Demande à la poussière - John Fante

Par Litterature_blog
Arturo, le héros de  Bandini, a bien grandi. Jeune adulte expatrié à Los Angeles, il se rêve écrivain et vient de publier sa première nouvelle dans une revue. En attendant que son talent lui ouvre les portes de la gloire, il crève la faim dans une chambre sordide, bouffant de la vache enragée et ayant toutes les peines du monde à payer son loyer. Et puis dans cette ville immense, Arturo est seul, tellement seul. Dans un troquet minable où le café est pire que de l’eau de vaisselle, il va rencontrer Camilla, une serveuse d'origine mexicaine dont il va tomber fou amoureux, pour le meilleur et surtout pour le pire.
Ah le bonheur ! Grâce à cette lecture commune proposée par Syl, j’ai pu replonger dans un texte découvert il y a 20 ans. Un roman culte, incontournable, une pépite qui a déclenché en moi un coup de foudre pour la littérature américaine. Demande à la poussière est une réécriture de La faim de Knut Hamsun. Il y a dans ces pages une vitalité, une fraîcheur, une urgence et une liberté de ton incomparables. Les phrases se bousculent, Arturo est tour à tour égocentrique, affreusement méchant, imbuvable, touchant ou exaspérant, parfois d'une totale mauvaise foi. Humain, quoi. Ce roman est d’une infinie tristesse mais il déborde d’amour. Il est aussi plein d’humour, d’autodérision, de désespoir. On touche à la folie, à la passion, à la vie dans ce qu’elle propose de plus universel, ce mélange de sentiments allant de la colère à la compassion, de l’attendrissement au dégoût.
L’écriture de John Fante est très orale, elle coule avec une sidérante simplicité. J’adore la variété de son registre de langue. Le vulgaire côtoie des moments de pure beauté, les dialogues sonnent parfaitement juste, c’est tout ce que j’aime en fait.
Les cinq pages du chapitre six sont à tomber par terre. C’est pour moi l’exemple même de l’écrivain touché par la grâce. Jugez plutôt : "J’ai regagné ma chambre, remontant les escaliers de poussière de Bunker Hill, le long des bicoques en bois mangées par la suie qui longent cette rue obscure, avec ses palmiers étouffés par le sable, le pétrole et la crasse, ces palmiers si futiles qui se tiennent là comme des prisonniers moribonds, enchaînés à leur petit bout de terrain, les pieds dans le goudron. Rien que de la poussière partout et des vieilles bâtisses, avec tous ces vieux assis aux fenêtres, tous ces vieux qui sortent de chez eux à petits pas, qui se déplacent douloureusement dans la rue noire. Les vieux de l’Indiana, de l’Iowa et de l’Illinois, de Boston et Kansas City et DesMoines, qui vendent maisons et pas-de-porte et s’en viennent ici en train et en automobile, au pays du soleil, histoire de mourir au soleil, avec juste assez d'argent pour vivre jusqu'à ce que le soleil les tue. [...] Juste assez pour entretenir l'illusion que c'est vraiment le paradis et que leurs petites bicoques en papier mâché sont des vrais châteaux. Les déracinés, les gens vides et tristes [...] On est du même pays, eux et moi, on est les nouveaux californiens."
Fante mon amour ! Sans John Fante, je n’aurais jamais connu Selby et consort. Sans John Fante, une certitude, ma vie de lecteur aurait été bien plus triste !
Demande à la poussière de John Fante. 10/18, 2002. 272 pages. 7,10 euros.
Une lecture commune que j'ai le plaisir de partager avec Syl, Nahe et Manu.