Une série policière ayant pour cadre Paris et Versailles au milieu du XVIIIème siècle, ça ne vous rappelle pas quelque chose ? Eh bien non, pas celle-là, une autre ! C'est ce qui est bien avec la littérature, avec des ingrédients voisins, on arrive à offrir quelque chose de sensiblement différent à se mettre sous la dent au final. Simple question d'assaisonnement et cette série est bien plus noire, je trouve que les enquêtes de Nicolas Le Floch. Cette série qui débute depuis peu (ce billet concerne la première enquête et je vous parlerai de la seconde très prochainement) met en scène un policier dont le titre me réjouit : commissaire aux morts étranges... En voilà, un "joli" programme, non ? Alors, préparez-vous à découvrir, avec ce Chevalier de Volnay, un policier retors et indépendant, à la personnalité bien difficile à cerner, tout comme celle de son principal allié... Et, face à lui, une figure de ce siècle. Découvrons "Casanova et la femme sans visage", d'Olivier Barde-Cabuçon (Babel Noir) et partons en 1759, pour une enquête criminelle au cours de laquelle passé et futur vont tenir une grande place. Plus qu'un polar, un véritable roman historique.
C'est une douce et agréable soirée de printemps. Une agréable soirée qui, en quelques instants, tourne au drame. Un cri, terrible, glaçant, retentit dans une rue de Paris. On s'approche, un corps au sol, celui d'une femme, littéralement défigurée... Arrive bientôt sur place un jeune homme à la froideur évidente. Il est policier, se nomme Volnay et a pour titre "commissaire aux morts étranges".
Quand il arrive sur une affaire, on sait qu'elle est loin d'être ordinaire. Lui n'évolue pas dans le quotidien, au grand dam de son supérieur, Monsieur de Sartine, mais ne prend en charge que quelques affaires qui lui paraissent être les plus difficiles à résoudre. Et là, un corps au visage méconnaissable allongé sur le pavé parisien, c'est un cas difficile...
A l'image de son titre, les méthodes d'investigations du chevalier de Volnay ne sont pas ordinaires : observation, prélèvement d'indices, croquis, notes... Le XVIIIème siècle se veut le siècle de la Raison et des Sciences, Volnay en est un parfait exemple. Mais, ce n'est pas tout, le garçon est doté d'un sens de l'observation terriblement aiguisé, d'une intuition en éveil permanent et d'une détermination sans faille.
Mais, en attendant de pouvoir interpréter ses indices, voilà le bras droit du commissaire qui arrive pour se charger du corps de la victime. Une présence qui ne va pas passer inaperçue : un homme, le visage caché sous la capuche d'une robe de bure, menant une carriole dans un silence de mort... Frisson dans la foule, et pas agréable...
Volnay, lui, veut interroger les premiers témoins du drame. Se présente alors devant lui un homme qui dit avoir été le premier sur les lieux. Un certain... Chevalier de Seingalt, déclare-t-il... Sans se déparer de son calme, Volnay lui rétorque aussitôt qu'il sait qui il est et l'appelle par un autre nom : Monsieur Casanova. Eh oui, le séducteur, le libertin, même, dont la réputation est connue dans toute l'Europe, l'homme qui s'est évadé de façon spectaculaire de la prison de Plombs, à Venise, c'est lui qui se présente comme principal témoin... Un véritable témoin de moralité, si je puis dire... Ou un premier suspect pour Volnay...
C'est le début d'une enquête compliquée, pleine de danger pour Volnay, dans une France qui gronde, qui commence à trouver que son monarque Bien-Aimé, Louis XV, mène le royaume à sa perte, qui trouve dans les écrits philosophiques des alternatives à la religion dominante, qui a faim, qui perd du terrain en Europe comme Outre-Mer... Une France qui va mal...
Déjà, au début de l'année 1757, le Roi a échappé de peu à un attentat, commis par Robert-François Damiens. Il s'en est fallu de peu que Louis XV soit grièvement blessé, voire tué par cet homme pour le moins exalté... Et "le peu" à qui le Roi doit la vie, c'est Volnay, intervenu in extremis pour sauver un roi pour lequel il n'a aucune sympathie. En retour, il a obtenu à sa demande ce poste de commissaire aux morts étranges qu'il semble exercer comme bon lui semble...
Le voilà donc au service du roi, lui qui ne cache guère ce que lui inspire un régime en décrépitude. Mais je n'en dis pas plus, le passé de Volnay va tenir un place importante dans le roman. En fait, c'est comme si le policier envisageait ses enquêtes comme de simples jeux intellectuels dans lesquels il mettrait à l'épreuve les savoirs qu'il accumule tous azimuts, à travers ses nombreuses lectures, parfois très pointues...
Peu d'empathie, dans sa démarche. Quant à la question de la justice, peut-il se la poser dans un royaume où, pour reprendre La Fontaine, encore tellement d'actualité, "selon que vous soyez puissant ou misérable, les jugements de cour vous rendent blanc ou noir". Intelligent et intègre, peut-être un peu trop idéaliste, malgré tout, Volnay est un franc tireur dans une capitale où tout le monde espionne tout le monde, où les pamphlets se multiplient et les complots se préparent dans chaque antichambre...
S'il s'attend à une enquête complexe, c'est plus la présence de Casanova dans les parages qui semble perturber Volnay. Mais voici que le lendemain matin, on frappe à sa porte, aux premières heures. Devant lui, se tient une charmante jeune femme qui se présente comme étant Chiara d'Ancilla, issue d'une noble famille italienne. Et si elle vient le voir, c'est parce qu'elle sait qu'il s'occupe d'affaires criminelles et qu'elle aimerait, elle qui est férue de sciences, examiner le corps de la victime de la veille...
Vous imaginez la surprise de Volnay... Et pas seulement à cause du physique avenant de la demoiselle. Elle en sait beaucoup sur lui, on dirait. Et sur son travail... Qu'à cela ne tienne, même si le jeune policier n'est pas indifférent au charme de cette demoiselle, il a une tâche à remplir. Une enquête qui, pour le moment, tarde à démarrer. A moins que la lettre qu'il a subtilisée sur le cadavre ne lui offre le point de départ qui lui manque...
Mais, en la prenant, allez, disons-le, en la volant (et en se faisant prendre sur le fait par Casanova), Volnay a outrepassé ses fonctions. Et le sceau qui l'orne pourrait vite devenir synonyme de gros ennuis... Surtout si cette piste le conduit, comme il le craint, dans l'entourage proche du roi, voire au souverain lui-même... Pourtant, rien ne peut être aussi simple ou évident et, très vite, le chasseur qu'est le Chevalier Volnay va se retrouver proie...
En effet, son enquête semble bien intéresser, et plus que cela encore, de nombreuses personnes qui ont sans doute intérêt à connaître le fin mot de l'histoire, ou à s'arranger pour qu'il ne soit jamais connu... Mais, au final, cela fait beaucoup d'ennemis, et déterminés, en plus, sans oublier les différents clans qui cohabitent dans le panier de crabes de la cour et qui ont des yeux partout... Enfin, il y a Casanova et Chiara, que Volnay semble trouver sans cesse sur son passage, sans arriver à savoir vraiment pourquoi...
Au commissaire aux morts étranges de démêler cet écheveau dont il n'est pas certain que le corps sans visage soit véritablement le centre... Pourtant, tout part de ce décès fort suspect, il en est certain, mais à qui profiterait ce crime ? A moins que cette malheureuse victime ne soit que la partie visible de quelque chose de bien plus important et dangereux. Et pas seulement pour Volnay...
Volnay ne peut guère faire confiance qu'au moine mystérieux qui l'accompagne sur les scènes de crime et sur la pie apprivoisée à qui il apprend à parler. Et encore... Tiens, puisqu'on parle de ce moine, un mot de lui. Son passé, lui aussi, décidément, est trouble. Son habit ne fait pas le moine, car s'il a bien été, il est défroqué depuis longtemps, et l'on comprend que des accusations d'hérésie ont pesé sur lui. Son intérêt marqué pour les sciences n'y est sans doute pas pour rien, mais sa curiosité pour l'alchimie, sans doute plus encore.
Pourtant, ses connaissances en font, pour employer un vocable contemporain, pardonnez-moi cet anachronisme, le légiste de Volnay. Mais c'est aussi une sorte de sage, qui remplit à merveille son rôle d'aîné auprès du jeune policier en lui prodiguant des conseils avisés. Et tant pis si le chevalier ne supporte pas ses ambitions alchimiques...
Bien sûr, on est comme Volnay, on découvre chacun des clans qui tournent autour de cette mort étrange comme des vautours. On s'interroge sur les rôles des uns et des autres, sur la menace qu'ils représentent d'abord pour le policier, mais aussi au-delà ce cas particulier... Plus il essaye d'avancer et de comprendre ce qui est arrivé à la jeune femme, plus les dangers se font proches...
Et son enquête dérange, c'est certain. Le parti dévot, la marquise de Pompadour, qui se morfond en disgrâce, Sartine, qui semble agir en faveur de... Sartine, d'autres groupes plus obscur et jusqu'au Roi, qui ne semble guère décidé à aider le policier dans son enquête, c'est un vrai front qui se dresse devant Volnay, qui n'a alors plus que son courage, sa volonté et aussi la colère intense qui l'habite depuis de longues années pour poursuivre inlassablement son enquête...
Au cours de ses investigations, on va aussi croiser un personnage qui, à l'image de Casanova, a laissé derrière lui, et déjà à son époque, une aura sulfureuse et bien des légendes : le Marquis de Saint-Germain. Un homme qu'on dit détenteur des secrets de la jouvence éternelle ou encore de la pierre philosophale. Un homme qui, comme Casanova là aussi, sait parfaitement tirer profit de la crédulité de son époque...
En effet, l'une des choses frappantes dans le roman de Barde-Cabuçon, c'est le contraste saisissant entre ce Siècle des Lumières, siècle des philosophes, de l'Encyclopédie, de la science et de la raison triomphantes, du déclin de l'Eglise dominante et l'avènement de nombreuses formes de superstitions tenant à la vie éternelle, à l'alchimie, qu'on croyait disparue depuis le Moyen-Age... Au milieu des figures scientifiques et intellectuelles, font donc florès des escrocs notoires qui savent s'en mettre plein les poches, en promettant la lune, au sens propre, à de riches personnalités aristocratiques désoeuvrées...
Casanova est l'un de ces profiteurs. Car s'il est en France, ce n'est pas que pour séduire, encore et toujours, des femmes qu'il délaissera ensuite. Non, c'est aussi pour tirer quelques subsides malhonnêtement mais discrètement acquis de ce talent inné... Oh, il n'est pas du genre Robin des Bois, l'argent va dans sa poche, mais voler les riches, ça lui convient bien. Il le sait, bientôt, il devra quitter la France, quand un ou deux (ou plusieurs) scandales seront reprochés au Chevalier de Seingalt, et alors ?
Avec Volnay, la relation est d'emblée à couteaux tirés. Le commissaire est intrigué par la présence de Casanova aussi près du lieu d'un crime, sans doute le suspecte-t-il, connaissant la réputation du bonhomme. Mais Casanova, dans un premier temps, ne réagit pas à cette agressivité. Jusqu'à l'entrée en scène de Chiara... Chassez le naturel, il revient au galop et la belle a de quoi satisfaire les féroces appétits sensuels de Casanova.
Mais, en voulant séduire la jeune femme, Casanova éveille la jalousie d'un Volnay timide de nature, taciturne et peu enclin à exprimer ses sentiments. Entre eux deux, au-delà de l'enquête et des soupçons, une véritable rivalité s'instaure, troublant l'esprit si rationnel du jeune policier. En plus de toutes les embûches, de tous les dangers, voilà que Volnay s'inflige un désagrément supplémentaire.
Quant à Casanova, provocateur né, il va évidemment jouer de ce qu'il inspire au commissaire et s'immiscer un peu plus dans son enquête que ne le ferait un simple témoin... L'est-il, d'ailleurs ? Et ne s'intéresse-t-il qu'aux beaux yeux (euphémisme, évidemment) de Chiara ? On comprend évidemment d'emblée que le pseudo Chevalier de Seingalt aura un rôle important dans cette affaire, puisque son nom, contrairement à celui de Volnay, apparaît en couverture du roman. Oui, mais quel rôle, exactement ?
Volnay, de son côté, va devoir faire un examen de conscience, à travers cette enquête. Bien sûr, depuis deux ans, il sert officiellement le Roi, en tant que policier, et la loyauté, comme l'intégrité, lui est chevillée au corps. Pourtant, je le redis, Volnay n'est pas un fervent admirateur de la monarchie absolue, bien au contraire. En cela, il ressemble assez à Casanova, et c'est peut-être aussi pour cela qu'il lui en veut tant.
Car le voir jouer les "imposteurs, escrocs et manipulateurs" au lieu de se mettre au service d'un changement possible de société, cela l'horripile. Casanova est un égoïste, quand Volnay se veut altruiste. Mais, parfois, il est naïf. Et tout méfiant qu'il soit, il va se faire joliment embrouiller, notre commissaire aux affaires étranges, comme si, entre son passé que revient lui souffler à l'oreille des mots pas très doux et cette Chiara qui ne quitte plus son esprit, il perdait sa lucidité...
Deux derniers personnages que je voudrais brièvement évoquer : la Pompadour et Louis XV lui-même. La Pompadour qui cherche à tout prix à protéger ce monarque blasé qu'elle aime encore et toujours et qui l'a écartée sans pitié quand il ne l'a plus désirée. Elle s'accroche à un illusoire rôle politique qui devient clandestin. Mais son influence reste réelle, malgré les insultes qu'elle essuie chaque jour, et il vaut mieux être dans ses petits papiers si on ne veut pas se retrouver avec une redoutable ennemie en face de soi.
Louis XV, lui, est bien loin de ce Roi qui gagna le surnom de Bien-Aimé... Ignore-t-il ou se moque-t-il éperdument du mécontentement qui gagne le peuple partout ? Difficile à dire, mais une chose est certaine, gouverner n'est plus manifestement sa priorité. Il ne semble plus vivre que pour le plaisir de ses sens, multipliant les conquêtes, plus jeunes les unes que les autres, et utilisant ses domestiques pour jouer les rabatteurs, dans des conditions parfois effrayantes...
A côté du Roi tel qu'on le voit, Casanova passerait presque pour un modèle de vertu et Volnay pour un anachorète... Au-delà des questions politiques qui se pose dans un royaume que plus personne ne dirige, c'est aussi la moralité du Roi qui est au coeur de ce roman, et la manière dont ses adversaires pourraient en faire un argument fort contre lui. Pas étonnant, dans ces conditions, que l'on se retrouve souvent autour du fameux Parc-aux-Cerfs, lieu tout entier dédié aux plaisirs du Roi.
Cet été, je vous ai proposé un billet sur "l'homme au ventre de plomb", de Jean-François Parot, autre polar historique qui se situe exactement à la même époque que "Casanova et la femme sans visage". Pourtant, et je ne vais pas jouer au jeu des sept différences entre Le Floch et Volnay, les deux manières d'aborder les mêmes questions sont assez éloignées.
Sans doute cela tient-il tout de même à la personnalité plus sombre de Volnay qui contamine tout le livre, plus noir, plus dur, moins flamboyant que l'enquête de Nicolas Le Floch. Mais l'on retrouve dans les deux l'importance d'un climat politique particulièrement complexe et tendu. On est 30 ans avant la Révolution, une génération pleine, et pourtant, tous les ferments sont déjà là, en action...
C'est un premier livre, il plante aussi le décor pour la série à venir. Et je suis très curieux, avec ce que l'on apprend à leur sujet, de voir comment Volnay et le moine vont évoluer. Et comment leurs enquêtes et leurs propres idées vont s'imbriquer dans cette époque mouvementée, où la société monarchique est bousculée, remise en cause, mais où les élites ne semblent pas mesurer l'ampleur du mouvement.
C'est étrange, ça me rappelle quelque chose...
C'est une douce et agréable soirée de printemps. Une agréable soirée qui, en quelques instants, tourne au drame. Un cri, terrible, glaçant, retentit dans une rue de Paris. On s'approche, un corps au sol, celui d'une femme, littéralement défigurée... Arrive bientôt sur place un jeune homme à la froideur évidente. Il est policier, se nomme Volnay et a pour titre "commissaire aux morts étranges".
Quand il arrive sur une affaire, on sait qu'elle est loin d'être ordinaire. Lui n'évolue pas dans le quotidien, au grand dam de son supérieur, Monsieur de Sartine, mais ne prend en charge que quelques affaires qui lui paraissent être les plus difficiles à résoudre. Et là, un corps au visage méconnaissable allongé sur le pavé parisien, c'est un cas difficile...
A l'image de son titre, les méthodes d'investigations du chevalier de Volnay ne sont pas ordinaires : observation, prélèvement d'indices, croquis, notes... Le XVIIIème siècle se veut le siècle de la Raison et des Sciences, Volnay en est un parfait exemple. Mais, ce n'est pas tout, le garçon est doté d'un sens de l'observation terriblement aiguisé, d'une intuition en éveil permanent et d'une détermination sans faille.
Mais, en attendant de pouvoir interpréter ses indices, voilà le bras droit du commissaire qui arrive pour se charger du corps de la victime. Une présence qui ne va pas passer inaperçue : un homme, le visage caché sous la capuche d'une robe de bure, menant une carriole dans un silence de mort... Frisson dans la foule, et pas agréable...
Volnay, lui, veut interroger les premiers témoins du drame. Se présente alors devant lui un homme qui dit avoir été le premier sur les lieux. Un certain... Chevalier de Seingalt, déclare-t-il... Sans se déparer de son calme, Volnay lui rétorque aussitôt qu'il sait qui il est et l'appelle par un autre nom : Monsieur Casanova. Eh oui, le séducteur, le libertin, même, dont la réputation est connue dans toute l'Europe, l'homme qui s'est évadé de façon spectaculaire de la prison de Plombs, à Venise, c'est lui qui se présente comme principal témoin... Un véritable témoin de moralité, si je puis dire... Ou un premier suspect pour Volnay...
C'est le début d'une enquête compliquée, pleine de danger pour Volnay, dans une France qui gronde, qui commence à trouver que son monarque Bien-Aimé, Louis XV, mène le royaume à sa perte, qui trouve dans les écrits philosophiques des alternatives à la religion dominante, qui a faim, qui perd du terrain en Europe comme Outre-Mer... Une France qui va mal...
Déjà, au début de l'année 1757, le Roi a échappé de peu à un attentat, commis par Robert-François Damiens. Il s'en est fallu de peu que Louis XV soit grièvement blessé, voire tué par cet homme pour le moins exalté... Et "le peu" à qui le Roi doit la vie, c'est Volnay, intervenu in extremis pour sauver un roi pour lequel il n'a aucune sympathie. En retour, il a obtenu à sa demande ce poste de commissaire aux morts étranges qu'il semble exercer comme bon lui semble...
Le voilà donc au service du roi, lui qui ne cache guère ce que lui inspire un régime en décrépitude. Mais je n'en dis pas plus, le passé de Volnay va tenir un place importante dans le roman. En fait, c'est comme si le policier envisageait ses enquêtes comme de simples jeux intellectuels dans lesquels il mettrait à l'épreuve les savoirs qu'il accumule tous azimuts, à travers ses nombreuses lectures, parfois très pointues...
Peu d'empathie, dans sa démarche. Quant à la question de la justice, peut-il se la poser dans un royaume où, pour reprendre La Fontaine, encore tellement d'actualité, "selon que vous soyez puissant ou misérable, les jugements de cour vous rendent blanc ou noir". Intelligent et intègre, peut-être un peu trop idéaliste, malgré tout, Volnay est un franc tireur dans une capitale où tout le monde espionne tout le monde, où les pamphlets se multiplient et les complots se préparent dans chaque antichambre...
S'il s'attend à une enquête complexe, c'est plus la présence de Casanova dans les parages qui semble perturber Volnay. Mais voici que le lendemain matin, on frappe à sa porte, aux premières heures. Devant lui, se tient une charmante jeune femme qui se présente comme étant Chiara d'Ancilla, issue d'une noble famille italienne. Et si elle vient le voir, c'est parce qu'elle sait qu'il s'occupe d'affaires criminelles et qu'elle aimerait, elle qui est férue de sciences, examiner le corps de la victime de la veille...
Vous imaginez la surprise de Volnay... Et pas seulement à cause du physique avenant de la demoiselle. Elle en sait beaucoup sur lui, on dirait. Et sur son travail... Qu'à cela ne tienne, même si le jeune policier n'est pas indifférent au charme de cette demoiselle, il a une tâche à remplir. Une enquête qui, pour le moment, tarde à démarrer. A moins que la lettre qu'il a subtilisée sur le cadavre ne lui offre le point de départ qui lui manque...
Mais, en la prenant, allez, disons-le, en la volant (et en se faisant prendre sur le fait par Casanova), Volnay a outrepassé ses fonctions. Et le sceau qui l'orne pourrait vite devenir synonyme de gros ennuis... Surtout si cette piste le conduit, comme il le craint, dans l'entourage proche du roi, voire au souverain lui-même... Pourtant, rien ne peut être aussi simple ou évident et, très vite, le chasseur qu'est le Chevalier Volnay va se retrouver proie...
En effet, son enquête semble bien intéresser, et plus que cela encore, de nombreuses personnes qui ont sans doute intérêt à connaître le fin mot de l'histoire, ou à s'arranger pour qu'il ne soit jamais connu... Mais, au final, cela fait beaucoup d'ennemis, et déterminés, en plus, sans oublier les différents clans qui cohabitent dans le panier de crabes de la cour et qui ont des yeux partout... Enfin, il y a Casanova et Chiara, que Volnay semble trouver sans cesse sur son passage, sans arriver à savoir vraiment pourquoi...
Au commissaire aux morts étranges de démêler cet écheveau dont il n'est pas certain que le corps sans visage soit véritablement le centre... Pourtant, tout part de ce décès fort suspect, il en est certain, mais à qui profiterait ce crime ? A moins que cette malheureuse victime ne soit que la partie visible de quelque chose de bien plus important et dangereux. Et pas seulement pour Volnay...
Volnay ne peut guère faire confiance qu'au moine mystérieux qui l'accompagne sur les scènes de crime et sur la pie apprivoisée à qui il apprend à parler. Et encore... Tiens, puisqu'on parle de ce moine, un mot de lui. Son passé, lui aussi, décidément, est trouble. Son habit ne fait pas le moine, car s'il a bien été, il est défroqué depuis longtemps, et l'on comprend que des accusations d'hérésie ont pesé sur lui. Son intérêt marqué pour les sciences n'y est sans doute pas pour rien, mais sa curiosité pour l'alchimie, sans doute plus encore.
Pourtant, ses connaissances en font, pour employer un vocable contemporain, pardonnez-moi cet anachronisme, le légiste de Volnay. Mais c'est aussi une sorte de sage, qui remplit à merveille son rôle d'aîné auprès du jeune policier en lui prodiguant des conseils avisés. Et tant pis si le chevalier ne supporte pas ses ambitions alchimiques...
Bien sûr, on est comme Volnay, on découvre chacun des clans qui tournent autour de cette mort étrange comme des vautours. On s'interroge sur les rôles des uns et des autres, sur la menace qu'ils représentent d'abord pour le policier, mais aussi au-delà ce cas particulier... Plus il essaye d'avancer et de comprendre ce qui est arrivé à la jeune femme, plus les dangers se font proches...
Et son enquête dérange, c'est certain. Le parti dévot, la marquise de Pompadour, qui se morfond en disgrâce, Sartine, qui semble agir en faveur de... Sartine, d'autres groupes plus obscur et jusqu'au Roi, qui ne semble guère décidé à aider le policier dans son enquête, c'est un vrai front qui se dresse devant Volnay, qui n'a alors plus que son courage, sa volonté et aussi la colère intense qui l'habite depuis de longues années pour poursuivre inlassablement son enquête...
Au cours de ses investigations, on va aussi croiser un personnage qui, à l'image de Casanova, a laissé derrière lui, et déjà à son époque, une aura sulfureuse et bien des légendes : le Marquis de Saint-Germain. Un homme qu'on dit détenteur des secrets de la jouvence éternelle ou encore de la pierre philosophale. Un homme qui, comme Casanova là aussi, sait parfaitement tirer profit de la crédulité de son époque...
En effet, l'une des choses frappantes dans le roman de Barde-Cabuçon, c'est le contraste saisissant entre ce Siècle des Lumières, siècle des philosophes, de l'Encyclopédie, de la science et de la raison triomphantes, du déclin de l'Eglise dominante et l'avènement de nombreuses formes de superstitions tenant à la vie éternelle, à l'alchimie, qu'on croyait disparue depuis le Moyen-Age... Au milieu des figures scientifiques et intellectuelles, font donc florès des escrocs notoires qui savent s'en mettre plein les poches, en promettant la lune, au sens propre, à de riches personnalités aristocratiques désoeuvrées...
Casanova est l'un de ces profiteurs. Car s'il est en France, ce n'est pas que pour séduire, encore et toujours, des femmes qu'il délaissera ensuite. Non, c'est aussi pour tirer quelques subsides malhonnêtement mais discrètement acquis de ce talent inné... Oh, il n'est pas du genre Robin des Bois, l'argent va dans sa poche, mais voler les riches, ça lui convient bien. Il le sait, bientôt, il devra quitter la France, quand un ou deux (ou plusieurs) scandales seront reprochés au Chevalier de Seingalt, et alors ?
Avec Volnay, la relation est d'emblée à couteaux tirés. Le commissaire est intrigué par la présence de Casanova aussi près du lieu d'un crime, sans doute le suspecte-t-il, connaissant la réputation du bonhomme. Mais Casanova, dans un premier temps, ne réagit pas à cette agressivité. Jusqu'à l'entrée en scène de Chiara... Chassez le naturel, il revient au galop et la belle a de quoi satisfaire les féroces appétits sensuels de Casanova.
Mais, en voulant séduire la jeune femme, Casanova éveille la jalousie d'un Volnay timide de nature, taciturne et peu enclin à exprimer ses sentiments. Entre eux deux, au-delà de l'enquête et des soupçons, une véritable rivalité s'instaure, troublant l'esprit si rationnel du jeune policier. En plus de toutes les embûches, de tous les dangers, voilà que Volnay s'inflige un désagrément supplémentaire.
Quant à Casanova, provocateur né, il va évidemment jouer de ce qu'il inspire au commissaire et s'immiscer un peu plus dans son enquête que ne le ferait un simple témoin... L'est-il, d'ailleurs ? Et ne s'intéresse-t-il qu'aux beaux yeux (euphémisme, évidemment) de Chiara ? On comprend évidemment d'emblée que le pseudo Chevalier de Seingalt aura un rôle important dans cette affaire, puisque son nom, contrairement à celui de Volnay, apparaît en couverture du roman. Oui, mais quel rôle, exactement ?
Volnay, de son côté, va devoir faire un examen de conscience, à travers cette enquête. Bien sûr, depuis deux ans, il sert officiellement le Roi, en tant que policier, et la loyauté, comme l'intégrité, lui est chevillée au corps. Pourtant, je le redis, Volnay n'est pas un fervent admirateur de la monarchie absolue, bien au contraire. En cela, il ressemble assez à Casanova, et c'est peut-être aussi pour cela qu'il lui en veut tant.
Car le voir jouer les "imposteurs, escrocs et manipulateurs" au lieu de se mettre au service d'un changement possible de société, cela l'horripile. Casanova est un égoïste, quand Volnay se veut altruiste. Mais, parfois, il est naïf. Et tout méfiant qu'il soit, il va se faire joliment embrouiller, notre commissaire aux affaires étranges, comme si, entre son passé que revient lui souffler à l'oreille des mots pas très doux et cette Chiara qui ne quitte plus son esprit, il perdait sa lucidité...
Deux derniers personnages que je voudrais brièvement évoquer : la Pompadour et Louis XV lui-même. La Pompadour qui cherche à tout prix à protéger ce monarque blasé qu'elle aime encore et toujours et qui l'a écartée sans pitié quand il ne l'a plus désirée. Elle s'accroche à un illusoire rôle politique qui devient clandestin. Mais son influence reste réelle, malgré les insultes qu'elle essuie chaque jour, et il vaut mieux être dans ses petits papiers si on ne veut pas se retrouver avec une redoutable ennemie en face de soi.
Louis XV, lui, est bien loin de ce Roi qui gagna le surnom de Bien-Aimé... Ignore-t-il ou se moque-t-il éperdument du mécontentement qui gagne le peuple partout ? Difficile à dire, mais une chose est certaine, gouverner n'est plus manifestement sa priorité. Il ne semble plus vivre que pour le plaisir de ses sens, multipliant les conquêtes, plus jeunes les unes que les autres, et utilisant ses domestiques pour jouer les rabatteurs, dans des conditions parfois effrayantes...
A côté du Roi tel qu'on le voit, Casanova passerait presque pour un modèle de vertu et Volnay pour un anachorète... Au-delà des questions politiques qui se pose dans un royaume que plus personne ne dirige, c'est aussi la moralité du Roi qui est au coeur de ce roman, et la manière dont ses adversaires pourraient en faire un argument fort contre lui. Pas étonnant, dans ces conditions, que l'on se retrouve souvent autour du fameux Parc-aux-Cerfs, lieu tout entier dédié aux plaisirs du Roi.
Cet été, je vous ai proposé un billet sur "l'homme au ventre de plomb", de Jean-François Parot, autre polar historique qui se situe exactement à la même époque que "Casanova et la femme sans visage". Pourtant, et je ne vais pas jouer au jeu des sept différences entre Le Floch et Volnay, les deux manières d'aborder les mêmes questions sont assez éloignées.
Sans doute cela tient-il tout de même à la personnalité plus sombre de Volnay qui contamine tout le livre, plus noir, plus dur, moins flamboyant que l'enquête de Nicolas Le Floch. Mais l'on retrouve dans les deux l'importance d'un climat politique particulièrement complexe et tendu. On est 30 ans avant la Révolution, une génération pleine, et pourtant, tous les ferments sont déjà là, en action...
C'est un premier livre, il plante aussi le décor pour la série à venir. Et je suis très curieux, avec ce que l'on apprend à leur sujet, de voir comment Volnay et le moine vont évoluer. Et comment leurs enquêtes et leurs propres idées vont s'imbriquer dans cette époque mouvementée, où la société monarchique est bousculée, remise en cause, mais où les élites ne semblent pas mesurer l'ampleur du mouvement.
C'est étrange, ça me rappelle quelque chose...