Olivier Rolin est un écrivain français magnifique, auteur d'une vingtaine de romans formidables, largement traduits, mais il n'est pas assez reconnu. Ni par les jurés des prix. Ni par les lecteurs français ou belges francophones. "Par contre", me confiait-il un soir d'octobre 2010, un peu dépité devant un public bruxellois clairsemé, "quand je me rends à Anvers, je fais salle comble!" C'était dans l'Anvers d'avant, oui, mais les écrivains français y sont toujours merveilleusement bien accueillis. Olivier Rolin n'est pas le seul à me le dire régulièrement.
C'est dire si je suis enchantée qu'il reçoive aujourd'hui 18 novembre le dixième Prix du Style pour son dernier roman en date, "Le météorologue" (Seuil/Paulsen, 304 pages), ce qui lui vaudra entre autres un chèque en euros équivalent au nombre de pages du livre. Il l'obtient par neuf voix contre une à "Faux nègres" de Thierry Beinstingel (Fayard) et une au roman "Les Grands" de Sylvain Prudhomme (Gallimard/L'Arbalète).
Dans ce quatrième livre sur la Russie (après "En Russie" (Quai Voltaire, 1987, Points, 1997), "Bakou, derniers jours" (Seuil, 2010, Points, 2011) et "Sibérie" (Inculte, 2011)) , l'écrivain retrace cette fois la vie d'Alexéi Feodossévitch Vangengheim. Qui est-ce? Il fut le premier directeur du service hydro-météorologiste d'URSS et fut envoyé au goulag pour avoir donné de mauvaises prévisions. Le météorologue croupit aux îles Solovki de 1934 à 1937, avant d'être exécuté avec 1.115 autres malheureux dans le plus grand secret.
Pendant ses années de camp, et jusq'à la veille de sa mort atroce, il envoyait à sa toute jeune fille, Éléonora, des dessins, des herbiers, des devinettes. C'est la découverte de cette correspondance adressée à une enfant qu'il ne reverrait pas qui m'a décidé à enquêter sur le destin d'Alexéï Féodossévitch Vangengheim, le météorologue. Mais aussi la conviction que ces histoires d'un autre temps, d'un autre pays, ne sont pas lointaines comme on pourrait le penser: le triomphe mondial du capitalisme ne s'expliquerait pas sans la fin terrible de l'espérance révolutionnaire."
Pas d'extrait du livre "Le météorologue" sur le site des Editions du Seuil.
Pour savourer le style d'Olivier Rolin, on peut lire ici le début du superbe roman "Un chasseur de lions" (Seuil, 2008, Points, 2009). Un roman d'aventures sur un explorateur inconnu, portraitisé par Edouard Manet, qui se double d'une subtile réflexion sur le temps qui passe.
Avec ce livre qui embarque son lecteur pour ne plus le lâcher, dense, romanesque, lettré et extrêmement réjouissant, Olivier Rolin réussit l'impressionnant exercice de nous intéresser à la vie d'un obscur chasseur de lions (le fauve du tableau mesure "quatre mètres quarante du mufle au bout de la queue") de la fin du XIXe siècle, "chasseur de gaffes", inventeur d'une "balle explosible", équipé d'une "poudrière de voyage". Il nous entrouvre des portes sur la manière dont vivaient Manet ("un habitué des insultes, il ne cherche pas à choquer, pourtant, seulement à peindre ce qu'il voit"), les autres peintres de l'époque, les artistes d'autres disciplines, le bon peuple de Paris, le racontant tellement bien qu'on ne peut que se rendre compte qu'on n'en savait fichtre rien. Un passé qu'il éclaire de constants va-et-vient avec le présent, le sien, le nôtre.
Ces enquêtes croisées sur Pertuiset et Manet, où l'on se rend de la Commune aux grands espaces africains, où l'on explore la Terre de Feu comme on se tient dans un petit coin d'atelier d'artiste sont les bases sur lesquelles Olivier Rolin pose un roman passionnant de bout en bout, où souffle l'aventure, au gré des pérégrinations exploratrices ou amoureuses du chasseur de lions. Où se glisse l'introspection quand l'écrivain se donne rendez-vous avec lui-même, s'interrogeant sur ce qu'il voit et ressent.
La rencontre entre l'auteur et Eugène Pertuiset a été double et fortuite: entre un livre acheté en Patagonie et un tableau vu au musée de São Paulo, il s'est écoulé un quart de siècle. Formidable déclencheur pour un homme à l'imagination foisonnante, qui en abreuve une belle série de personnes ayant existé. Le tout dans une langue superbe, émaillée de mots rares, "un peu disparus", ajoute Rolin qui en fait ses délices, comme "coquecigrue" ou "olibrius". Devant tant de beauté littéraire, le plaisir est immense. "J'aime bien une langue moderne mais qui tienne compte de ses strates anciennes", explique le "non économe de mots".
Assemblés à sa mode, ces mots où jamais l'on ne s'égare, qui caressent l'imaginaire, orchestrent un livre exigeant, nourrissant et grand public.
C'est dire si je suis enchantée qu'il reçoive aujourd'hui 18 novembre le dixième Prix du Style pour son dernier roman en date, "Le météorologue" (Seuil/Paulsen, 304 pages), ce qui lui vaudra entre autres un chèque en euros équivalent au nombre de pages du livre. Il l'obtient par neuf voix contre une à "Faux nègres" de Thierry Beinstingel (Fayard) et une au roman "Les Grands" de Sylvain Prudhomme (Gallimard/L'Arbalète).
Dans ce quatrième livre sur la Russie (après "En Russie" (Quai Voltaire, 1987, Points, 1997), "Bakou, derniers jours" (Seuil, 2010, Points, 2011) et "Sibérie" (Inculte, 2011)) , l'écrivain retrace cette fois la vie d'Alexéi Feodossévitch Vangengheim. Qui est-ce? Il fut le premier directeur du service hydro-météorologiste d'URSS et fut envoyé au goulag pour avoir donné de mauvaises prévisions. Le météorologue croupit aux îles Solovki de 1934 à 1937, avant d'être exécuté avec 1.115 autres malheureux dans le plus grand secret.
Olivier Rolin.
De ce livre, Olivier Rolin dit ceci: "Son domaine c'était les nuages. Sur toute l'étendue immense de l'URSS, les avions avaient besoin de ses prévisions pour atterrir, les navires pour se frayer un chemin à travers les glaces, les tracteurs pour labourer les terres noires. Dans la conquête de l'espace commençante, ses instruments sondaient la stratosphère, il rêvait de domestiquer l'énergie des vents et du soleil, il croyait "construire le socialisme", jusqu'au jour de 1934 où il fut arrêté comme "saboteur". À partir de cette date, sa vie, celle d"une victime parmi des millions d"autres de la terreur stalinienne, fut une descente aux enfers.Pendant ses années de camp, et jusq'à la veille de sa mort atroce, il envoyait à sa toute jeune fille, Éléonora, des dessins, des herbiers, des devinettes. C'est la découverte de cette correspondance adressée à une enfant qu'il ne reverrait pas qui m'a décidé à enquêter sur le destin d'Alexéï Féodossévitch Vangengheim, le météorologue. Mais aussi la conviction que ces histoires d'un autre temps, d'un autre pays, ne sont pas lointaines comme on pourrait le penser: le triomphe mondial du capitalisme ne s'expliquerait pas sans la fin terrible de l'espérance révolutionnaire."
Pas d'extrait du livre "Le météorologue" sur le site des Editions du Seuil.
Pour savourer le style d'Olivier Rolin, on peut lire ici le début du superbe roman "Un chasseur de lions" (Seuil, 2008, Points, 2009). Un roman d'aventures sur un explorateur inconnu, portraitisé par Edouard Manet, qui se double d'une subtile réflexion sur le temps qui passe.
Avec ce livre qui embarque son lecteur pour ne plus le lâcher, dense, romanesque, lettré et extrêmement réjouissant, Olivier Rolin réussit l'impressionnant exercice de nous intéresser à la vie d'un obscur chasseur de lions (le fauve du tableau mesure "quatre mètres quarante du mufle au bout de la queue") de la fin du XIXe siècle, "chasseur de gaffes", inventeur d'une "balle explosible", équipé d'une "poudrière de voyage". Il nous entrouvre des portes sur la manière dont vivaient Manet ("un habitué des insultes, il ne cherche pas à choquer, pourtant, seulement à peindre ce qu'il voit"), les autres peintres de l'époque, les artistes d'autres disciplines, le bon peuple de Paris, le racontant tellement bien qu'on ne peut que se rendre compte qu'on n'en savait fichtre rien. Un passé qu'il éclaire de constants va-et-vient avec le présent, le sien, le nôtre.
Ces enquêtes croisées sur Pertuiset et Manet, où l'on se rend de la Commune aux grands espaces africains, où l'on explore la Terre de Feu comme on se tient dans un petit coin d'atelier d'artiste sont les bases sur lesquelles Olivier Rolin pose un roman passionnant de bout en bout, où souffle l'aventure, au gré des pérégrinations exploratrices ou amoureuses du chasseur de lions. Où se glisse l'introspection quand l'écrivain se donne rendez-vous avec lui-même, s'interrogeant sur ce qu'il voit et ressent.
La rencontre entre l'auteur et Eugène Pertuiset a été double et fortuite: entre un livre acheté en Patagonie et un tableau vu au musée de São Paulo, il s'est écoulé un quart de siècle. Formidable déclencheur pour un homme à l'imagination foisonnante, qui en abreuve une belle série de personnes ayant existé. Le tout dans une langue superbe, émaillée de mots rares, "un peu disparus", ajoute Rolin qui en fait ses délices, comme "coquecigrue" ou "olibrius". Devant tant de beauté littéraire, le plaisir est immense. "J'aime bien une langue moderne mais qui tienne compte de ses strates anciennes", explique le "non économe de mots".
Assemblés à sa mode, ces mots où jamais l'on ne s'égare, qui caressent l'imaginaire, orchestrent un livre exigeant, nourrissant et grand public.
Le tableau d'Edouard Manet.