Un homme débarque dans une ville embrumée et silencieuse en pleine nuit. Sa présence se justifie par une enquête sur une vague de suicides décelée dans une entreprise. De lui, on ne sait rien. De cette cité guère accueillante où même l'hôtel le plus pourri présente des tarifs prohibitifs, on devine un tout loin d'être engageant, un risque d'y perdre son âme. En avant pour la visite !
Philippe Claudel est le roi des feignasses intelligents. J'entends par là qu'avec sa prose toujours élégante et enlevée, il tisse une intrigue à tiroirs comme il les affectionne (cf Le rapport de Brodeck, par exemple) piégeant gentiment le lecteur dans un amas d'issues toutes possibles, toutes vraisemblables sans donner son ultime interprétation. Ce procédé éculé agacera certains qui crieront à l'entourloupe et à la supercherie, lorsque d'autres y verront du génie. Il assure à l'écrivain cet énorme avantage de ne jamais fignoler le dénouement de son histoire : dérouter lui permet de ne pas tracer le droit chemin, soumis, lui, aux jugements et aux contradictions logiques.
Bref, on adore ou on n'aime pas L'enquête de Philippe Claudel. Bizarrement, telle une Normande, je me place au centre. Explication : l'écrivain a bien joué avec mes nerfs (un bonus) mais n'a pas pris aucun risque (un malus).
Reste le réquisitoire, intéressant mais déjà énoncé par d'autres, sur cette société de l'ultra-consommation, qui instrumentalise l'homme au profit de son outil de travail, le broie et l'annihile via le harcèlement économique (chômage de masse comme levier de compression, cadences infernales, directives abscons -cf la fameuse ligne jaune-, rivalité Nord-Sud etc) et finalement l'oublie (aucun nom identitaire n'est énoncé dans ce livre, un mort est si vite remplacé). Un discours audible et malheureusement hyper réaliste écrit en 2010, qui s'inspire peut-être de la politique managériale violente de France Telecom à partir de 2004, occasionnant plus de cinquante suicides dans l'ex entreprise publique : un roman juste mais pas transcendant.
Éditions le Livre de Poche LV d'Aspho : merci, Madame pour ce prêt ! (et un clin d’œil à Une Comète qui m'en a tant parlé)
avis : Aspho, Clara, Alex, Mango, Liliba