportives de couleur aux Etats-Unis. La BD qui lui est consacrée commence d’ailleurs par deux citations. La première est de Serena Williams, qui a remporté 39 titres du Grand Chelem en simple et en double: « Althea m’a donné du bonheur et la fierté d’être noire. Elle a été pionnière pour tout le tennis, pas seulement le tennis féminin. » L’autre citation est d’Arthur Ashe, le premier joueur noir à remporter l’US Open en 1968: « Je n’aurais pas eu la chance de faire ce que j’ai pu faire si Althea Gibson ne m’avait pas ouvert la voie. » On comprend mieux pourquoi le scénariste Julien Frey et le dessinateur Sylvain Dorange ont choisi de remettre à l’honneur cette championne un peu oubliée. Leur biographie dessinée est sobrement intitulée « White Only », en référence à la couleur des habits de tennis bien sûr, mais aussi et surtout à l’implacable ségrégation raciale de l’époque. Les auteurs dressent le portrait d’une jeune femme obstinée, dotée d’un sacré répondant, qui va tout faire pour devenir la meilleure dans son sport, même si cela implique d’affronter son propre père ou d’être confrontée au racisme et aux remarques désobligeantes. Car avant même de pouvoir affronter des joueurs blancs, Althea doit d’abord se faire une place auprès de la bourgeoisie noire de Harlem, elle qui vient d’un milieu défavorisé. Pour raconter l’histoire de cette pionnière, qui a lutté pour les droits civiques à sa façon, les deux auteurs choisissent de raconter à la fois les combats menés par Althea dans la vie et ses affrontements sur les terrains de tennis, ce qui rend leur récit d’autant plus passionnant. Le dessin semi-réaliste de Sylvain Dorange, qui utilise des couleurs chaudes se rapprochant de celles de la terre battue, apporte beaucoup d’élégance à cette bande dessinée. « White Only » dresse le portrait d’une jeune femme forte, décidée, qui ne recule devant rien pour atteindre ses objectifs. Un récit qui devrait inspirer tous les sportifs.


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