Me voici devant un écran vide, avec la douloureuse tâche d’écrire un article mitigé sur un livre reçu (merci quand même pour ce cadeau…) Mais voilà, en tant que blogueur indépendant, il me semble fondamental d’être sincère, à une époque où les journalistes perdent leur indépendance, et les blogueurs reçoivent des services de presse. Même la bloguo-ménagère, qui écrit des articulets entre deux couches-culottes, voit sa boite aux lettres bien fournie.
J’éviterai de rédiger un résumé. On trouvera la présentation des éditeurs ici, et de nombreux entrefilets qui décrivent en long et en large ses qualités plastiques et métaphoriques, son trente-sixième sens philosophique, et la densité des personnages digne d’un écrivain-psychanaliste, comme feu Jacqueline Harpman (encore que l’auteure ait su troquer sa blouse de psy contre celle de romancier…)
Je me concentrerai sur les points qui m’ont semblé négatifs (je mets des réserves – mon avis est tout à fait personnel)
La présentation de l’éditeur évoque « une écriture au souffle épique ». En ce qui me concerne, le souffle épique m’aura soulevé quelques pages, pour me laisser choir durement sur le sol rocailleux de l’empire d’Alexandre le Grand. Ce qui me dérange (un peu) dans cette lecture, c’est l’excès. Tout est construit, tant au point de vue du style que du contenu, pour mettre en exergue violence, brutalité, rancœurs, soifs de domination, craintes, jalousies. Bref, ce qu’il y a a de plus noir dans l’âme humaine. Certes on est à Babylone, en des temps où les préoccupations de l’homme n’étaient pas de cultiver des roseraies. Sur ce point-là, l’auteur nous livre une œuvre magistrale, dressant un portrait extrêmement réussi et convaincant de cette société, du moins telle que nous l’imaginons, avec les distorsions du temps…
Dans un articulet sur un autre livre de l’auteur, j’écrivais « Gaudé dessine des personnages sombres dans un abîme de noirceur, mais dans cette noirceur il y a une infinité de nuances ». Ce n’est point le cas ici. La nuance, le relief d’un livre comme « Ouragan » font cruellement défaut. Le romancier se dépasse, il plafonne dans son délire, il atteint un point culminant dans l’excès. Ce n’est plus de l’écriture, c’est de la hargne. C’est l’exploitation méthodique, avec force adjectifs, de la barbarie humaine. Les personnages sont lourds, primaires, bestiaux. Des caricatures conventionnelles. En outre, Gaudé nous fait plonger dans le passé. Certes certes. Mais d’un point de vue historique, c’est maigrichon. Peu de références, peu de descriptions de lieux, peu de faits, de détails. L’auteur est tout entier dans son écriture sinistre, dans les ténèbres de la bêtise humaine, magnifiée à l’extrême. Même « les Bienveillantes » avait plus de contraste. Dans « Ouragan », les personnages avaient quelque chose d’exalté, mais l’ensemble était chamarré. On trouvait une diversité de caractères. C’était son charme paradoxal. Exploit non reproduit.
Enfin, pour ce qui est de la technique d’écriture, rien de nouveau. Gaudé entrelace des paragraphes où il change de contexte de façon systématique. Le procédé est éculé (je relis ce mot – peur d’une lettre en trop). S’il a bien fonctionné autrefois, il ajoute une complication et oblige le lecteur a un sérieux effort d’attention. Le plaisir de lecture sera donc plus intellectuel qu’intuitif. Autre technique, éculée aussi ( je relis) : amener l’information capitale à doses homéopathiques. L’auteur espère sans doute pousser le lecteur ainsi à tourner les pages frénétiquement pour connaitre la suite. Ça ne marche pas forcément. D’aucuns, dont moi, se fatigueront assez vite, à essayer de savoir qui est qui et qui fait quoi.
Enfin le style. S’il comporte quelques belles formules, d’autres me laissent sceptique : « la voix a hâte »… (Tentez de lire ces trois mots à haute voix) « Il est en feu » « Elle est pétrifiée par le deuil ». Formules fortes, oui, mais un peu faciles et stéréotypées.
Si cette lecture n’est pas dépourvue de qualités, loin de là, les ingrédients de l’ancienne recette font défaut.
Pour seul cortège – Laurent Gaudé. Éditions Actes sud
Date de parution : 22/08/2012