Goethe se mheurt

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« Goethe se mheurt »

BERNHARD Thomas

(Gallimard)

Ou, et pour les plus avertis, “Goethe schtirbt » (et non « Goethe stirbt »). Le premier des quatre textes publiés dans cet ouvrage. Un texte d’une extraordinaire drôlerie. Le Vieux Maître se mheurt. Mais il ne veut point passer l’arme à gauche sans avoir accueilli Wittgenstein pour évoquer avec lui la question sur « le doutant et le non-doutant ». La rencontre n’aura certes pas lieu. Mais le moribond se débat, profère quelques sentences, assène de rares vérités. Dont ce superbe « je suis l’annihilateur des Allemands » avant que de conclure « mais je n’en éprouve aucun remords ! ». Puis il finira par m(h)ourir. Son biographe et ses comparses emportant avec eux le terrible secret : Goethe ne s’exclama pas comme le proclame l’histoire officielle « Clarté grandiose » mais plus trivialement « J’en ai ma dose ! »

Les trois autres textes sont de la même veine. « Montaigne. Un récit ». « Retrouvailles ». « Parti en fumée. Carnet de voyage pour un ami d’autrefois. » Avec un intérêt tout particulier pour « Retrouvailles », récit dans lequel le narrateur rappelle à celui qui fut son ami d’enfance les randonnées montagnardes d’autrefois, celles que renouvelaient chaque année leurs géniteurs. Dans une Autriche qui ne s’était pas débarrassée des stigmates laissés par le nazisme. « L’orage arrivait et c’était ma faute, une avalanche s’est déclenchée et c’était moi, disaient-ils, qui l’avaient provoquée. Car le sommet de la montagne était aussi l’endroit où culminait la haine de nos parents contre nous, la haine contre leur progéniture ratée, comme disait souvent ma mère, contre leur honte. » L’Autriche, Bernhard ne la confine pas dans la caricature. Il en exhume tous les travers, les bassesses, l’infinie médiocrité. Des tares qui se transfèrent et se véhiculent au cœur de toute l’Europe. Et que nourrit l’Eglise. « Avec son répugnant bon Dieu, l’Eglise a déjà empoisonné l’Afrique, désormais elle empoisonne l’Amérique latine. L’Eglise catholique est l’empoisonneuse, la destructrice, l’annihilatrice du monde, voilà la vérité. »

Outrances ? Le Lecteur penche du côté de la lucidité, d’un regard acerbe et sans concession à l’égard de sociétés frileuses, engluées dans leurs certitudes de détenir la seule vérité qui vaille. Certes, et en tout premier lieu, cette Autriche où naquit Bernhard, mais aussi la puissante Allemagne, voisine incontournable et donc, par son intermédiaire, une Europe occidentale qui se veut référence, qui prétend imposer son modèle mais qui agonise à petit feu et s’englue dans une affligeante et désespérante médiocrité.