« J’ai été placée à ma naissance, je suis
passée par vingt-quatre familles d’accueil avant l’âge de sept ans, j’ai été
adoptée, je suis partie à onze ans, et j’ai changé encore vingt-sept fois au
cours des quatre dernières années. » Anaïs a quinze ans. Soupçonnée
d’avoir agressé une policière, elle est emmenée pour la énième fois dans un
foyer pour ados. Au cas où la victime, dans le coma, venait à décéder, Anaïs
serait envoyée dans un centre fermé jusqu’à sa majorité, en attendant la
prison. Mais si les forces de l’ordre l’accusent, elle est persuadée d’être
innocente. A vrai dire, elle ne se souvient de rien.Au foyer, elle rencontre des gamines de son âge et
des garçons un peu plus jeunes. Taciturne, provocatrice, en butte à toute forme
d’autorité, Anaïs va peu à peu se rapprocher d’Isla, anorexique et séropositive
et de son amoureuse Tash qui se prostitue pour qu’elles puissent louer un
appart en sortant du foyer. Mais elle va aussi découvrir Shortie, Dylan, John
et quelques autres, enfants en perdition marqués au fer rouge par un passé des
plus douloureux. Et si la nouvelle pensionnaire a une réputation sulfureuse à
entretenir, elle n’a pas besoin de se forcer pour montrer aux autres qu’il
vaudrait mieux éviter de la chercher : « Je déteste dire s’il vous
plait, ça me donne l’impression de me rabaisser. Je déteste dire merci. Je
déteste dire que j’ai besoin de quelque chose. S’il fallait se lever et
demander de l’air tous les jours, je serais déjà morte, putain. » Sauvage est roman coup de poing, cru, abrasif. Un
récit dur, vulgaire, violent qui met en scène des gamins cabossés. Anaïs est la
narratrice. On plonge dans son esprit torturé, ravagé par les psychotropes
qu’elle consomme sans retenu. Évoluant constamment à la limite de la schizophrénie,
ne cessant de se questionner sur ses origines, elle est persuadée d’être le
fruit d’une expérience menée par un laboratoire secret. Totalement insoumise,
elle est aussi particulièrement intelligente et lucide. Surtout, elle n’a pas
encore tiré un trait sur ses rêves d’avenir.En filigrane, l’auteur, écossaise, dénonce la façon
dont les services sociaux traitent les enfants en souffrance. Elle dresse
quelques portraits d’adultes qui frôlent parfois la caricature : il y a
forcément un éduc plus compréhensif et humain que les autres, forcément une
juge pour enfants incapable d’imaginer que les jeunes délinquants pourront un
jour s’en sortir et forcément des forces de police totalement abruties. Mais à
la limite peu importe. Le sel du roman tient dans la puissance de l’écriture
ultra réaliste, dans la force des dialogues parfaitement crédibles et dans une
construction imparable pleine de souffle et de colère contenue.Un grand premier roman qui secoue furieusement et ne
pourra laisser personne insensible. Nul doute que longtemps après avoir tourné
la dernière page, la voix d’Anaïs continuera à vous hanter. On prend les
paris ? Une belle découverte que je dois une fois de plus à
Marilyne.
La sauvage de Jenni Fagan. Métailié, 2013. 312 pages. 19,00 euros. L'avis de Marilyne