Deux narrateurs dans ce court récit de mon écrivain italien
préféré. Le premier s’est rendu à Aushwitz et Birkenau 50 ans après la shoah et
en est revenu totalement bouleversé. A tel point qu’il a décidé d’apprendre le
Yiddish, une langue moribonde : « Le Yiddich a été mon entêtement de
colère et de réponse. Une langue n’est pas morte si un seul homme au monde peut
encore l’agiter entre son palais et ses dents, la lire, la marmonner,
l’accompagner sur un instrument à cordes ». Alors qu’il est en train de travailler
à la traduction en italien d’une nouvelle d’Israel Joshua Singer, frère du prix
Nobel Isaac Bashevis, son regard croise celui d’une femme et d’un homme,
attablés dans le même restaurant que lui. Une fille et son père. Elle sera la
narratrice de la seconde partie du récit et expliquera que son père est un
criminel de guerre nazi caché depuis des années sous un uniforme de facteur
autrichien. Un criminel qui, en voyant dans le même lieu que lui une
personne lisant des feuilles couvertes de caractères hébraïques, va se sentir
menacé...
Encore et toujours la plume sensible et délicate de De Luca. Elliptique aussi, le texte se présentant sous forme de courts paragraphes, comme autant de petites touches qui composeront le tableau final. Un tableau dont la mémoire et la responsabilité sont à l’évidence les thèmes centraux.
La voix de la jeune femme est d’une justesse bouleversante. Elle raconte son histoire, ce père qu’elle a longtemps cru être son grand-père et avec lequel elle vit depuis toujours. Le vieux nazi n’a qu’un seul regret, celui d’avoir perdu ; « je suis un soldat vaincu, tel est mon crime. Le tort du soldat est la défaite. » De son coté, elle voit les choses aussi simplement que sincèrement : « Je n’avais rien à voir avec sa vie d’homme caché, je m’étais simplement occupé de lui. »
Mais une telle vie aura forcément influencé sa relation aux hommes : « Je crois avoir été une bonne fille. J’ai pris soin d’un vieux père. J’ai respecté sa vie cachée, je ne l’ai pas dérangé par un mariage. Je n’ai pas été une religieuse, je n’ai pas pratiqué la chasteté. J’ai attendu des hommes les mains qui, enfant, m’allégeaient en me mettant sur un lit d’eau et de doigts. Aucun ne m’a comblée. Ils pénétraient par poussées, plongeaient en moi qui nageais sur le dos sous le lest de leur corps. [...] Aucun garçon, aucun homme n’avait atteint la surface où battent mes palpitations. Ils avaient plongé leurs corps dans mes entrailles, ils m’avaient creusée par leurs étreintes. Mais ma vie était sur ma peau, mon sens majeur était le toucher, qui a son siège partout entre la tête et les pieds. »
Un long extrait qui souligne la beauté de la prose de De Luca. Je ne suis pas objectif parce que je suis fan de cet écrivain, tout à fait fan. Mais avouez quand même que sa petite musique laisse en bouche un goût délicieux...
Le tort du soldat d’Erri De Luca. Gallimard, 2014. 90 pages. 11,00 euros.
L’avis de Marilyne
Encore et toujours la plume sensible et délicate de De Luca. Elliptique aussi, le texte se présentant sous forme de courts paragraphes, comme autant de petites touches qui composeront le tableau final. Un tableau dont la mémoire et la responsabilité sont à l’évidence les thèmes centraux.
La voix de la jeune femme est d’une justesse bouleversante. Elle raconte son histoire, ce père qu’elle a longtemps cru être son grand-père et avec lequel elle vit depuis toujours. Le vieux nazi n’a qu’un seul regret, celui d’avoir perdu ; « je suis un soldat vaincu, tel est mon crime. Le tort du soldat est la défaite. » De son coté, elle voit les choses aussi simplement que sincèrement : « Je n’avais rien à voir avec sa vie d’homme caché, je m’étais simplement occupé de lui. »
Mais une telle vie aura forcément influencé sa relation aux hommes : « Je crois avoir été une bonne fille. J’ai pris soin d’un vieux père. J’ai respecté sa vie cachée, je ne l’ai pas dérangé par un mariage. Je n’ai pas été une religieuse, je n’ai pas pratiqué la chasteté. J’ai attendu des hommes les mains qui, enfant, m’allégeaient en me mettant sur un lit d’eau et de doigts. Aucun ne m’a comblée. Ils pénétraient par poussées, plongeaient en moi qui nageais sur le dos sous le lest de leur corps. [...] Aucun garçon, aucun homme n’avait atteint la surface où battent mes palpitations. Ils avaient plongé leurs corps dans mes entrailles, ils m’avaient creusée par leurs étreintes. Mais ma vie était sur ma peau, mon sens majeur était le toucher, qui a son siège partout entre la tête et les pieds. »
Un long extrait qui souligne la beauté de la prose de De Luca. Je ne suis pas objectif parce que je suis fan de cet écrivain, tout à fait fan. Mais avouez quand même que sa petite musique laisse en bouche un goût délicieux...
Le tort du soldat d’Erri De Luca. Gallimard, 2014. 90 pages. 11,00 euros.
L’avis de Marilyne