Orgon et Ergaste, deux nobles amis de longue date, ont choisi de rapprocher leur fortune en unissant leurs aînés, sans leur consentement. Décidés à ne pas se marier (même pour les beaux yeux paternels) et manipulés, l'une (Lucile) par sa confidente (Lisette) et l'autre (Damis) par son valet (Frontin) (les épousailles risqueraient de rendre inutiles et sans pouvoir ces serviteurs de second zone et sans scrupules), les deux jeunes gens conviennent d'un rendez-vous afin de proposer à leurs pères respectifs un très bon prétexte à la vacuité de l'union. Sauf que lors de l'entrevue, ils tombent littéralement sous le charme l'un de l'autre. Trop fiers pour se l'avouer (Damis considère le mariage comme obsolète, Lucile craint d'y perdre sa liberté et sa spiritualité), nos deux héros guère courageux laissent le soin à Lisette et à Frontin de sceller leur destin (et leur éloignement temporaire).
image d'une scène de Les Serments indiscrets, captée sur le site de La Voix du Nord
Seconde épouse de Thésée, Phèdre aime Hippolyte, fils de ce dernier, né d'une première union. Consciente de cet amour anormal, elle dévoile son état d'âme à Oenone, celle qui a pris soin d'elle toute sa vie. L'annonce de la mort de Thésée va accélérer les confidences : sous les conseils d’Oenone, Phèdre annonce à Hippolyte son ressenti, celui-ci (pourtant peu enclin aux jeux de l'amour) révèle à Aricie, descendante d'un clan ennemi et bannie de la société civile, ses tendres sentiments à son égard. Bref, un trio qui ne tourne pas rond, et surtout moins, quand Thésée ressuscite !
image d'une scène de Phèdre, captée sur le site de La Voix du nord
On ne change pas une équipe qui gagneChristophe Rauck a fait le choix là de pièces ambitieuses : beaucoup de texte à clamer (donc une mémorisation à assurer à pleins tubes), un vocabulaire désuet, un contexte qui n'a plus rien à voir avec notre vie actuelle (je pense en particulier à l'omnipotence/présence des serviteurs au sein de ces familles). Pourtant, d'une certaine façon, ces deux pièces phares de ce metteur en scène présentent un thème similaire : l'art de la communication. D'un côté (Les serments indiscrets), beaucoup de parlotte mais pas de franches conversations (tout est suggéré, jamais dit ouvertement et résultat : un amoncellement de quiproquos, plus gros les uns que les autres, où les gens se trahissent, jouent avec les sentiments d'autrui, se contredisent), de l'autre (Phèdre), des confidences puis des rétractations voire des mensonges qui mèneront à la perte de trois personnages. Alors, ces deux pièces foncièrement modernes, malgré leur lexique élaboré et ancien, nous rappellent la difficulté de s'épancher, de se dévoiler, d'assumer ses sentiments et ses choix, de prendre du recul et de ne pas agir dans la précipitation, de ne jamais laisser à d'autres le choix de notre liberté et de notre conscience. Il faut être courageux pour aimer, il faut être aussi courageux pour le dire.
Christophe Rauck a une troupe fétiche : Pierre-François Garel (Hippolyte/Damis), Cécile Garcia Fogel (Phèdre/Lucile) formidables et sensuels renforcent les deux pièces par leur jeu naturel, assuré et délicat. Les autres acteurs ne déméritent pas : au contraire ! (mention spéciale à Nada Strancar (Oenone) comédienne éblouissante de discrétion et de présence)
Je regrette juste une chose dans la distribution de Phèdre : l'âge de comédiens ! Olivier Werner me paraît trop jeune pour être le père d'Hippolyte et ses cheveux tondus n'y changent rien.
Une mise en scène efficace, un peu plan-plan pour Phèdre, plus imaginative pour Les Serments indiscrets.
Remarquable en tout point, la scénographie de Les serments indiscrets ne démérite pas les prix reçus : de beaux drapés, un usage précieux et équilibré de la vidéo (avec le fameux témoin malheureux puis revanchard de Phénice, sœur de Lucile), une scène finale magnifique (et c'est rare de terminer les larmes aux yeux devant un si beau moment de réconciliation générale), des acteurs investis, un Marivaud top.
Celle de Phèdre me paraît plus attendue et plus classique : bien servie par le jeu des acteurs (vraiment, ils assurent !), elle surprend le public grâce à l'arrivée de Thésée sur le plateau : bref, ce personnage ne passe pas inaperçu. Les acteurs infléchissent bien leur diction, permettant aux spectateurs de savourer comme il se doit le texte de Racine. Toutefois, malgré les clins d’œil (Marilyne, Barbara, les cloches, la piscine), la mise en scène aurait mérité un peu plus de fantaisie (peut-être, en bousculant les décors). Et surtout, la chorégraphie (en particulier les gesticulations au sol) est à revoir, ainsi que les vociférations (Thésée en particulier, Hippolyte parfois, Phèdre dont on entend la respiration) devraient être plus limitées : on peut exprimer la violente par la tessiture sans pour autant se casser la voix !
Deux représentations vues au Théâtre du Nord à Lille !
et un/deux de plus pour le challenge d'Eimelle (cela faisait longtemps !)