L'Inde sert de décor à notre roman du jour. Un pays qui a pour moi cet aspect exotique des contes des Mille-et-une nuits bien loin de la réalité contemporaine d'un pays certes en émergence, mais encore marqué par la pauvreté. L'Inde sert donc de décor à notre roman du jour et c'est ce même décalage entre l'Occident et elle qui joue un rôle dans l'histoire, plus que le pays lui-même. En tout cas, c'est bien en Inde, dans le sud du sous-continent, que nous suivons les personnages du roman de Catherine Cusset, "Indigo", qui vient de sortir en poche chez Folio. Un roman tout en introspection, avec des personnages qui évoluent dans des milieux intellectuels sans forcément l'être, avec leurs qualités, mais surtout leurs défauts, et à un moment où ils sont à la croisée des chemins... On est pile-poil dans la phrase de Bernardin de Saint-Pierre.
Une réalisatrice et deux écrivains français sont invités à venir participer à un festival culturel organisé par l'Alliance Française à Trivandrum, capitale de l'Etat du Kerala, à la pointe sud de l'Inde. Nous sommes en décembre 2009, un an plus tôt, Bombay était victime d'attaques terroristes meurtrières et la tension reste vive dans le pays, dans la crainte de nouveaux attentats.
La réalisatrice, c'est Charlotte, qui a réalisé deux films, au succès plus critique que public. Elle vit à New York où elle a fondé une famille. Pour ce séjour en Inde, elle laisse pour la première fois ses deux enfants derrière elle, un crève-coeur. Mais, si elle a accepté cette invitation, c'est parce que, depuis 6 mois, elle ne parvient pas à faire son deuil.
Or, ce pays qu'elle ne connaît pas, si lointain, si différent, si évocateur et pourtant si peu connu, lui rappelle son amie disparue. En acceptant ce voyage, ce séjour en Inde, elle espère pouvoir enfin accepter cette mort et reprendre le cours d'une vie paralysée par la tristesse et une grosse part de culpabilité. Ce n'est pas un pèlerinage qu'elle entreprend, mais un voyage pour comprendre un peu mieux cette amie.
L'écrivain chevronné, c'est Roland, qui a connu le succès aussi bien par ses romans que par ses essais philosophiques. Roland, comment vous dire... A première vue, ce n'est pas le gars le plus sympa qu'on puisse rencontrer. La soixantaine passée, il reste un indécrottable don juan, toujours en train de jouer les jolis coeurs pour séduire (comprenez : coucher avec) les demoiselles qu'il rencontre... Enfin, pour parler franchement, c'est un insupportable goujat.
Pourtant, en Inde, il a emmené sa compagne actuelle, Renata, belle Italienne qui a presque 30 ans de moins que lui. Sa vie sentimentale est marquée par des ruptures, le plus souvent de son fait, mais l'Inde le ramène à ce qui fut, peut-être, l'amour de sa vie. Qui sait, si d'anciennes braises ne pourraient pas repartir ? Mais, c'est une autre nouvelle, inattendue, certainement pas souhaitée, qui va mettre le feu à sa vie...
L'autre écrivain, c'est Raphaël, quadra, décontracté en toutes circonstances, qui a fait parler de lui avec un livre racontant sa jeunesse, terrible, comme il se doit pour faire parler de soi à travers un livre. Les cheveux longs, les jeans, les santiags, il est la coolitude incarnée, l'homme qui a su s'en sortir pour se reconstruire.
Des quatre personnages centraux de ce roman, Raphaël est le seul qui n'a aucun lien direct ou indirect avec l'Inde. Mais, comme les trois autres, lui aussi va avoir droit à son lot de surprises au cours de ce voyage. Et, si l'on découvre tout au long du livre son armure, cette image impeccablement travaillée qui fait son image de marque, rien ne dit qu'il ne sera pas amené à la fendre...
Enfin, il y a Géraldine. C'est elle qui a organisé ce festival culturel pour l'Alliance Française. Voilà quelques années qu'elle est venue vivre à Trivandrum avec l'homme qu'elle a épousé. Un Indien musulman rencontré par hasard en Normandie dont elle est tombée amoureuse. Dix mois plus tôt, ils ont eu un garçon et profitent d'une vie certes modeste, mais heureuse.
Avec le budget plus que restreint dont elle dispose, elle a voulu monter ce festival pour promouvoir la culture française en Inde et les échanges entre les deux pays. Sans doute n'imaginait-elle pas la complexité de sa tâche... Un festival de cinéma qui se déroule au même moment et qui risque d'attirer le public, des contingences matérielles permanentes, des questions d'argent, et... des caprices...
Mais tout cela n'est rien face au bouleversement complètement inattendu qui va se produire et remettre en question son existence. Ou en tout cas, la sortir de sa torpeur, de son train-train. Et, malgré le fiasco annoncé de son festival et les problèmes financiers qui en découleront probablement, lui permettre d'envisager les choses sous un plan plus humain, plus profond.
Dans "Indigo", on suit ces quatre personnages principalement, trois d'entre eux sont au centre des chapitres qui se succèdent. Seul Raphaël, sans doute parce qu'il n'a pas de lien avec l'Inde, bien qu'il soit un des principaux protagonistes, n'a pas droit à ses chapitres. Car, c'est par ricochet que ce voyage va changer sa vie. Ou son image. Ou les deux.
"Indigo", c'est le périple de ces trois Français, arrivant en Inde avec leurs gros souliers, leur attitude de gens importants. Leur manière de se comporter en Français, alors qu'ils sont à l'étranger... C'est vrai qu'à plusieurs reprises, ils sont très agaçants. Un peu largués aussi, dans un pays dont ils maîtrisent mal les us et coutumes. Un peu déphasés par ce changement de latitude et de culture.
Mais, ce sont aussi l'irruption programmée ou brutale de changements dans leurs vies qui vient aussi brouiller les cartes. Petit à petit, ils vont révéler leurs fragilités, leurs doutes, leurs angoisses, loin de l'image froide (ne dit-on pas "papier glacé" ?) que le public peut avoir d'eux. Et surtout, si loin de leurs terrains conquis, ils tombent de leur piédestal.
Leur célébrité, les barrières dont ils s'entourent pour se protéger, leur image publique, ici, n'ont plus cours. Ce sont Charlotte, Roland et Raphaël, individus comme les autres, qui sont là et leurs écarts, qui passeraient sans souci à Paris ou à New York, ici, n'ont l'air d'être que de l'impolitesse, de la vanité et du mauvais caractère.
Bien sûr, ce livre peut paraître à certains comme un énième roman germanopratin, intello, gonflant, gonflé... Oui, et je veux bien reconnaître qu'il possède effectivement certains de ces aspects. Sans doute y a-t-il beaucoup de choses que Catherine Cusset a connues, que ce soit pour l'Inde, pour les écrivains, pour elle-même et les remises en question.
On retrouvait dans un de ses précédents romans, "un brillant avenir" (Goncourt des Lycéens 2008), ce mélange d'inspiration autobiographique et de recherche romanesque, en nous emmenant dans la Roumanie de l'après-guerre. Bien sûr, "Indigo" n'est pas un roman d'aventures épiques, ce n'est pas de la littérature d'imaginaire mais le lecteur aurait tort, je crois, de le classer dans une littérature blanche sans souffle ni âme.
D'abord, parce que l'Inde est là, tout de même, qu'on y voyage. Elle n'est pas qu'un décor, la vie dans l'Etat du Ketala ou à Dehli, ville dans laquelle arrive nos festivaliers au début du roman. On n'est pas dans un road-trip, plus un voyage touristique, mais on partage la découverte de ce pays à travers les yeux des Occidentaux. Et, par exemple, j'ai appris l'existence des filets chinois de Fort-Cochin (je reconnais volontiers que je connais très mal l'Inde...).
De même, si j'ai évoqué la situation tendue et la crainte latente du terrorisme, c'est qu'elle est réelle et qu'elle influe, même discrètement sur le récit. Des contrôles aéroportuaires au début du livre jusqu'aux dernières pages, cela revient à intervalles réguliers. Avec, derrière, les grandes questions religieuses et idéologiques qui touchent l'Inde depuis son indépendance et plus encore avec la partition du Pakistan et les conflits autour du Cachemire. Et l'idée que l'Inde, qui a connu pas mal d'incidents graves cette dernière décennie, puisse souffrir de ces montées de radicalisme.
Bien sûr, ce n'est pas le sujet central du roman, mais c'en est un des éléments non-négligeables, comme les évolutions de la société indienne, qui, petit à petit, se libère du système de castes, même si le chemin reste long avant d'avoir une société plus égalitaire... La place des musulmans dans cette société, leurs positions, leurs regards sur le monde, la méfiance qu'ils inspirent aussi, question d'ailleurs sans doute bien plus occidentale qu'indienne, tout cela est dans "Indigo".
En particulier à travers deux personnages, aux comportements et aux attitudes très différentes, l'un plus ouvert et modéré (si tant est que ce mot ait un sens), l'autre, plus revendicatif, en colère. Ils sont deux des visages d'une communauté qui en comporte certainement bien d'autres, dans un pays où le radicalisme islamiste a fait des dégâts et donc suscité de l'inquiétude...
Un festival culturel n'est pas un havre de paix. On peut le regretter, mais le fait que la culture soit implantée dans la société fait que la société influe sur la culture. On le ressent à Trivandrum, d'ailleurs. Les questions posées dans les tables rondes en sont imprégnées, oubliant parfois l'objet principal de l'événement : le partage entre deux cultures assez éloignées.
Mais on le ressent aussi dans le comportement même des personnages que la culture a nourris, aidés, parfois. Ils s'en sont servi dans leur vie quotidienne comme dans leur vie professionnelle. Mais aussi avant de devenir artiste ou de travailler dans les milieux culturels. En aucun cas, Roland et Raphaël ne sont des générations spontanées.
Cela donne à Zweig et à Rimbaud, en particulier, mais bien d'autres écrivains, philosophes et artistes une place dans "Indigo". A part Charlotte, prototype de l'artiste qui semble imperméable à tout dans la pratique de son art, n'a pas d'avis, pas de thèse, pas d'influence, ou en tout cas, ne sait pas le verbaliser, les deux autres rivalisent de références, de réflexions représentatives de la pensée occidentale.
Catherine Cusset, fine observatrice des comportements humains, instaure le climat idéal pour une introspection : des personnages loin de chez eux, de leur cadre de vie habituel, de leurs repères sociaux, et confrontés à des questions personnelles qu'il aurait été facile, à la maison, de glisser sous le tapis, comme la poussière, ou d'évacuer en deux temps, trois mouvements.
C'est assez paradoxal, mais les personnages sont en huis-clos dans l'un des plus grands pays du monde ! Et ce huis-clos, il est accentué par ces tensions dont je parlais plus haut, mais aussi par l'inconnu, qui fait qu'on évite de trop sortir des sentiers battus. Charlotte, la plus aventureuse du lot, en fera l'expérience à deux ou trois reprises...
Alors, on réfléchit à soi, à sa vie, à ce qui arrive, ce qui est de son ressort, de ce qui ne l'est pas. Et sans doute, les trois personnages qui vont quitter l'Inde à la fin du festival, reviendront différents, je le crois sincèrement. Quant à Géraldine, de cette expérience si contrastée, qui aurait pu se finir tellement plus mal, elle tirera forcément nombre d'enseignements utiles pour la suite.
Je me demande si "Indigo" n'est pas avant tout un roman sur le karma. Sur les causes et les conséquences de nos actes qui sont le fil dont nous tissons nos existences. Et, puisque nous sommes occidentaux, que l'idée de réincarnation nous semble lointaine, alors, c'est dans la seule existence terrestre qui nous sera jamais donnée que nous ressentirons l'effet de ces causes et de ces conséquences...
Alors, gare à nos actes ! Un mauvais karma nous retombera sur le nez un jour ou l'autre. Les quatre personnages sont à des stades différents de leurs vies, ils se retournent tous sur leur passé et, de cette expérience plus ou moins longue, plus ou moins riche, plus ou moins heureuse, ils vont devoir tirer les informations qui leur serviront à construire leur avenir.
Un avenir serein, souhaitons-leur, car on s'attache (plus ou moins) à ces personnages, dont on comprend que la vie n'a pas toujours été facile et qu'il ne faut pas forcément se fier au premier sentiment qu'ils provoquent en nous. Sérénité, oui... Car, en principe, à la fin du livre, après avoir bardé et bousculé tout le monde, l'orage est passé...
Cet orage qu'en Inde, annonce un ciel de couleur... indigo.
Une réalisatrice et deux écrivains français sont invités à venir participer à un festival culturel organisé par l'Alliance Française à Trivandrum, capitale de l'Etat du Kerala, à la pointe sud de l'Inde. Nous sommes en décembre 2009, un an plus tôt, Bombay était victime d'attaques terroristes meurtrières et la tension reste vive dans le pays, dans la crainte de nouveaux attentats.
La réalisatrice, c'est Charlotte, qui a réalisé deux films, au succès plus critique que public. Elle vit à New York où elle a fondé une famille. Pour ce séjour en Inde, elle laisse pour la première fois ses deux enfants derrière elle, un crève-coeur. Mais, si elle a accepté cette invitation, c'est parce que, depuis 6 mois, elle ne parvient pas à faire son deuil.
Or, ce pays qu'elle ne connaît pas, si lointain, si différent, si évocateur et pourtant si peu connu, lui rappelle son amie disparue. En acceptant ce voyage, ce séjour en Inde, elle espère pouvoir enfin accepter cette mort et reprendre le cours d'une vie paralysée par la tristesse et une grosse part de culpabilité. Ce n'est pas un pèlerinage qu'elle entreprend, mais un voyage pour comprendre un peu mieux cette amie.
L'écrivain chevronné, c'est Roland, qui a connu le succès aussi bien par ses romans que par ses essais philosophiques. Roland, comment vous dire... A première vue, ce n'est pas le gars le plus sympa qu'on puisse rencontrer. La soixantaine passée, il reste un indécrottable don juan, toujours en train de jouer les jolis coeurs pour séduire (comprenez : coucher avec) les demoiselles qu'il rencontre... Enfin, pour parler franchement, c'est un insupportable goujat.
Pourtant, en Inde, il a emmené sa compagne actuelle, Renata, belle Italienne qui a presque 30 ans de moins que lui. Sa vie sentimentale est marquée par des ruptures, le plus souvent de son fait, mais l'Inde le ramène à ce qui fut, peut-être, l'amour de sa vie. Qui sait, si d'anciennes braises ne pourraient pas repartir ? Mais, c'est une autre nouvelle, inattendue, certainement pas souhaitée, qui va mettre le feu à sa vie...
L'autre écrivain, c'est Raphaël, quadra, décontracté en toutes circonstances, qui a fait parler de lui avec un livre racontant sa jeunesse, terrible, comme il se doit pour faire parler de soi à travers un livre. Les cheveux longs, les jeans, les santiags, il est la coolitude incarnée, l'homme qui a su s'en sortir pour se reconstruire.
Des quatre personnages centraux de ce roman, Raphaël est le seul qui n'a aucun lien direct ou indirect avec l'Inde. Mais, comme les trois autres, lui aussi va avoir droit à son lot de surprises au cours de ce voyage. Et, si l'on découvre tout au long du livre son armure, cette image impeccablement travaillée qui fait son image de marque, rien ne dit qu'il ne sera pas amené à la fendre...
Enfin, il y a Géraldine. C'est elle qui a organisé ce festival culturel pour l'Alliance Française. Voilà quelques années qu'elle est venue vivre à Trivandrum avec l'homme qu'elle a épousé. Un Indien musulman rencontré par hasard en Normandie dont elle est tombée amoureuse. Dix mois plus tôt, ils ont eu un garçon et profitent d'une vie certes modeste, mais heureuse.
Avec le budget plus que restreint dont elle dispose, elle a voulu monter ce festival pour promouvoir la culture française en Inde et les échanges entre les deux pays. Sans doute n'imaginait-elle pas la complexité de sa tâche... Un festival de cinéma qui se déroule au même moment et qui risque d'attirer le public, des contingences matérielles permanentes, des questions d'argent, et... des caprices...
Mais tout cela n'est rien face au bouleversement complètement inattendu qui va se produire et remettre en question son existence. Ou en tout cas, la sortir de sa torpeur, de son train-train. Et, malgré le fiasco annoncé de son festival et les problèmes financiers qui en découleront probablement, lui permettre d'envisager les choses sous un plan plus humain, plus profond.
Dans "Indigo", on suit ces quatre personnages principalement, trois d'entre eux sont au centre des chapitres qui se succèdent. Seul Raphaël, sans doute parce qu'il n'a pas de lien avec l'Inde, bien qu'il soit un des principaux protagonistes, n'a pas droit à ses chapitres. Car, c'est par ricochet que ce voyage va changer sa vie. Ou son image. Ou les deux.
"Indigo", c'est le périple de ces trois Français, arrivant en Inde avec leurs gros souliers, leur attitude de gens importants. Leur manière de se comporter en Français, alors qu'ils sont à l'étranger... C'est vrai qu'à plusieurs reprises, ils sont très agaçants. Un peu largués aussi, dans un pays dont ils maîtrisent mal les us et coutumes. Un peu déphasés par ce changement de latitude et de culture.
Mais, ce sont aussi l'irruption programmée ou brutale de changements dans leurs vies qui vient aussi brouiller les cartes. Petit à petit, ils vont révéler leurs fragilités, leurs doutes, leurs angoisses, loin de l'image froide (ne dit-on pas "papier glacé" ?) que le public peut avoir d'eux. Et surtout, si loin de leurs terrains conquis, ils tombent de leur piédestal.
Leur célébrité, les barrières dont ils s'entourent pour se protéger, leur image publique, ici, n'ont plus cours. Ce sont Charlotte, Roland et Raphaël, individus comme les autres, qui sont là et leurs écarts, qui passeraient sans souci à Paris ou à New York, ici, n'ont l'air d'être que de l'impolitesse, de la vanité et du mauvais caractère.
Bien sûr, ce livre peut paraître à certains comme un énième roman germanopratin, intello, gonflant, gonflé... Oui, et je veux bien reconnaître qu'il possède effectivement certains de ces aspects. Sans doute y a-t-il beaucoup de choses que Catherine Cusset a connues, que ce soit pour l'Inde, pour les écrivains, pour elle-même et les remises en question.
On retrouvait dans un de ses précédents romans, "un brillant avenir" (Goncourt des Lycéens 2008), ce mélange d'inspiration autobiographique et de recherche romanesque, en nous emmenant dans la Roumanie de l'après-guerre. Bien sûr, "Indigo" n'est pas un roman d'aventures épiques, ce n'est pas de la littérature d'imaginaire mais le lecteur aurait tort, je crois, de le classer dans une littérature blanche sans souffle ni âme.
D'abord, parce que l'Inde est là, tout de même, qu'on y voyage. Elle n'est pas qu'un décor, la vie dans l'Etat du Ketala ou à Dehli, ville dans laquelle arrive nos festivaliers au début du roman. On n'est pas dans un road-trip, plus un voyage touristique, mais on partage la découverte de ce pays à travers les yeux des Occidentaux. Et, par exemple, j'ai appris l'existence des filets chinois de Fort-Cochin (je reconnais volontiers que je connais très mal l'Inde...).
De même, si j'ai évoqué la situation tendue et la crainte latente du terrorisme, c'est qu'elle est réelle et qu'elle influe, même discrètement sur le récit. Des contrôles aéroportuaires au début du livre jusqu'aux dernières pages, cela revient à intervalles réguliers. Avec, derrière, les grandes questions religieuses et idéologiques qui touchent l'Inde depuis son indépendance et plus encore avec la partition du Pakistan et les conflits autour du Cachemire. Et l'idée que l'Inde, qui a connu pas mal d'incidents graves cette dernière décennie, puisse souffrir de ces montées de radicalisme.
Bien sûr, ce n'est pas le sujet central du roman, mais c'en est un des éléments non-négligeables, comme les évolutions de la société indienne, qui, petit à petit, se libère du système de castes, même si le chemin reste long avant d'avoir une société plus égalitaire... La place des musulmans dans cette société, leurs positions, leurs regards sur le monde, la méfiance qu'ils inspirent aussi, question d'ailleurs sans doute bien plus occidentale qu'indienne, tout cela est dans "Indigo".
En particulier à travers deux personnages, aux comportements et aux attitudes très différentes, l'un plus ouvert et modéré (si tant est que ce mot ait un sens), l'autre, plus revendicatif, en colère. Ils sont deux des visages d'une communauté qui en comporte certainement bien d'autres, dans un pays où le radicalisme islamiste a fait des dégâts et donc suscité de l'inquiétude...
Un festival culturel n'est pas un havre de paix. On peut le regretter, mais le fait que la culture soit implantée dans la société fait que la société influe sur la culture. On le ressent à Trivandrum, d'ailleurs. Les questions posées dans les tables rondes en sont imprégnées, oubliant parfois l'objet principal de l'événement : le partage entre deux cultures assez éloignées.
Mais on le ressent aussi dans le comportement même des personnages que la culture a nourris, aidés, parfois. Ils s'en sont servi dans leur vie quotidienne comme dans leur vie professionnelle. Mais aussi avant de devenir artiste ou de travailler dans les milieux culturels. En aucun cas, Roland et Raphaël ne sont des générations spontanées.
Cela donne à Zweig et à Rimbaud, en particulier, mais bien d'autres écrivains, philosophes et artistes une place dans "Indigo". A part Charlotte, prototype de l'artiste qui semble imperméable à tout dans la pratique de son art, n'a pas d'avis, pas de thèse, pas d'influence, ou en tout cas, ne sait pas le verbaliser, les deux autres rivalisent de références, de réflexions représentatives de la pensée occidentale.
Catherine Cusset, fine observatrice des comportements humains, instaure le climat idéal pour une introspection : des personnages loin de chez eux, de leur cadre de vie habituel, de leurs repères sociaux, et confrontés à des questions personnelles qu'il aurait été facile, à la maison, de glisser sous le tapis, comme la poussière, ou d'évacuer en deux temps, trois mouvements.
C'est assez paradoxal, mais les personnages sont en huis-clos dans l'un des plus grands pays du monde ! Et ce huis-clos, il est accentué par ces tensions dont je parlais plus haut, mais aussi par l'inconnu, qui fait qu'on évite de trop sortir des sentiers battus. Charlotte, la plus aventureuse du lot, en fera l'expérience à deux ou trois reprises...
Alors, on réfléchit à soi, à sa vie, à ce qui arrive, ce qui est de son ressort, de ce qui ne l'est pas. Et sans doute, les trois personnages qui vont quitter l'Inde à la fin du festival, reviendront différents, je le crois sincèrement. Quant à Géraldine, de cette expérience si contrastée, qui aurait pu se finir tellement plus mal, elle tirera forcément nombre d'enseignements utiles pour la suite.
Je me demande si "Indigo" n'est pas avant tout un roman sur le karma. Sur les causes et les conséquences de nos actes qui sont le fil dont nous tissons nos existences. Et, puisque nous sommes occidentaux, que l'idée de réincarnation nous semble lointaine, alors, c'est dans la seule existence terrestre qui nous sera jamais donnée que nous ressentirons l'effet de ces causes et de ces conséquences...
Alors, gare à nos actes ! Un mauvais karma nous retombera sur le nez un jour ou l'autre. Les quatre personnages sont à des stades différents de leurs vies, ils se retournent tous sur leur passé et, de cette expérience plus ou moins longue, plus ou moins riche, plus ou moins heureuse, ils vont devoir tirer les informations qui leur serviront à construire leur avenir.
Un avenir serein, souhaitons-leur, car on s'attache (plus ou moins) à ces personnages, dont on comprend que la vie n'a pas toujours été facile et qu'il ne faut pas forcément se fier au premier sentiment qu'ils provoquent en nous. Sérénité, oui... Car, en principe, à la fin du livre, après avoir bardé et bousculé tout le monde, l'orage est passé...
Cet orage qu'en Inde, annonce un ciel de couleur... indigo.