Asgard (T2) Le serpent-monde

Scénario de Xavier Dorison, dessin de Ralph Meyer Public conseillé : Adolescent, Adulte

Style : Aventure dramatique Paru chez Dargaud, le 25 janvier 2013 Share

Présentation par l’éditeur

Emmenés par l’ombrageux Asgard Pied-de-Fer, ils étaient cinq du Fjördland partis chasser le monstrueux Krökken qui hante les eaux de leurs mers. Ils viennent de livrer leur premier combat ; ils ne sont plus que trois. Trois survivants sans drak qui découvrent, incrédules, que le monstre sanguinaire n’est pas mort. La lutte doit continuer malgré l’ombre glaçante de l’hiver qui approche ; Asgard ne peut plus renoncer, malgré les émotions qui s’insinuent en lui. Il a rendez-vous avec son destin ; l’heure de sa revanche avec les dieux a sonné.

De retour du Festival d’Angoulême 2013, je vous propose une forme différente de chroniques, plus courtes et enrichies par l’interview des auteurs.
Cette chronique fait suite à Asgard (T1) Pied-de-Fer

Alors, ce second tome ?

Un peu moins d’un an après ce premier tome, Dorison et Meyer nous entraînent de nouveau dans le sillage de leur farouche guerrier « handicapé », Asgard, dit Pied-de-Fer. Après avoir exploité la thématique de Moby Dick et du chasseur de monstre, hanté par lui-même, Xavier Dorison change la donne. à la fin du premier tome, nous avions laissé trois des cinq participants encore vivants, désarmés et sans bateau. Le Krökken, le monstre, avait disparu, blessé ou tué…
Dans ce second et dernier tome, Dorison et Meyer renversent la situation. Le chasseur devient chassé. Asgard, Kristen et la jeune Sieglind doivent fuir devant le Fröst, le froid mortel qui approche. C’est un « road-movie glacé », une fuite en avant désespérée dans lequel se lancent ces trois survivants mal équipés, aux capacités physiques insuffisantes ou diminuées. Inexorablement, la lutte devient plus âpre. Mais Dorison ne nous raconte pas seulement la lutte du petit groupe contre la nature. Le Krökken s’invite aussi dans cette danse de mort, superbe et atroce. Entre l’ennemi invincible, ce démon intérieur matérialisé et la nature impitoyable, le trio devra passer par de nombreuses épreuves et accepter son destin.

Ce que j’en pense

J’ai été captivé par cette belle et rude aventure épique. Jouant constamment entre les scènes d’action, les rebondissements et les thèmes mythologiques, Dorison et Meyer nous offrent une suite digne de leurs héros. A contrario du Capitaine Achab de Moby Dick, Dorison fait évoluer Asgard au contact de Sieglind. Lentement mais profondément, il s’accepte tel qu’il est : un Skraëling, une erreur de la nature pour les vikings, qui a dépassé son statut pour devenir un mythe, un tueur de monstre, maudit et béni par les dieux en même temps.
Tout en utilisant avec brio ce thème dramatique, Dorison et Meyer n’oublient pas l’aventure épique promise et le spectacle en « cinémascope ». Meyer est au sommet de son art. Toujours au service du récit, sobrement; mais intensément, il met en images l’aventure d’Asgard avec une force évocatrice incroyable. Pour tout dire, j’ai rarement été aussi immergé dans une BD. Avec une grande fluidité et un impact total, Ralph Meyer compose trois somptueux types de paysages (glacé, sous-marin, lac gelé). Le passage sous-marin dans les grottes est incroyable. Les ambiances y sont étouffantes et dangereuses à la fois.
La mise en images est traitée avec juste la distance et la précision nécessaires. Si le classicisme définit au mieux le travail de Meyer (dans les cadrages ou l’encrage), c’est ici un classicisme de bon aloi, maîtrisé et au service du récit.
Pour résumer, je dis « bravo » pour ce merveilleux moment de lecture, cet album très abouti. Leurs envies et leur travail communs nous offrent une aventure épique et intérieure, des personnages forts et attachants dans un diptyque beau et puissant.

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L’interview

Vous avez pris le contre-pied du premier tome…
X. D. Si tu regardes bien les grandes histoires de chasse au monstre, ça se termine toujours comme ça (Les Dents de la Mer, Moby Dick). C’était du à la logique intrinsèque du récit. Ils ont tout perdu (bateau, armes) et il y a quelque chose qui lie Hasgard et le Krökken. Il faut mettre fin au monstre pour mettre fin au monde. L’histoire a plusieurs éclairages. Il y a l’histoire du type contre le monstre et l’histoire du type qui va marquer la fin du monde.
R. M. A l’inverse du Capitaine Achab, qui est dans une démarche obsessionnelle, on a un personnage qui évolue.

Chaque personnage apprend à s’accepter ?
X. D. Pour Hasgard, c’est vrai. Il a passé sa vie à être en colère contre les dieux qui l’ont fait naître Skraëling, et il va finir par comprendre que les dieux ne l’ont pas béni, mais maudit. Elle, par contre, ne change pas. On s’attend à ce que le vieil homme fasse changer la jeune fille, mais c’est le contraire qui se passe. Elle est d’emblée sur de bonnes bases. Elle veut devenir pêcheur, vivre simplement. Le plus sage des deux, c’est elle.

Il y a trois ambiances graphiques très fortes (neige, sous-marin, lac gelé). Le paysage est un personnage à part entière ?
R. M. C’est un acteur majeur du récit. On peut mettre comme référence Jack London et la place de l’être humain dans la nature.
X. D. Quand j »écris les scènes, je prépare des lieux qui vont être de plus en plus dangereux. On termine par un lieu « divin ». On est parti de la réalité et on arrive dans un lieu mythologique. En frôlant la mort (le monde sous-marin) Hasgard va devoir se reconstruire, même physiquement, en changeant sa jambe. Le décor est lié à l’évolution dramaturgique du récit.

C’est le thème de l’initiation. On passe par la mort pour renaitre à soi ?
X. D. On est dans la plus pure tradition mythologique. A travers mon métier de scénariste, j’ai étudié les mythes. Avec Asgard, je me suis attaché à suivre toutes les étapes des grands mythes, mais à notre sauce.

Graphiquement, l’ambiance sous-marine est très forte et en rupture avec les autres passages. Vous êtes-vous nourris d’autres travaux ?
R. M. Non. Xavier m’envoie le récit en entier. Donc, je sais où je vais doser mon effort. Je vois les scènes où je dois mettre le paquet. En travaillant sur les scènes précédentes, il y a une maturation qui permet d’enchainer naturellement les scènes complexes.
La clé sur ces scènes-là, c’était la simplicité, pas trop de détail.

Il y a beaucoup de nudité, mais pas d’exhibitionnisme. C’est par pudeur ?
R. M. Non, Utiliser la nudité pour des pauses lascives aurait été hors sujet. Je cherche à servir le récit.
X. D. Quand ils sont nus, ce sont des moments durs, où ils risquent leur peau. Ce n’est pas le moment. De plus, on est dans un monde ou la nudité n’est pas un problème. Il n’y aucune raison d’en jouer.

Vous êtes dans une logique cinématographique (le travail des plans, des thèmes abordés) mais la fin (la mort du Krökken) est différente. Dans un « blockbuster » Hollywoodien, le héros aurait tué par un dernier coup spectaculaire son ennemi. Là non…
X. D. En fait, si ! Il l’a forcé à mourir, en le piégeant dehors. Le chemin différent d’Hasgard, par rapport au Capitaine Achab de Moby Dick, c’est de dire  » je peux m’offrir pour sauver l’autre ». On parle d’un mec qui accepte la mission pour beaucoup d’argent et qui finit par s’offrir pour sauver la jeune fille. De ce point de vue là, il le tue.
La dernière scène est un symbole : il se voit dans l’œil du Krökken et il comprend que ce monstre est l’ombre de lui-même. Au sens dramatique, « l’ombre », c’est le côté sombre, le pire (dans « L’Empire contre attaque », Luc habillé en Dark Vador).
Dans les scènes d’action, Ralph a réussi à mettre une immersion incroyable dans ses planches. Je ne me suis jamais aussi senti immergé dans une BD. Par contre, comme il varie la taille de ses cases, contrairement au cinéma, il n’est pas spécialement dans un cadrage « cinéma », très panoramique. Il est dans une école assez classique.
R. M. C’est selon ce que demande le récit, à chaque fois. Je réponds avec le vocabulaire graphique. C’est toujours ça le but.
X. D. On est plus proche de Sydney Polack que de Zak Snyder.
R. M. Aujourd’hui, on ne renouvelle pas le vocabulaire. Il est présent depuis des décennies. Cependant, il est très large. Il faut l’utiliser au maximum des possibilités que tu as.

C’est le deuxième tome sur deux… C’est vraiment fini ?
X. D. C’est une fin que j’adore.
J’ai le sentiment d’avoir tout dit sur Hasgard. Il a vécu une belle histoire, il a changé. Apaisé, il peut mourir ??
Dans ce décor, c’est le silence, le contraire du début (l’atelier, la forge, le brasier).
On termine dans la lumière, le calme, la sérénité…

Un merci tout particulier à Dargaud, à Xavier Dorison et à Raph Meyer.