La fille de son père - Anne Berest
Editions du Seuil (2010)
Trois sœurs serendent en voiture à Epernay, dans la maison de leur enfance où vit leur père,Albert, avec Catherine, sa compagne, pour fêter l’anniversaire d’Irène,l’ainée. Leur mère, Martine, est morte de maladie, il y bien longtemps et lestrois sœurs ont vécu avec leur père. Ce n’est qu’après le départ de la maisonde Charlie, la benjamine, que Catherine est venue s’installer à demeure, sanspour cela être complètement acceptée par le trio.
Encore une fois, ce repas defamille va se transformer en règlement de compte et Catherine, excédée face àl’agressivité d’Irène, va laisser échapper quel’une des trois n’est pas la fille d’Albert. Sainte Martine aurait eu un autrehomme dans sa vie.Plus tard, le pèrenie les accusations et les met sur le compte de la colère. Mais, unealtercation entre lui et Irène conforte celle-ci dans sa certitude d’être lafille adultérine et la lance sur les traces de cet autre homme qui serait sonvrai père.J’ai été touchéepar ce premier roman d’Anne Berest. Sans doute par ce qu’il évoque lesrelations de trois sœurs avec leur père et leurs réactions face à la compagnede celui-ci, et que j’y ai reconnu certains épisodes de mon histoire familiale. Chacune des filles perçoit différemment la présence de cette femme, selon laplace qu’a tenu la mère dans la vie de chacune. L’ainée est bien évidemment laplus braquée contre celle qui a pris la place d’une autre et c’est elle qui mène l'attaque. La narratrice est plus observatrice, ellequi avait six ans à la mort de la mère mais elle reste neutre face aux excès de sa sœur. Maismoins aveuglée par le ressentiment, c’est elle qui saura découvrir la véritésur cette filiation contestée.
J’ai bien aimé lesrécits de l’enfance, les complicités passées et les souvenirs qui reviennent àla surface à l’occasion des retrouvailles, après une période où les trois sœurss’étaient éloignées les unes des autres.
Mais, c’estpeut-être un défaut de premier roman, j’ai regretté que beaucoup de pistessoient lancées dans ce livre et pas suffisamment exploitées. Ainsi, lecomportement de la benjamine reste flou. Lors du repas où se déclenchentles hostilités, elle est venu avec un jeune homme qu’elle a rencontré parhasard devant sa porte et l’a laissé filer ensuite au retour en ville. Lesraisons de cette attitude sont restées mystérieuses pour moi, je suis peut-êtrepassée à côté de quelque chose ?D’autre part,l’histoire est racontée par la cadette dix ans après ce fameux repas, alorsqu’elle a compris assez vite la vérité sur la filiation de l’une d’entre elles.Mais on ne saura rien de l’impact de cette découverte sur leur parcours, ni surles relations familiales par la suite. En cela, je suis restée sur ma faim etj’auraiaimé que certains épisodessoient davantage développés.
Malgré ceslégères critiques, j’ai passé un bon moment avec ce livre, trop court à mongoût et j’attends le prochain roman d’Anne Berest avec un à priori trèsfavorable.
Je repense auxmots de Catherine. Les trois sœurs. Nous sommes des hyènes. C’est elle qui ledit. Nous ne sommes que trois, mais c’est comme si nous étions une armée face àelle. Des hyènes riant à pleine bouche. Gueules grandes ouvertes. Et je nousrevois petites. Nous courons en criant, nos corps tatoués d’hologrammes. Toutest grave et fluorescent au bout de nos pailles magiques. On brûle le duvetblanc de nos jambes. Nous rions. Mais est-ce que nous rions comme deshyènes ? Pour la première fois, j’ai honte de nous, lorsque je voisCatherine devenir folle à force de se battre depuis toutes ces années contre lefantôme de notre mère. (page 45)
Je la regarde mapetite sœur, assise à côté de moi dans la voiture, et sonde ce qui reste de moien elle ; ce qui demeure de notre passion enfantine. Je cherche. Et je netrouve pas. Il ne resterait rien de notre dépendance naturelle. Je me demande àquel moment la vassalité s’est dissipée et laquelle de nous deux a initié lechangement. Notre situation aujourd’hui est embarrassante, propre à celle desamants dont l’amour s’est éteint et qui s’en excusent l’un l’autre :pardon de ne plus t’aimer aveuglément ; pardon de ne plus te trouver siindispensable que ma vie en dépende ; pardon de me désintéresser de toipour regarder ailleurs, vers ceux qui me ressemblent plus que toiaujourd’hui ; pardon de me demander quel charme me prenait si fort en tevoyant, que je voulais que tu m’appartiennes. Où tout cela est-il passé ?Notre amour a été remplacé par d’autres gens, des hommes s’y sont substitués.(page 19)La fiche du livre sur le site des éditions du Seuil, qui permet d'en lire un extrait et propose une vidéo de l'auteur.
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