Orcel © Zulma 2012
« Tous les monstres de béton sont tombés. Tous les bordels. La Grand-Rue n’est plus ce qu’elle était. Mais nous, on ne mourra jamais. Nous, les putains de la Grand-Rue. Nous sommes les immortelles. » Les immortelles sont les prostitués de Port-au-Prince. L’une d’elle témoigne après le tremblement de terre de janvier 2010. Elle confie sa parole à l’écrivain. Le deal est simple : « Tu me donnes ce que je te demande et toi après tu pourras m’avoir dans tous les sens que tu voudras. » Elle veut laisser couler le sang des mots pour narrer l’histoire de la petite, une gamine fugueuse débarquée chez elle à l’âge de 12 ans et se faisant appeler Shakira. Une fillette devenue l’une des putes les plus courtisées de la capitale. « La petite, elle est morte après douze jours sous les décombres, après avoir prié tous les saints. » La petite avait quelque chose en plus, elle connaissait les livres. Une passion dévorante qui la rendait si singulière. Le témoin s’épanche auprès de l’écrivain pour ne pas oublier, pour ne pas sombrer : « Je raconte pour toi, ma petite. Je te raconte et t’appelle de mon exil intérieur. […] Tous les mots de mon corps ne sauraient suffire pour dire la douleur de la terre. »Les immortelles est un chant de ruines. Oui, je dis bien un chant. Un chant lyrique où dominent la souffrance et l’abattement. Toute l’horreur de l’existence à travers de très courts chapitres de moins d’une page. Un style oralisé proche de la poésie en prose la plus libre. C’est brutal et dérangeant. La langue est belle, elle devrait secouer fortement le lecteur. Je dis « devrait » car malheureusement cela n’a pas été le cas pour moi. Difficile de l’avouer mais je suis passé à coté. Suis-je insensible à ce point ? Franchement la question se pose car ce texte avait tout me plaire et pourtant j’y suis resté totalement étranger, comme si je ne faisais que survoler les choses de très haut sans jamais m’immerger dans l’ignoble réalité. Peut-être à cause de la forme du témoignage, trop individuel. En comparaison, le chœur antique s’exprimant dans Certaines n’avaient jamais vu la mer m’a beaucoup plus touché. Je ne dis pas que Les Immortelles est un mauvais premier roman, loin de là. Je dis juste qu’il n’était pas pour moi.
Les Immortelles, de Makenzy Orcel. Zulma, 2012. 134 pages. 16,50 euros.
L’avis de Philisine Cave