Villa Bergamote



Villa Bergamote

En deux mots

Roxane est éblouie par la Villa Bergamote, propriété d’un couple de politiciens poursuivis par la justice pour de nombreuses affaires. Aussi décide-t-elle d’en devenir propriétaire en épousant le fils de la famille et en lui faisant deux enfants. Tout va bien, jusqu’au jour où des scrupules viennent la travailler…


Ma note

★★★ (bien aimé)



Ma chronique

Les beaux rêves ont un prix


Un huis clos ensoleillé où la lumière aveugle plus qu’elle ne révèle. Dans « Villa Bergamote », Mona Messine orchestre une tragédie moderne où le faste des Antilles sert d’écrin à une ascension illusoire et une déchéance programmée.

Quand elle a débarqué sous le soleil des Caraïbes, Roxane n’imaginait pas qu’elle tomberait amoureuse de la splendide propriété sur laquelle était érigée la Villa Bergamote, huit hectares de luxe, calme et volupté. Alors très vite, elle a décidé que cette Villa serait la sienne. pour cela, elle a oublié ses origines modestes et s’est attachée à « Chéri », le fils de « Monsieur » et « Madame », ce couple politique très en vue. « Je pouvais me construire une vie ici », pense-t-elle, au milieu d’invités ivres d’eux-mêmes, dans une insouciance qui ne va pas tarder à montrer son vrai visage. Sous le vernis des soirées étourdissantes et des privilèges éclatants, Roxane va découvrir que ses beaux-parents, jamais nommés, sont des politiciens véreux en cavale fiscale, englués dans les malversations et le trafic d’influence. Les amateurs de romans à clé pourront y voir le couple Balkany.
D’abord passive, aveuglée par le confort et la splendeur de son nouveau milieu, la jeune femme « ferme les yeux » et s’accommode de cette corruption latente. Toute à sa volonté de faire de cette Villa la sienne, elle va tomber enceinte. Un fils, puis bientôt un second enfant venant sceller une union qui lui garantit la jouissance de « sa » Villa.
Seulement voilà, dans ce roman qui peut se lire comme une déposition, la conscience de Roxane vacille. « On décide chaque jour ou non d’ouvrir les yeux », constate-t-elle. Et quand un journaliste l’approche, lui proposant un poste dans une émission de télévision en échange d’informations, elle hésite : la loyauté ou la fuite ?
Dans une langue nerveuse et lapidaire, Mona Messine dissèque avec minutie un univers où pouvoir et corruption s’entremêlent, où les puissants ne pardonnent pas l’indépendance. La mémoire de Roxane, brouillée par les cocktails et les antidépresseurs, recompose par bribes un scandale politique et intime, entre satire sociale et vaudeville grinçant.
Après Biche, son premier roman au parfum de conte écologique, Mona Messine frappe encore fort avec Villa Bergamote. L’autrice s’attache à explorer les zones grises de la conscience humaine et les dérives du pouvoir. Son écriture, aussi tranchante que sensorielle, donne à voir des mondes où l’apparence dicte la loi, où le réel vacille sous la pression du mensonge et du désir. « Vous verrez, tout est fou, mais tout est vrai. Paraît-il que le grand public aime les histoires. Je vous donne de quoi vous satisfaire. »
Avec ce roman incandescent, elle signe un grand déballage politico-médiatique sous les alizés, où l’ivresse du luxe n’étouffe jamais tout à fait la mauvaise conscience. Car, sous le soleil trompeur des tropiques, les mirages ont un prix.

Villa Bergamote
Mona Messine
Bouclard Éditions
Roman
160 p., 17 €
EAN 9782493311115
Paru le 10/01/2025



Où ?

Le roman est situé principalement sur une île des Caraïbes.



Quand ?

L’action se déroule de nos jours.



Ce qu’en dit l’éditeur

Villa Bergamote c’est un scénario à la Dallas. Roxane, belle-fille d’un couple politique en vogue, constamment en proie à la justice, essaye de survivre en milieu hostile : domestiques soumis, paparazzis déchaînés, fiscalité oppressive, .357 Magnum caché dans le tiroir du bureau. Liens d’argent, de pouvoir et d’amour vont cohabiter plusieurs années dans la Villa Bergamote, cadeau de mariage de ses beaux-parents sur une île des Caraïbes. Villa Bergamote un vaudeville noir chez les ultrariches.



Les critiques

Babelio 
Le Matricule des Anges (Anthony Dufraisse) 
Blog Joellebooks 
Blog La plume démasquée 

Les premières pages du livre

« 1
Entrailles éclaboussées sur les pavés extérieurs, le cancrelat ruisselle. La bête est en train de mourir, couchée sur le dos. La tête est arrachée, mais elle bouge encore : la décapitation n’a pas suffi, on croirait qu’elle en redemande. Les six pattes, fuselées, clignotent seules dans l’air, néons qui s’agitent le long des Élysées, puis, une par une, s’éteignent sous l’ombre tropicale. L’insecte deviendra festin pour moustiques. La chaussure qui l’a écrasé ne dévie pas, ne s’arrête pas de courir. Elle porte à peine la trace de l’animal mort. Elle n’a rien vu, ou fait semblant. Je l’observe maintenant se glisser à l’intérieur de la Villa. Elle franchit la baie vitrée. Son propriétaire est parti nous faire servir une
carafe de jus d’orange frais. D’orange, pas de « Bergamote », m’a-t-il précisé. Ce n’est que la première fois que je suis reçue dans la Villa, mais je comprends que sa blague est rituelle.
Je fais semblant de rire, compromis pour lui plaire. Cela aussi devient rituel. Madame et Monsieur, ses parents, n’ont pas prévu de nous rejoindre pour les vacances. Tant mieux : je les connais encore mal. Je n’avais pas envie de fournir l’effort. Paresser et jouir, cela suffira bien pour un été court.
Il ressort. Proteste contre le besoin de se lever pour aller chercher ce qui lui manque. Cela serait contraire au repos de l’âme. La blatte, elle, peut maintenant dormir. Je n’ai jamais compris ce qu’il faisait dans la vie. Je ne comprends donc pas en quoi s’applique le terme de vacances. Mais pour moi, je le sais : à son visage bronzé qui s’approche de mon cou, aux jambes brillantes et parfumées de monoï, au coucher de soleil sans veste porter, aux voisins, amis, qui viendront demain soir célébrer cette vie avec nous. Sous les rires, sous les palmiers. La maison projette son éclat sur l’île. Je l’ai adorée dès que j’en ai franchi le portail, éblouie par la lumière qui se reflétait sur ses murs blanchis, étourdie par le parfum enivrant du jardin. J’ai bien vu qu’il était prêt à tout pour la conserver pour l’éternité. Moi aussi.
A posteriori, je crois que c’est cela qui m’a perdue. Pourtant, cela n’était pas si évident.
Voyage en business class, mais pas en Première. Villa luxueuse, mais pas de yacht amarré au port. Certainement pas plus de huit millions de francs. Riches, mais pas fracassants. Pas de rumeur de cailloux africains. Tout ça, en plus, c’était avant la crise. Je me dis que tout est possible, que c’est à ma hauteur. Je force l’homme à sortir pour explorer les environs. Un hochement de tête, une épaule dévoilée, cela suffit quand on a la clavicule fine. Nous marchons dans la rue qui borde la Villa. La sieste à l’intérieur a été précieuse, mais n’a pas meublé ma journée. Je ne comprends pas pourquoi tu veux te rendre sur ces chemins d’épines, interroge-t-il, n’avons-nous pas tout ce qui est nécessaire à la maison. Je l’ai rassuré : c’est l’histoire de quelques pas, de mettre le nez dehors. Déjà, je veux connaître les sentiers adjacents à Bergamote par cœur, savoir sur quoi elle repose. Je cède, nous rentrerons pour le dîner, puis l’entraîne hors de la route goudronnée pour atteindre un espace plus clément. Les chemins de terre et le paillis de bambou pourraient apaiser notre foulée. Mais ils n’existent pas. Tout est de béton, de tracé perpendiculaire. Seules des allées conduisant aux villas concurrentes dénotent.
Nous ne connaissons pas les voisins. Il dit que cela n’a pas d’importance. Je plisse les yeux sous la force du soleil.
Nous ne nous aventurons pas. Au loin, la vue de la mer des Caraïbes, ou de l’océan, je ne sais pas encore. Les voiliers ne voguent pas si loin, finalement. C’est tout ce qui semble compter : la localisation. Au bord d’un étang saumâtre et vert que je devine seulement, les arbres nous arrêtent. Nous ne pouvons pas continuer. Je bifurque. Il me suit, me rattrape. Il traîne du pied avec l’air de l’homme qui pense perdre son temps. Je tire sa main dans la mienne et minaude. La route descend vers la côte. Bergamote domine une colline, de là nous contemplons tout. Il dit qu’en bas, nous voyons moins de gens. Je dis que d’en bas, nous voyons plus de choses. La Villa, je l’ai remarquée dès l’atterrissage, comme un rubis qui rehaussait leur île. Si on me laissait approcher, je donnerais mon temps à la polir. Nous prenons à droite. Au bout se trouve la baie des Amandes. J’entends les vagues gronder, je devine leur couleur bleu jasmin. Le nuancier dans ma tête fait dériver le fade en romantique. C’est l’habitude du désastre. La révolte chromatique. Quand on a galéré toute sa vie, de beaux couchers de soleil peuvent suffire à tout éclipser. Je l’ai senti, inconsciemment, tout de suite, mais je ne pourrais en statuer la portée que plus tard. En attendant, j’étais émerveillée. Ses yeux à lui produisaient l’effet sur moi d’une première boule à facettes, comme à quinze ans.
Bergamote, elle, m’a conquise en une seule respiration. Je pouvais me construire une vie ici. Et puis, il y avait la fête du lendemain.
Mon nouveau mec pointe son index vers la maison d’un ami. Le château est symétrique, selon lui : beau. Je m’extasie maintenant. Il se satisfait. Mais bientôt, je m’échappe entre les miniatures monts de sable, imagine des dunes de désert à la place, le vent qui torture au lieu de rafraîchir et brûle les peaux d’un seul frottement. Je dénude mon autre épaule. Il s’approche, pose ses deux mains sur moi, m’encercle. À moi, murmure-t-il. Il embrasse ma joue. Nous opérons un demi-tour, nous rentrons. Sur le canapé du salon, il me fait l’amour. À travers la vitre, le soleil m’écrase.
Il prend mon corps. Lorsque cela est terminé, il attrape sérieusement ma robe, tombée au sol. Il me la tend. Je me rhabille. Sur moi, il la tire un peu plus vers le bas, pour la défroisser. Qu’aucune chair affranchie ne dépasse, ne tente de s’évader. Il me dit qu’il gère les invitations pour le lendemain soir. Je vaque à mes occupations. Je retouche les assortiments de fleurs, je détaille les rares tableaux posés à même les meubles. J’attends qu’il s’éloigne pour explorer la chambre de ses parents, mais devant l’impératif renouvelé de la sieste, je renonce. Il fait chaud et humide, le ruissellement de l’eau depuis les fontaines jusqu’à la piscine me berce. Plus tard, la gouvernante aura servi le dîner sous la véranda. Il n’y a donc qu’à dîner. Leste, invisible, elle débarrasse, la salade de fruits tout juste terminée. C’est à peine si je la distingue, c’est un froissement de tissu qui s’échappe dans la cuisine, une main sur le robinet, des assiettes qui plongent dans l’eau tiède. Ce soir-là, je n’ai pas pensé à lui adresser la parole. Si j’avais su, je m’en serais fait une amie.
Je crois que nous avions à peu près le même âge, mais nos deux places nous séparaient.
Je n’ai rien fait du jour. Nous buvons un dernier verre de vin. Nous parlons peu et je tombe amoureuse. Je ne sais pas si ce sont les paillettes ou les liqueurs. Peut-être la dopamine, due au trop-plein de plaisir. J’ai joui deux ou trois fois au passage, je l’avoue. C’est que je n’avais jamais vu auparavant de tels palaces. Je me suis sentie arrivée, j’ai cru que ce serait facile. En vérité, j’avais bien avec cet homme des points en commun. Nous nous sentions isolés, chacun à notre manière. Moi, je venais d’un lieu sans amour, je n’ai pas vraiment de famille. Et lui ? C’est quelque chose de grandir avec des parents tels! Pour tout vous dire, je l’ai trouvé aussi très beau. S’il faut répondre de cela, hormis détailler le processus, je ne pourrais rien faire. J’allais m’assimiler, ai-je pensé, une fois la gouvernante repartie dans ses quartiers. Mais je me suis plantée. Je dois vous raconter.
Fait, après fait, puisqu’il n’y a qu’à la réalité que vous aspirez de croire. Je me défends d’inventer, je resterai honnête.
Surtout pour vous décrire les fois où j’ai cédé. Le soir, lorsqu’il s’endort, je chausse à nouveau mes sandales et reprends le même chemin. Je repousse l’instant où les douceurs terrestres ne suffiront pas à masquer l’angoisse du néant. La promenade remplit. Finalement, je me couche. Sous le ciel vierge des Antilles, le lendemain, mon dos est pétri à quatre mains, ramolli par une huile luxueuse. Ma chair se détend sous des doigts domestiques, l’esprit ne parvient pas à franchir la barrière de la peau, reste centré sur la maison. Chéri s’approche, se réjouit à voix haute d’apercevoir une partie de mon corps. Tu es si belle. Je ne vois que le sol, le visage enfoncé dans le trou lâche de la table de massage. Mes fesses et mes cuisses faccides s’étalent. Mes tempes sont étirées par le coussin. Ma bouche mime un sourire forcé. Je ne peux pas l’ouvrir. Si belle. Lorsque je suis entrée dans le salon immaculé, il végétait devant la télé, qui occupait une place importante dans le salon. Avec le décalage horaire, c’était l’heure du JT sur France 2. Quand j’ai entendu Madame et Monsieur, ses parents, devant les caméras, de chair et d’os, incendier les mariages mixtes, j’ai baissé les yeux. Il ne se rendait pas compte : j’étais si loin d’eux. La politique, moi, je m’en foutais. Je voyais juste les draps de coton lavé, la splendeur de la Villa. Un coquillage. Désincruster de mes yeux toute la lie que j’avais vue, petite. Annuler le passé. Leur fils avait mon âge, enfin, à peu près, et se tapait déjà tout le milieu journalistique féminin potable. J’étais tout à fait son type, avec mon accent qui chantait. Je me suis gardée de réfléchir, puis observée dans la glace. Ses parents ripostaient sur des affaires judiciaires et politiques; ils ne tentaient même pas de se défendre des accusations que leur portaient les journalistes et les magistrats. Je sais désormais qu’ils niaient toute réalité, qu’ils déblatéraient.
J’ai dû décider de faire pareil, sans vraiment y réfléchir. Ils regardaient les caméras en face, mais pas les journalistes; ils ne les jaugeaient même pas, ils n’étaient rien pour eux.
Depuis notre canapé, avec Chéri, nous étions scandalisés de la façon dont on les traitait. Mais aujourd’hui, qui sait ?
Depuis, j’ai revisionné les images. Avant même d’être interrogée à mon tour. Il est évident qu’ils changeaient parfois leur version des faits, fabriquaient des histoires, dans un cache-cache avec la réalité. Monsieur venait d’être élu à un poste stratégique sur l’échiquier. Ses amis étaient placés, eux aussi, aux bons endroits, et pas très loin, en plus. Tous ceux qui étaient un peu rencardés avaient pu apercevoir l’étau se refermer, ou y contribuer : l’un des membres de cette grande famille politique pouvait accéder au poste suprême, à la gloire absolue. On ne savait simplement pas quand. En attendant, il leur avait fallu, j’imagine, jouer des coudes. Ils avaient mis tous les autres en guet-apens. Chacun tenait précieusement en main une information dévastatrice sur les autres, ce qui augurait du meilleur comme du pire dans ce joli spectacle. En sirotant mon jus de goyave, je ne pensais certainement pas à tout cela. Une star de la chanson, ami proche de la famille, avait été invitée pour la petite sauterie de ce soir, et j’étais très impressionnée à l’idée de le voir en chair et en os. Mes parents auraient sans doute payé cher pour voir un de ses concerts, mais ils ne pouvaient même pas. L’idée de la soirée, si j’ai bien compris, avec le recul, c’était de rincer quelques journalistes, de leur faire passer une excellente soirée, pour obtenir en échange une réputation grandissante. Sur le moment, j’avais simplement l’impression de retrouvailles entre amis. Mais la sauce montait. Monsieur et ses amis grimpaient ensemble et non un à un. Tout devait être calculé. Moi, j’étais un loup solitaire. Peut-être un peu jalouse, mais surtout fascinée. Peut-être présumé-je de mes forces, mais il fallait tout tenter.
En fin d’après-midi, les invités arrivèrent. J’en avais rencontré certains à Paris, en tenue de gala, peinais à les reconnaître sous leurs couleurs exotiques. Ce furent leurs gestes, leurs paroles qui les fixèrent à nouveau dans le référentiel. Aucun n’avait jamais marché jusqu’à la baie des Amandes, aucun d’eux ne le ferait, jamais. J’ai éprouvé une légère supériorité, juste là, parce que j’étais peut-être la seule qui aimait vraiment la Villa. J’allais pouvoir faire visiter tout ça, je me pâmais d’avance. Lorsque Chéri me présenta à ceux qui arrivèrent, au fur et à mesure, chargés de fleurs multicolores, il adressa de doucereux clins d’œil aux hommes, me désignant. Les conversations se mélangeaient déjà, amours, business et politique. Personne n’a voulu me suivre pour faire le tour de Bergamote, le bar était dans le jardin. Nous ne fûmes pas assez fous pour parler des parents. Nous n’étions pas assez proches pour parler des procès, des finances, des enfants, de la police, des Caïmans. Les sujets structurels. Leur fils se lassa, vite. Mais l’on apprit que ma robe venait de la nouvelle collection du grand gourou du moment, quelle surprise, voilà qui agita, et qu’elles s’intéressèrent. Mon corps cintra l’attention. Sa fierté émergea dans les jardins de la Villa Bergamote; c’est ainsi que Chéri me valida, enfin, après des mois de tentatives.
La tournée de champagne fut servie. Je n’avais pas levé le petit doigt. La Lune montait haut ce soir et je n’eus d’yeux que pour elle. Je devins princesse des Terres Basses. Du matériau pour siéger sur le trône avec la reine, gloussa l’un d’entre eux, en parlant de Madame, sa mère. Il se rengorgea. Il conceptualisa l’idée. Son visage se crispa de l’effort. Finalement, il sourit. Je jubilai. Devant moi, la preuve d’une construction primaire de leur mensonge dynastique : une atmosphère. Tout commence par le décor.
Le rehausser pouvait changer mon histoire. Cette famille était douée pour l’apparat. Je devais dégoter la liste des invités, pour faire semblant de les connaître par leur nom.
Lorsque la musique ne devint plus qu’un bruit de fond, que les voix s’élevèrent les unes au-dessus des autres, n’ayant plus que pour but de s’élever au-dessus des autres, je fermai les paupières, sur une chilienne, entendit les consœurs une par une s’asseoir auprès de moi. Ou plutôt, autour. Elles levèrent chacune les yeux au ciel, mentionnant l’un des maris ou le couvant du regard, au loin. Tous s’enivraient et je me laissai bercer par les gifles de l’eau sur le rebord de la piscine. On s’enroula des glaçons dans le creux des seins, juchés sur une bouée géante, liner bleu indigo sous le flamant rose gonflable. On se prit pour des pirates sous les palmiers, se prétextant anciens marchands de tabac, fumant des Vogue mentholées. Oui, je devais bien me douter qu’ils pillaient, détruisaient et volaient. Boucaniers contemporains. Mais complices, aucune de nous ne dit mot. Comme si ces phrases n’avaient aucune véritable signification pour moi, en cet instant. De ce moment-là, je ne me souviens pas m’être dit que l’une d’entre nous pouvait trahir la famille, c’était impensable. Il est plus solide de se tenir sur une chaise longue que de laisser ses pieds marcher nus dans le sable. J’étais stone à la Cé.
Tous ceux qui venaient étaient là pour des histoires de canapés. Ils croustillaient exactement comme il le fallait.
J’écoutai leurs conversations pour identifier les techniques et me fondre dans la masse, j’avais beaucoup à apprendre.
Le plus simple : ne jamais répondre correctement aux questions qui étaient posées, changer de sujet. Vous allez rire, mais en revisionnant les interviews de Madame et Monsieur, j’ai vu qu’ils pratiquaient la même méthode. Et le maquillage, ça fonctionnait.
On me dit que c’était un père pour mes enfants. D’un compliment sur une chevelure, je signalai mon accord. Une scolopendre passa au même instant sur une dalle et rejoignit l’herbe au millimètre coupée. Le jardinier, alerte, la poursuivit et la chassa. Son copain le cafard mort s’était volatilisé. Les cadavres se remplaçaient, les uns après les autres, et puis toujours, s’oubliaient. L’alcool et les richesses, les murmures, les fanfreluches, tous les ingrédients réunis altéraient nos consciences. Même la musique, qui tacitement montait, pour couvrir la gêne de ceux qui ne partagent rien. Je voulais me couler dans la soirée, battre des mains devant le concert qui recommençait. Mais cela ne s’est pas passé comme prévu. Les cocktails se sont bien enchaînés, et je n’avais clairement pas le même coffre qu’eux. Après deux ou trois piña coladas trop chargées, je ne parvenais déjà plus à compter mes verres et j’ai senti la soirée s’emballer. On dansait sous les lampions et la musique attisait le feu.— Ça, c’est du vrai rock and roll, a applaudi Chéri, légèrement désuet.
J’ai dansé avec ce fils, en essayant de ne pas trébucher. Je voulais garder la face, mais tout ce qui avait cours ici méritait d’être testé. Et si c’était ma dernière fois ? Il fallait faire honneur à la Villa Bergamote. Quand on m’a proposé d’autres substances dont je n’avais jamais entendu parler, j’ai quand même préféré m’esquiver dans un endroit plus tranquille du jardin, par peur de céder, histoire de reprendre mon souffle. Je n’allais pas tout foutre en l’air en risquant de me ridiculiser. J’étais un peu vexée de ne plus me sentir chez moi, alors que les jours précédents, j’y avais paradé seule. En fait, tout le monde connaissait déjà la maison par cœur. Ils n’avaient pas besoin de moi.
C’est là, derrière la Villa, sous un palmier, tout près des fontaines et de l’entrée du garage, que j’ai rencontré Jérôme.
Il roulait ses cigarettes comme j’avais vu, ado, tous les gens autour de moi le faire. Ses doigts autour du papier, sa façon de tapoter sur le tabac, ce fut magnétique. Dans cette soirée hostile, il y avait comme un refuge, il me rappelait les gens de chez moi. Ses chaussures larges et un peu démodées lui donnaient un air pataud. Il était sapé comme un vieux prof de français, alors qu’on était tous en vacances. C’était dommage pour lui, mais bon, quelque part, j’ai été attendrie.
— Cigarette ? fut le tout premier mot qu’il m’adressa.
J’ai accepté. Ce n’était peut-être pas la meilleure idée, mais j’étais lancée. De toute façon, la moitié de la soirée se passait dans les chiottes, à se taper des rails. Même le vieux chanteur s’y était mis. J’ai attrapé la cigarette. On a commencé à parler. Je pensais me faire un simple ami, mais vous verrez, où tout cela a mené la famille. Si j’ai fait une erreur vis-à-vis d’eux, c’est sans doute celle-là. Ce que je ne savais pas encore, c’est que la prescription, cela fonctionne pour la fraude fiscale, mais pas pour les échecs moraux. J’ai déjà pris perpète, je ne crains donc rien avec cette déposition. Je vous signerai le bas du document, les yeux fermés.
Il me reste seulement à vous détailler tout ce qui a découlé de cette soirée. Vous verrez, tout est fou, mais tout est vrai. Paraît-il que le grand public aime les histoires. Je vous donne de quoi vous satisfaire. » 

Extraits
« — Cigarette ? fut le tout premier mot qu’il m’adressa.
J’ai accepté. Ce n’était peut-être pas la meilleure idée, mais j étais lancée. De toute façon, la moitié de la soirée se passait dans les chiottes, à se taper des rails. Même le vieux chanteur s’y était mis. J’ai attrapé la cigarette. On a commencé à parler. Je pensais me faire un simple ami, mais vous verrez, où tout cela a mené la famille. Si j’ai fait une erreur vis-à-vis d’eux, c’est sans doute celle-là. Ce que je ne savais pas encore, c’est que la prescription, cela fonctionne pour la fraude fiscale, mais pas pour les échecs moraux. J’ai déjà pris perpète, je ne crains donc rien avec cette déposition. Je vous signerai le bas du document, les yeux fermés. Il me reste seulement à vous détailler tout ce qui a découlé de cette soirée. Vous verrez, tout est fou, mais tout est vrai. Paraît-il que le grand public aime les histoires. Je vous donne de quoi vous satisfaire. » p. 20

« Point de justice, le bruit du monde essayait de les rattraper, partout. Plus vite que la police, sans vouloir vous offenser. C’est là que je compris que Bergamote était un refuge plus qu’une démonstration. Le plateau sur lequel tout se déroulait, pas uniquement une image. Seule l’île les protégeait. Ou plutôt, la Villa. Entre ses mille murs, aucun son ne filtrait. Plus tard, Madame dirait qu’elle ne pouvait vivre sans château, sans remparts. C’était bien compréhensible, avec toutes les attaques qu’ils subissaient. Contre ces hommes, on oubliait la présomption d’innocence ; c’est que le peuple avait faim. Dieu merci, depuis la Villa Bergamote, nous n’étions pas atteints. »

À propos de l’autrice
MESSINE_Mona_©Chama_ChereauMona Messine © Photo Chama Chereau

Mona Messine, née à Bordeaux en 1992, est écrivaine, poétesse et éditrice (revue Débuts). Son premier roman Biche (éditions Livres agités, 2022), dans lequel une biche se révolte contre un chasseur, a connu un succès critique (shortlist du Prix des Inrocks). Elle a, par ailleurs, été lauréate des Ateliers Médicis. Elle est hypergraphe, synesthète et néanmoins surfeuse. Villa Bergamote est son deuxième roman. (Source: Bouclard Éditions)

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