ALAIN GAGNON ***
Les Dames de l’Estuaire, Montréal, Triptyque, 2013, 153 pages, 20 $.
Trois nuances de solitude
Alain Gagnon nous propose ici trois novellas se passant toutes, ou peu s’en faut, dans un Bas-du-Fleuve aux différentes teintes.
La première histoire, « La Toupie », est celle qui m’a le moins intéressé. Il s’agit du récit improbable d’un Ukrainien, Andrei, en quête de solitude. Comme les protagonistes des novellas suivantes, il est écrivain et cherche un endroit retiré où il pourra écrire.
Son dévolu se porte sur le phare du Haut-fond Prince, connu des gens du lieu sous le nom de la Toupie, à sept kilomètres de Tadoussac. On le devine psychiquement blessé, on sait qu’il l’est
physiquement, mais on ne saura vraiment pourquoi qu’à la toute fin : les réminiscences et les rêves du protagoniste n’arrivant pas à nous éclairer, c’est une lettre qui viendra expliquer sa quête de rédemption. « Toutefois, sur cette planète, personne n’a chanté comme les Slaves la qualité rédemptrice de la souffrance. » (p. 46) Il faut croire qu’Alain Gagnon n’est pas slave, parce qu’il ne m’a pas fait adhérer à cette histoire qui m’a semblé s’éparpiller.
La deuxième histoire, par contre, m’a beaucoup plus intéressé, bien qu’il s’agisse d’un récit fantastique. « La Dame aux Glaïeuls » présente le récit d’un homme, lui aussi écrivain, en quête de solitude et hanté par son passé. Engagé comme surveillant dans un hôtel abandonné l’hiver, il est aux prises avec ce que plusieurs décrivent comme une sorte de fantôme. Un personnage secondaire dira au héros de l’histoire: « En tant que psy, je ne devrais pas parler comme ça, mais c’est un endroit qui semble rendre ses gardiens fous. » (p. 75) Il me semble avoir lu ailleurs semblable prémisse, par ailleurs habilement exploitée… Plus encore que dans les autres histoires, les femmes sont ici particulièrement interchangeables, voire inchangées, le héros butant sans cesse sur des Gladia qui ont un physique et un style vestimentaire
semblables. Contrairement aux autres histoires, le récit se déroule de manière chronologique, et, contrairement au premier, il happe.
La troisième histoire est d’encore plus haute tenue. « Le Gambit de la Dame » nous raconte comment un aspirant écrivain, un solitaire, est devenu au fil du temps un tueur à gages doublé d’un bénévole auprès de mourants solitaires. « On a donné [aux échecs] le nom de Gambit de la Dame à une ouverture fermée des plus anciennes et des plus populaires. […] C’est en fin de match que cette perverse manœuvrière dévoile soudain l’implacable efficacité de sa machine de guerre. » (p. 107-108) Avec un tel propos placé en prologue, on se doute bien que notre assassin se fera lui-même éliminer à la fin du récit, par le fait d’une femme, mais ça n’enlève rien au bonheur de lecture, bien au contraire.
Chacun des trois récits repose sur un travail de recherche manifeste qui s’insère bien dans les histoires. Qui, sur le phare susmentionné ; qui, sur la légende canadienne décrite par l’abbé Casgrain et qui, sur les échecs. Une plume à (re) découvrir.
Lettres québécoises, PRINTEMPS 2014