Esprit d'hiver - Laura Kasischke ***

Par Philisine Cave
Il est rare que je ferme un roman sans savoir quoi en penser. Parce qu'il recèle de qualités indéniables (une écriture ciselée, des personnages déroutants, une ambiance angoissante qui se tient, une chute parfaite) mais possède un défaut non négligeable (celui de m'avoir lâché en milieu de parcours, au point que je poursuive la lecture en mode rapide, à savoir trois phrases par page, sans perdre le sens global de l'histoire, en m'attardant toutefois sur les dernières feuilles assez saisissantes, quoique prévisibles).   Résultat :  une note de trois étoiles qui ne veut rien dire ! (Décidément tout se perd ou se gagne, c'est selon !) Un jour de Noël, il neige beaucoup. Eric laisse sa femme Holly et sa fille adoptive Tatiana seules, le temps de chercher ses parents à l'aéroport. Holly se prépare à accueillir ses amis, des collègues de bureau de son mari, la famille pour ce déjeuner particulier. Pourtant, à l'image de la météo contrariante, l'ambiance familiale n'est pas à la fête : la mère et l'adolescente ont du mal à communiquer, semblent ne plus se comprendre. Entre deux échanges virulents, Holly, inquiète de tout devoir gérer, se souvient de la découverte de Tatiana à l'orphelinat, son passé de poétesse, ses liens amicaux. Les invités se décommandent et le huis-clos plonge ! Si l'idée de rythmer la narration par le présent festif (quoique) et le passé (en Russie, là où est née Tatiana) passe relativement bien, l'intrigue n'empêche pas un certain ennui s'installer. D'abord parce que l'héroïne principale Holly ne cesse de ressasser (et j'ai beau avoir pris de l'âge, je ne suis pas suffisamment gâteuse pour oublier ce qui a été écrit deux pages plus tôt), ensuite le récit s’essouffle :  il est difficile de maintenir un huis clos haletant sans qu'il ne se passe grand chose : mêmes anecdotes (verre brisé, viande tombée au sol, changement de tenue : tantôt du rouge, tantôt du noir, avec ou sans boucles d'oreille, le blizzard bien présent, le téléphone qui sonne), mêmes tourments (remise en question de Holly, prises de tête pour elle et aussi pour moi !).
Pourtant, Esprit d'hiver me révèle l'écriture de Laura Kasischke : intéressante, nourrie, riche de détails. Il lui manque juste le souffle narratif d'une Joyce Carol Oates au meilleur de sa forme (même si cette dernière est tout à fait capable de moins réussir certains de ses romans). On sent que l'écrivaine ne laisse rien au hasard, à préparer son intrigue, guide le lecteur et lui donne les pistes rapidement, les noie aussitôt. Je n'ai aucunement été dérangée par ce rapport fille-mère spécial ; j'ai apprécié le questionnement juste de l'adoption (celui de choisir un enfant, celui de l'acheter) et l'étude du phénomène de la résilience (très très bien exploitée : c'est d'ailleurs le point fort d'Esprit d'hiver).  Je comprends que ce roman ait ses adeptes comme ses détracteurs, il ne laisse pas indifférent. La preuve : j'ai voulu connaître la fin, plutôt que l'abandonner complètement !
Traduction littéraire d'Aurélie Tronchet Christian Bourgeois Editeur
emprunté à la biblio
avis : Jérôme, Aifelle, Cathulu, Alex, Clara sur Babélio, Sharon, Galéa, Valérie, Indira, Miss G, Ikekuburo, Jostein, Carnet de lecture, A propos de livres, Sylire, Estelle Calim,
et un de plus pour les challenges d'Aspho (prix Elle du roman 2014),  de Miss G, et de Philippe