Le deuxième scénariste auquel nous allons nous intéresser est aussi loufoque que le premier, et beaucoup plus emblématique. Watchmen, V pour Vendetta, La Ligue des Gentlemen Extraordinaires, Batman : Killing Joke… Tous ces chef-d’œuvres sont de lui. Et comme pour Grant Morrison, le génie et la folie se côtoient de près chez lui !! Zoom sur… Alan Moore !
Alan Moore est un des Anglais qui a révolutionné les comics, avec les géants Frank Miller, Neil Gaiman, Jamie Delano… Et pourtant, ce n’était pas gagné ! Le jeune Alan Moore se fait virer de l’école pour avoir vendu du LSD, se retrouve marié et père à 24 ans, alors qu’il est au chômage ! Autant vous dire qu’il a toujours été un rebelle anticonformiste. Il commence à écrire pour des magazines locaux, puis pour le fameux magazine de comics Anglais, 2000AD. Son premier succès est V pour Vendetta, ce qui le rend populaire au point d’être débauché par DC Comics !
Il y reprend le titre Swamp Thing entre 1983 et 1987 , dans lequel il invente le personnage de Constantine, aujourd’hui connu de tous grâce à la série de comics Hellblazer, puis grâce au film et à la future série Constantine dont j’ai parlé ici. Il met aussi sa pierre à l’énorme édifice Batman en créant une des histoires les plus marquantes sur Batman et le Joker : Killing Joke. Son prochain comics est un chef d’oeuvre absolu et incontesté. Watchmen… Si vous ne l’avez pas lu, arrêtez tout de suite la lecture de cet article et courez chez votre boutique de comics, cette oeuvre est un indispensable de votre culture comics, et de votre culture tout court d’ailleurs ! Cette histoire a révolutionné le monde des comics. Jamas auparavant un récit n’avait été si profond, si critique aussi envers le genre emblématique des super-héros, et si inventif autant au niveau de la forme que du fond.
Mais cet ouvrage sera le dernier en collaboration avec DC Comics. Alan Moore se brouille avec l’éditeur pour des histoires de droit, ce qui deviendra une habitude au fil des années… Lorsqu’il sortira From Hell, ce sera dans sa propre maison d’édition, Mad Love, qui ne tiendra malheureusement pas très longtemps pour des raisons économiques. Il s’intéresse ensuite à l’érotisme des personnages d’Alice aux Pays des Merveilles avec Lost Girls ! Un livre pas évident à trouver et moins intéressant que le reste dans tous les cas, mais qui a contribué à l’aura sulfureuse de l’auteur aux Etats-Unis toujours aussi puritains.
Toujours brouillé avec DC Comics, Alan Moore passe chez le moins mainstream Image Comics et se débrouille quand même pour rendre un hommage aux histoires de Superman de l’âge d’argent des comics (années 50 – 60) en reprenant le titre Supreme, qui s’arrête malgré tout assez rapidement. Il rend aussi hommage aux feuilletons d’avant-guerre, à H.G Wells et quelques-uns de ses personnages de fictions préférés avec La Ligue des Gentlemen Extraordinaires !
portrait par Thomas Goodwin
Promethea, sa création suivante, est complètement barrée ! Il exploite à fond son idée que l’imaginaire peut être aussi vrai que le monde réel… Il faut dire que comme Grant Morrison, il s’est mis à la magie de manière tout à fait sérieuse, et affirme vénérer le dieu-serpent Glycon. Selon lui, c’est son expérience avec le LSD qui lui a ouvert l’esprit. Depuis, il ressemble à Hagrid avec des bagues, étudie la Kabbale à Northampton, la petite ville Anglaise où il est né et où il réside encore aujourd’hui, se brouille avec tout le monde, mais écrit des histoires sensationnelles ! Alors on lui pardonne…
L’essentiel de Alan Moore
V pour Vendetta
Sa première oeuvre majeure explore un monde post-apocalyptique où l’Europe, l’Afrique et les Etats-Unis ont disparu suite à une guerre nucléaire, thème qui deviendra récurrent dans toute ses œuvres. La société Anglaise a survécu difficilement aux changements climatiques qui ont suivi, et s’est retrouvée sous la domination d’un gouvernement fasciste qui pratique une épuration sans pitié de sa population. Le peuple est terrorisé, mais V, un anarchiste masqué, va chambouler cette société menaçante… La corruption du gouvernement et les dangers du nucléaire sont déjà présents dans cette première histoire. Si le propos politique est parfois trop violent, c’est certainement un récit magistral qu’on oublie pas de sitôt !
V pour Vendetta est sorti en mai 2012 chez Urban Comics
Killing Joke
Alan Moore n’est pas très fier de cette histoire, il a avoué la trouver trop peu développée avec le recul. C’est vrai que le livre est fin. Mais cette représentation du Joker est aussi courte que percutante, elle a donné des cauchemars à plus d’un lecteur… Et est devenue un indispensable pour tous les fans de la chauve-souris et du clown prince du crime ! J’en parle plus longuement dans mon guide de lecture de comics sur le Joker !
Watchmen
Et si les justiciers en costume avaient vraiment existé depuis les années 40 ? Le scénariste explore ici cette idée, en ancrant son récit dans un monde extrêmement réaliste. Et ça donne des gens qui se déguisent pour taper sur d’autres, de toute évidence guidés par leur instabilité mentale… Des débordements, une limite invisible entre héros et ennemis… Les thèmes de la guerre froide mais aussi de la guerre nucléaire, encore, sont très présents. L’anarchisme de l’auteur se ressent aussi, comme le prouve sa représentation du gouvernement des Etats-Unis (Nixon réélu pendant 17 ans !) et le comportement d’un des Watchmen, Le Comédien. C’est une histoire très adulte par rapport aux sorties habituelles des comic books, qui s’interroge sur la légitimité voire l’utilité d’un justicier masqué, alors que c’est un genre emblématique des comics. Il souligne l’humanité, donc le caractère faillible de ces costumés qui se prennent pour des héros. Ce récit non linéaire, qui comporte plusieurs intrigues secondaires, est rempli de trouvailles révolutionnaires, comme le chapitre 5, entièrement construit sur une symétrie parfaite visuellement ! Watchmen est le seul comic book à avoir gagné un Hugo Award, un prestigieux prix littéraire. On dit souvent que c’est le meilleur comic book jamais écrit… Il faut passer au dessus de la colorisation criarde des années 80 et se concentrer sur le fond, mais promis, votre vision des comics sera changée après l’avoir lu.
Watchmen est sorti en janvier 2012 chez Urban Comics
La Ligue des Gentlemen Extraordinaires
Pour rendre hommage aux romans-feuilletons, Alan Moore utilise les personnages du Capitaine Nemo (de Vingt Mille Lieues sous les Mers), L’homme invisible, le Docteur Jekyll et Mister Hyde et Allan Quatermain (créé par Henry Rider Haggard). Et il part du principe que tous les romans sont la réalité ! Donc Dracula, les dieux grecs, les extra-terrestres, l’état totalitaire de 1984… Tout ça coexiste dans une Angleterre victorienne décidément très steampunk… Un peu fou, Mister Moore ? Surtout très cultivé ! Certaines références ne sont pas faciles à comprendre mais l’univers est fascinant.
La Ligue des Gentlemen Extraordinaires est paru en intégrale en janvier 2013 chez Panini Comics
Promethea
Last but not Least ! Ce n’est pas son travail le plus connu, et il ne se trouve pas souvent dans les listes des articles à propos d’Alan Moore. Parce que c’est un travail plus récent tout d’abord, mais aussi un peu moins populaire, à cause de son thème entre la magie, le rêve et occultisme, le tout avec une pincée de super-héroïsme… Nous suivons l’histoire de Sophie Bangs, jeune New-Yorkaise appartenant à un univers alternatif. Oui, nous sommes en 1999, oui, il y a des voitures volantes. Cette jeune fille veut interviewer Barbara Shelley , pour son exposé sur une figure du folklore : Promethea. Mais comme le dit Barbara : « You don’t wanna go looking for folklore. And you especially don’t want folklore to come looking for you. »
une planche au hasard pour vous donner envie…
Barbara est l’hôte d’une entité puissante qu’on pourrait qualifier de super-héroïne, la fameuse Promethea. Et Sophie est la prochaine ! Et là, on embarque pour un voyage hors du commun entre initiation magique, promenade dans l’arbre de vie mystique, combat contre des monstres. Oui, Moore parle de sa dernière passion, la Kabbale, mais il critique aussi le matérialisme et le manque d’imagination d’un monde obsédé par la science. C’est un titre mené par une super-héroïne (j’aurais pu l’intégrer dans ma liste des comics qui aiment les femmes), comportant beaucoup de réflexion philosophiques et agrémenté des superbes créations visuelles du dessinateur de génie J.H. Williams III. Vous en connaissez beaucoup, vous des comme ça ? Ce n’est pas pour tout le monde, mais ça valait vraiment le coup que j’en parle !
Promethea est paru en 7 tomes, chez Semic puis Panini entre 2000 et 2010
La question des adaptation cinématographiques
Alors, Alan Moore est un peu difficile sur ce sujet-là… Après quelques conflits, il a refusé de travailler avec les grand éditeurs de comics (Marvel et DC Comics), alors imaginez sa position sur les grands studios de cinéma ! Il a cédé ses droits pour se faire de l’argent en plus, comme il le dit lui-même, mais ne pensait pas que ses comics pouvaient être réellement transposés à l’écran. V pour Vendetta, La Ligue des Gentlemen Extraordinaires et Watchmen lui ont donné tord. Il a carrément décidé de renoncer à un paquet d’argent (au moins un million ? plusieurs ?) en refusant de toucher les royalties provenant des films adaptés de ses oeuvres, pour ne pas y être associé ! Regardez bien les génériques de ces films, vous n’y trouverez pas son nom.
Selon lui , les films sont des prémachés simplistes pour les personnes trop limitées pour lire un bon bouquin. Je résume, parce que les citations sur le sujet sont nombreuses ! Malgré tout, pour beaucoup de personnes qui ont connu son oeuvre grâce aux adaptations cinématographiques, dont je fais partie d’ailleurs, c’est faux. J’ai lu Watchmen parce que le film était réussi. J’ai lu beaucoup de livres parce que Watchmen et Batman : The Dark Knight étaient réussis.
(J’ai lu tellement de livres que je m’excuse d’avance auprès des gens qui participeront à mon prochain déménagement)
Alors Alan, on t’adore, mais ne généralise pas. Sur Comics pour Noob, on croit fermement que peu importe ce qui t’a permis de lire des comics. Le principal, c’est que maintenant tu as envie !