Chronique « Tourne disque » : Il était une balade africaine, une fois…
Scénario de Zidrou, dessin de Raphaël Beuchot,
Public conseillé : tout public
Style : Balade initiatique Paru chez Le Lombard, le 13 juin 2014
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L’histoire
Bruxelles 1930. L’illustre violoniste Eugène Ysaÿe, maître de chapelle de la cour de Belgique, range son instrument (qu’il surnomme « Henri ») et embrasse tendrement sa jeune épouse.
Sous la pluie battante, il se dirige vers l’aéroport, direction le Congo Belge.
A bord de l’avion, Eugène fait la connaissance de Norbert Van Haverbeeck, un concitoyen aussi jovial qu’encombrant.
Sur place, le gouverneur qui doit l’accueillir pour fêter le centenaire de l’indépendance de la Belgique prépare son discours. Mais à l’arrivée, Eugène est atteint d’un torticolis carabiné qui l’oblige à annuler le concert. Installé chez ses neveux pour trois semaines, il espère vivre ses rêves d’Afrique.
Au petit déjeuner, un homme noir reste silencieux dans un coin. C’est « Tourne-disque », l’homme de maison, qui depuis son enfance, s’occupe inlassablement de lancer et de retourner les disques des maîtres blancs…
Ce que j’en pense
Si vous passez par là régulièrement, vous devez le savoir : j’addooore Zidrou. Ses scénarii toujours sensibles, souvent tendres et décalés sont des petites perles que j’engrange avec délectation.
Si vous ne connaissez pas, commencez par « Les Folies Bergère« , « La peau de l’ours« , « Lydie » ou « La Mondaine« … quelques albums grands, beaux et simples à la fois.
Dans la même veine, Zidrou nous offre « Tourne-disque », une balade initiatique en terre Africaine librement inspiré de faits réels.
Dans une ambiance très « Out of Africa » (l’Afrique, sa beauté sauvage, ses grands fauves), il nous raconte une histoire simple de rencontre et de respect mutuel. D’un côté, il y a Eugène Ysaÿe, grand musicien, violoniste, compositeur. Un homme cultivé, ouvert. De l’autre « Tourne-disque » : un homme noir d’âge moyen, dédié à la discothèque de ces « maîtres ». Et pourtant, magie du moment, ces deux hommes que tout opposent vont se rencontrer par amour (commun) de la musique.
Des dialogues simples, des moments contemplatifs, des écoutes musicales attentives, Zidrou déroule son histoire avec tendresse et humour. Jouant avec la vision colonialiste de l’époque (1930) Zidrou fait voler en éclat les poncifs. Eugène découvre que les autochtones ne sont pas des sous-hommes incultes. D’une sensibilité artistique et d’une culture musicale immense, Tourne-disque lui ouvre des horizons inattendus que ses propres étudiants semblent incapables de percevoir. De cet échange naîtra le respect et pourquoi pas l’amitié…
Enfin, comme dans « Les Folies Bergère » Zidrou parsème son récit de « bulles oniriques ». Rêves ou cauchemars, il nous fait partager l’intimité, les peurs et les espoirs d’Eugène.
Le dessin
Raphael Beuchot retrouve Zidrou pour un second album commun (après le « Montreur d’Histoires »). Epuré à l’extrême, le trait néo-classique de Beuchot ne m’a pas complètement convaincu. Non pas que ce dénuement volontaire ne convient pas au récit. On y retrouve cette même volonté d’aller à l’essentiel. Mais il manque ce petit quelque chose, ce supplément d’âme qui évoque l’Afrique. Les paysages, traités en grands aplats de couleurs dans les tons ocres et bleus, semblent un peu fades. Pour un rien, on est passé à côté du chef-d’oeuvre…
Pour résumer
Dans une ambiance surannée d’Afrique colonialiste, Zidrou nous offre une ode à la différence, à la tolérance et à l’échange. Mieux qu’un discours sur les droits de l’homme, cet album redonne (un peu) d’espoir dans l’espèce humaine. Sobre, tendre et beau, « Tourne-disque » est servi par le dessin très épuré de Raphael Beuchot. Un peu trop simple à mon goût, mais qu’importe. Il reste de cette lecture un plaisir qui met du temps (beaucoup de temps) à s’estomper. Merci Monsieur Zidrou !