Le soleil nouveau cajole ma robe pourpre. Vive, fraîche, dans la langueur et le charme, j’embaume l’air cristallin du matin. L’aube a versé sa rosée, et alors que la beauté violente de mes pétales émeut bouches et caresses, la brise porte ces vers de Saint-Pré :
Tu verras des perles de rosée,
Sur les roses elles sont accrochées,
Une bonne poignée tu cueilleras,
Dans une boîte tu les rendras.*
L’aqueux s’accroche, miroir verdâtre des herbages. L’eau, ma Précieuse.
En un jour distinct, le nordet du crépuscule m’a murmuré cette insolite nouveauté :
L’Homme, être singulier et ravageur, imite ton pouvoir.
La portée de cette rumeur m’a d’abord échappé.
Elle s’est plus tard révélée en de bourrasques berçantes :
Toi, muse de l’homme, qui retiens les gouttelettes sur tes pétales, écoute cette confidence. Ce mammifère capricieux s’approprie ton pouvoir. Inspiré des nanoparticules aux allures de framboises qui couvrent ta divine corolle, ténus fragments figeant la rosée, l’homme a forgé un matériau qui réduit la liquéfaction sur l’avion, oiseau rigide et froid ! Imagine ! Un matériau qui repousse les bactéries, qui prévient la moisissure et la croissance des champignons ! Ou qui prélève des liquides dans certains de leurs tests ! Tant d’usages absurdes !
« Tant d’usages absurdes ! », me sifflait donc la rafale. Pourtant… qui suis-je, moi, fleur des fleurs, pour juger les desseins de cet être unique, malicieux, soi-disant raisonnable, mais funeste, qui suis-je pour évoquer le mauvais dans ce que j’ignore ? Pour les actes troubles de l’Homme, des motifs s’inscrivent sans doute dans le livre du Vrai. Ne prise-t-il pas la beauté, son âme ne s’enivre-t-elle pas de splendeurs ? Alors…
Du reste, cette contrefaçon n’est pas première. De la nature, l’Homme tire maints modèles. Du Chododendron tomentosum et du Strychnos toxifera des lianes d’Amazonie, il élabora le curare. Sur le modèle des petits crochets de l’Arctium lappa, ou grande bardane, il imagina une bande autoagrippante, qu’il appelle Velcro. Et là, imitant ma structure, il conçoit ce perleur de gouttelettes. Dès lors… pourquoi serais-je offusquée ? Ce vol d’identité me flatte plutôt. Moi, rose, simple fleur dans la multitude, qui inspire soupirs et tendresses, me voilà source d’idées nouvelles dans l’abondance universelle de pensées. Et de la pensée naît la chose, qui à l’égal de moi, brave les griffes du chaos.
Qu’adviendra-t-il de cette humaine création ? Humble fleur, dans le doute, j’écoute le chant équivoque de la rivière. Sous le timide soleil du matin, elle me chuchote ces vers ténébreux de Malherbe :
Les plus belles choses ont le pire destin ;
Et, rose, elle a vécu ce que vivent les roses,
L’espace d’un matin.
* Perles de Perles, Gilbert Saint-Pré
Inspiré de http://www.science-et-vie.com/2013/10/22/materiau-anti-condensation-inspire-petales-rose-cree-chimistes/
© Jean-Marc Ouellet 2014
Notice biographique
Jean-Marc Ouellet grandit dans le Bas-du-Fleuve. Médecin-anesthésiologiste depuis 25 ans, il pratique à Québec. Féru de sciences et de littérature, de janvier 2011 à décembre 2012, il a tenu une chronique bimensuelle dans le magazine littéraire électronique Le Chat Qui Louche. En avril 2011, il publie son premier roman, L’homme des jours oubliés, aux Éditions de la Grenouillère, puis un article, Les guerriers, dans le numéro 134 de la revue Moebius. Chroniques d’un seigneur silencieux, son second roman, paraît en décembre 2012 aux Éditions du Chat Qui Louche. En août 2013, il reprend sa chronique bimensuelle au magazine Le Chat Qui Louche.