Voilà l’article qui vient clôturer notre liste de BD à découvrir avant nos 30 ans… ! Aujourd’hui, on parle d’un grand classique de la bande-dessinée française : La nuit de Philippe Druillet.
Comme d’habitude, si vous voulez retrouver la liste complète des livres que nous nous sommes défiés de lire pour nos 30 ans, il vous suffit de cliquer sur ce lien.
La nuit, ça parle de quoi ?
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La Nuit nous décrit un monde en proie aux gangs de motards anarchiques ou autres barbares déglingués et accros à la dope, se dirigeant tous, au cours d’une bataille sanglante pour le « shoot » ultime, vers une fin inéluctable.
Un résumé très bref pour une BD qui l’est tout autant mais dont le contexte de création est bien particulier. Nous nous laissons la place d’y revenir par nous-mêmes sans vous l’annoncer de but en blanc via le résumé éditeur !
Une œuvre cathartique
La nuit est une œuvre dédicacée par Philippe Druillet à son épouse Nicole. Dans une préface rageuse qui annonce d’emblée le ton de la bande dessinée, il éructe contre les médecins, leur manque d’écoute, contre le cancer qui emporte sans discernement, contre la mort qui nous attend tous et qu’on a tendance à oublier jusqu’à ce qu’elle recroise notre chemin. La bande dessinée sera tout simplement à l’image de cette introduction. Une œuvre à l’évidence cathartique pour l’auteur qui y met toute son énergie et sa colère.
On découvre dans ces 60 courtes pages un univers régi par la haine et les affrontements. Des gangs s’entretuent et parmi eux nous suivrons plus particulièrement celle d’Heinz qui vit sous terre, survivant grâce aux shoots et craignant plus que tout l’aube qui causerait leur mort.
Dans un psychédélisme crasseux, Druillet nous dépeint un monde sans une once d’espoir peuplé d’humains violents organisés en bandes qui s’apparentent à des morts en devenir plus qu’à des êtres vivants. Un soin particulier est apporté aux dessins autant qu’à la narration et aux dialogues. Druillet nous en met plein la vue avec des pleines pages à la construction évoquant plus une peinture qu’une bande-dessinée, avec ses cases bien alignées. On imagine facilement le choc qu’a dû produire cette BD aujourd’hui devenue culte dans les années 70 où on lisait majoritairement des BD façon Hergé. Le bédéiste nous offre un luxe de détails rarement égalé.
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D’un autre côté on se surprend parfois à trouver de la poésie dans la narration, alors qu’à l’inverse la langue employée par les différents gangs est hachée, va droit au but, faisant parfois fi des verbes ou de mots complets. On a parfois pensé à Alex et ses drougs d’Orange mécanique.
Comme chez Burgess, Druillet manipule la langue, tantôt l’abrutissant, tantôt usant de sa capacité à transmettre des idées à travers des images intelligemment trouvées. Ici les belles paroles sont des « fleurs de bouche », les grosses torgnoles des « caresse[s] de visage », mais « attention » peut devenir « att » pour retranscrire l’urgence déjà bien visible à travers une action qui jamais ne nous laisse de répit.
Baiser la mort
Voilà le maître mot de cette bande dessinée. Druillet retranscrit toute sa frustration, mais aussi sa résignation face à l’inévitable, comme il le rappelle avec un peu plus de talent que je ne le fais : on va tous crever. La nuit se présente ainsi comme un pied de nez, un gros doigt en l’air face à la mort. Baiser la mort, une dernière fois, et réaffirmer qu’on a pas peur.
« Quoi la vie pour nous morts-vivants. »
Dans ce monde en putréfaction, se shooter devient le seul moyen de supporter la réalité. Les personnages de Druillet tentent d’atteindre leur dose pour continuer à ignorer la mort. Mais l’aube se lèvera et avec elle le brutal retour à la réalité.
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Les médicaments ne deviennent qu’un palliatif maigrelet, un moyen de lutter inutilement face à une mort inéluctable. En tout cas, c’est ce que j’y ai vu personnellement mais je ne pense pas qu’il y ait de bonne ou de mauvaise façon d’interpréter une œuvre.
Et au milieu de ce chaos ne reste que Nicole, apparaissant sous forme de collages transformant des pleines pages de pur chaos en sorte d’autel en l’honneur d’une icône.
La nuit est une œuvre qui tient du génie. On lit ces 60 pages en apnée et referme cette BD en n’étant pas sûr.es d’avoir tout capté mais tout simplement bluffé.es. Bluffé.es par ces dessins, ces pleines pages comme des tableaux tout droit sortis du pandémonium, cette narration aussi foutraque que surprenamment poétique. Marqué.es aussi par cet hommage sans autoapitoiement et dans lequel palpite une colère sourde mémorable.
Voilà l’article qui vient donc clôturer nos découvertes graphiques pour le challenge 30 livres pour nos 30 ans. Une excellente moisson. Que de belles lectures ! Je ne saurais pas dire laquelle m’a le plus marqué ! Si vous êtes curieux.se de découvrir nos autres articles BD du challenge, c’est par ici :Moi ce que j’aime, c’est les monstres d’Emil Ferris, Les rigoles de Brecht Evens et le Pinocchio de Winshluss.
Alors, parmi ces 4, laquelle vous fait le plus envie ? 🙂
A très très bientôt pour un nouvel article,
Votre bonne vieille tata Alberte