Vous ai-je déjà dit à quel point j’appréciais
Athalie ? Enfin pas elle personnellement puisque je ne la connais pas. Son
blog plutôt et ses billets plus particulièrement. Elle possède cette capacité rare
à vous empoigner dès les premières lignes pour vous emmener dans un tourbillon de
bons mots, de phrases enlevées, de tournures qui vous font rire ou vous laisse
béat d’admiration devant tant d’inventivité. C’est un fait, je suis fan des
billets d’Athalie. Tout à fait fan. Alors quand j’ai découvert son avis concernant ce roman de Velibor Colic, impossible de ne pas craquer. Je me le
suis procuré dare-dare et j’avoue que je ne le regrette pas.
Archanges est une succession de monologues. Quatre
voix témoignent de l’horreur de la guerre en ex-Yougoslavie. Trois bourreaux et
une victime. Deux vivants et deux morts. Le premier a sévi en Bosnie. Il s’appelle
Esdras. Ses compagnons d’armes le considéraient comme un poète. C’était aussi
et surtout un tueur implacable, grisé par le mauvais alcool, qui aimait couper
les oreilles de ses victimes après les avoir violées. Aujourd’hui c’est un clodo
qui vit dans un parc, à Nice. Ses journées sont toujours les mêmes : « Je
bois et je pue. Et j’invente mes poèmes et je pense aux femmes. » Son état
physique est déplorable, il se sait condamné, il veut juste qu’on le laisse
tranquille. La guerre, il y pense avec nostalgie et il ne regrette rien, à part
la défaite.
Le second était surnommé le duc. C’était le meilleur
ami d’Esdras. Un officier d’une effroyable cruauté qui menait ses troupes d’une
main de fer. Il se déplaçait avec un chien monstrueux portant un collier d’yeux
humains. Ce gars était une légende. On a écrit des chansons sur lui. Une bombe
lui a ôté les bras et les jambes. Pour cela que maintenant on l’appelle le
tronc. Il a été arrêté et emprisonné. C’est un maton qui vient le nourrir tous
les jours. Au biberon. Pour passer le temps, il n’a plus que ses souvenirs. Les
villages pillés, les hommes et les femmes tués de la pire des façons, les
jeunes filles torturées avant d’être violées. L’âge d’or de son armée, avant la
défaite.
La troisième est Senka, une jeune fille qui a subi
les assauts de ces ordures. Elle avait 13 ans. C’est un ange qui erre dans un
paradis où tout lui semble être un enfer : « Dieu existe et c’est un
chien. » Elle vient régulièrement hanter les nuits d’Esdras. Pas pour se
venger. Juste parce qu’il faut que son bourreau ne l’oublie jamais car elle
sait que l’on meurt deux fois : « La première fois physiquement, et
la deuxième fois quand il n’y a plus personne sur cette terre qui puisse se
souvenir de vous. Et moi, je suis toute seule. Et si on m’oublie, on oublie
aussi le crime. C’est pourquoi j’espère qu’il vivra encore longtemps, ce vieux
salaud. »
Le quatrième est le fils du tronc, il accompagnait
son père sur le terrain de ses « exploits ». Lui aussi est mort.
Égorgé dans un train, bien après la guerre. Il porte à son tour un regard
nostalgique sur les heures glorieuses du conflit : « Tout était si
facile. La guerre n’était qu’une rigolade, une camaraderie, on flinguait un
peu, et on sautait tout ce qui bougeait. On libérait enfin, cinq siècles après,
toute notre terre, une ville après l’autre, et le soir on fêtait ça comme il
faut. » Il est aussi le plus lucide des quatre : « Et puis
merde, voilà, si l’on regarde bien, n’importe quelle tragédie peut devenir une
farce. N’importe quelle victime n’est qu’un bourreau raté ; vous aussi, vous
êtes tous coupables, parce que vous étiez témoins. »
Archanges, c’est le requiem des perdants. Un texte d’une rare dureté. La guerre est montrée dans toute son horreur, sans apologie. Les mots sont durs, crus, lyriques ou poétiques. Ils claquent, ils sonnent et laissent groggy. Ces voix résonnent et bousculent, elles dérangent et vous mettent mal à l’aise. La quatrième de couverture parle d’ « une parabole tourmentée pour faire acte de mémoire. » Pas mieux.
Archanges (roman a capella) de Velibor Colic. Gaïa, 2008. 156 pages. 16,30 euros.
Archanges, c’est le requiem des perdants. Un texte d’une rare dureté. La guerre est montrée dans toute son horreur, sans apologie. Les mots sont durs, crus, lyriques ou poétiques. Ils claquent, ils sonnent et laissent groggy. Ces voix résonnent et bousculent, elles dérangent et vous mettent mal à l’aise. La quatrième de couverture parle d’ « une parabole tourmentée pour faire acte de mémoire. » Pas mieux.
Archanges (roman a capella) de Velibor Colic. Gaïa, 2008. 156 pages. 16,30 euros.