Toutes ces ténèbres ! Au loin, des halos scintillent par-delà l’entendement. J’y file. À toute allure. Contre ma volonté. Condamné à l’oubli, je fuis mes maîtres, je cours à ma perte, dans l’inconnu.
Il y a ce froid. Un froid absolu. Le soleil n’y peut plus rien. Un froid féroce, éternel, qui engourdit mes atomes transis.
Mes maîtres m’ont projeté dans ce monde glacial et ténébreux. Messager sans destinataires, épave
Je file donc dans le vide et l’infini. Mes organes se fatiguent. Jour après jour, le périple me pèse davantage. En 2020, plusieurs de mes organes ne fonctionneront plus. Ensuite ? J’épuiserai mon reliquat d’énergie, j’émettrai quelques maigres signaux. Les oreilles des humains, mes maîtres, les capteront peut-être encore. À moins qu’ils m’aient oublié, et remplacé.
Après ? Eh bien… je poursuivrai mon chemin dans les ténèbres et le froid. Seul. Dans la plus profonde solitude. Plus aucun signal à envoyer ou à recevoir. Je filerai à 525 millions de kilomètres par an, plus de trois fois la distance de la Terre au Soleil. Je foncerai tout droit, sans frottement pour me ralentir, une épave filante, vers l’inconnu, vers l’infini. En l’an 40272, je me réchaufferai à 1,7 année-lumière d’une étoile obscure de la constellation de la Petite Ourse.
« En 1977 du temps terrestre, j’ai quitté la Terre, planète dérisoire dans l’immensité. J’ai croisé Jupiter, Uranus, Neptune et Pluton. En 2013, j’échappais au soleil de mes maîtres. En 2020, à la demande de ces derniers, j’ai bâillonné mes circuits. En 2025, j’étouffais le dernier. Je mourais donc. Et telle une bouteille sur les vagues éthérées de l’espace, mon cadavre a flotté dans le vide et le froid. Je fus attiré par Alpha du Centaure, par l’Étoile de Barnard, par tant d’autres. Aujourd’hui, je suis là. L’Humanité n’est plus. Je m’appelle Voyager I, sonde ridicule, nomade inerte de l’espace sidéral.
Ah oui ! Mes maîtres vous saluent. »
Sources :
http://www.science-et-vie.com/2013/09/14/se-trouve-limite-du-systeme-solaire/
© Jean-Marc Ouellet 2013