Je me rappelle de nos rendez-vous chez le gynéco lors de la première
grossesse de ma femme. Le gars devait avoir pas loin de 70 ans et son matériel était aussi vieux que lui. Il ponctuait chacune de ses phrases d’un tonitruant «
Hein ? D’accord ? » et nous on était toujours d’accord, forcément. Il montrait un truc sur l’écran de son échographe et disait, «
là, c’est les reins, là, le cœur... hein, d’accord ? » et moi je ne voyais qu’un haricot, de la neige et quelques traits. Je me rappelle qu’il comptait les doigts, aux pieds et aux mains, qu’il insistait toujours sur l’importance du pouce («
le pouce, c’est la pince, hein, d’accord ? »). Pépette n°1 avait des pouces, on était sauvé. Elle semblait aussi avoir tout ce qu’il fallait là où il fallait mais je n’étais jamais franchement rassuré en sortant de son cabinet.
L’inquiétude n°1, celle qui m’a toujours terrorisé (parmi tant d’autres, mais celle-là prenait largement le dessus) concernait la
trisomie. Avoir un enfant trisomique était ma hantise. J’étais persuadé que je ne pourrais pas assumer, que je serai lâche et irresponsable. Je finissais par me convaincre que mon amour pour cet enfant ne souffrirait pas de sa différence, mais la méthode Coué ayant ses limites, je gardais en moi l’intime conviction que je n’arriverais pas à gérer une telle situation.
Bien sûr, il est aujourd’hui possible, très tôt dans la grossesse, d’écarter (ou pas) le risque de trisomie. Mais le système n’est pas infaillible et le taux d’erreur, même infime, existe. C’est ce qui est arrivé à Fabien Toulmé et à sa femme Patricia. Parents d’une petite Louise de quatre ans en parfaite santé, leur seconde fille, Julia, est née trisomique. Pourtant, la grossesse s’était passée sans souci, les examens de contrôle n’ayant décelé aucune anomalie particulière. Le choc fut d’autant plus rude.
L’album raconte le point de vue d'un papa face à ce cataclysme (ce serait d'ailleurs mon seul petit bémol, le fait que la maman soit assez effacée tout au long du récit, un peu mise à distance. En même temps, il n'est pas simple pour le père de se mettre à sa place). Il raconte l’angoisse, le dégoût, le rejet, la colère. Il raconte le difficile accouchement d’un amour paternel, le long chemin vers l’acceptation. Sa peur, sa méconnaissance de la trisomie, sa propre intolérance face aux handicapés, le parcours du combattant entamé face aux professionnels de santé, Fabien Toulmé ne cache rien. Avec pudeur, délicatesse et sincérité. Avec parfois des mots durs mais aussi de l’autodérision et de l’humour. Son témoignage m’a bouleversé à un point inimaginable. J’en suis ressorti ébloui, admiratif devant la façon dont il a abordé le sujet. J’ai été touché par cette humanité, cette simplicité ne laissant aucune place au pathos et à la mièvrerie.
Je ne vais pas en rajouter, je ne vais pas en faire des tonnes. mais sachez que si j’étais riche, j’achèterais ce livre par palettes entières pour l’offrir partout autour de moi. Si j’étais influent et que j'avais une vraie force de persuasion, je convaincrais mon large auditoire de se jeter dessus. Je ne suis rien de tout cela mais je voudrais quand même crier sur les toits que cet album est un petit bijou. Et ne venez pas me dire que l'histoire vous fait peur, que dès que l'on vous parle d'enfants malades, handicapés ou mourants, vous partez en courant, je n'accepterai aucun de ces arguments en amont de la lecture. Parce que ce témoignage est une leçon de vie d'une intelligence, d'une justesse et d'une humilité désarmantes. Parce qu'il est porteur d'un espoir lucide qui vous fouille les tripes et vous ouvre les yeux. Parce que... bon, je suis à court d'arguments mais j'espère que le message est passé.
Ce n’est pas toi que j’attendais de Fabien Toulmé. Delcourt, 2014.
244 pages. 18,95 euros.
Une lecture que je partage avec
Noukette. Et partager cet immense coup de cœur avec elle, rien ne pouvait me faire plus plaisir !
L'avis de Sandrine
Je fais évidemment de cet album une pépite pour le non-challenge de Galéa