1Q84 livre 1, avril-juin, Haruki Murakami - glissement métaphysique acte I

Par Cloizzo @mange_livres

C'est peu dire qu'Haruki Murakami est pour moi, et de longue date, l'un des génies de la littérature contemporaine - il n'y a qu'à voir comme je recommande chaudement à presque tout le monde la pour moi cultissime Course au mouton sauvage, en inconditionnelle invétérée. D'où mon enthousiasme à la sortie, ultra-médiatisée, de la fameuse trilogie 1Q84.
Deux destins, considérés séparément dans un premier temps. D'un côté, la jeune et athlétique Aomamé, qui a déclaré la guerre aux hommes qui font du mal aux enfants, et les exécute en suivant les instructions d'un mystérieux commanditaire. De l'autre, Tengo, petite main chez un éditeur, chargé de réécrire la prose médiocre de certains auteurs. Tous deux perdus dans leur vie, marquée par une forme de renoncement, seuls et tourmentés. Tous deux confrontés à des changements, des basculements dont Murakami a le secret. Aomamé est coincée dans un embouteillage, ses plans sont perturbés, elle file son collant en essayant de gagner du temps. Tengo est en charge du manuscrit d'une mystérieuse adolescente, vraisemblablement réchappée d'une secte effrayante, et affirmant la véracité de son récit fantastique.
Alors, certes, les ingrédients du bon Haruki Murakami sont là : des personnages en quête, une dimension métaphysique (parfois franchement angoissante), une ambiance de délicieuse étrangeté avec une touche de fantastique et de mystère, peut-être plus sombre et cruelle qu'à l'ordinaire, et puis ce moment où tout bascule (en entrant dans une armoire qui mène à un passage secret, en descendant au fond d'un puits, en empruntant un ascenseur ... ou, ici, en descendant d'une autoroute par un escalier de secours, qui transpose le personnage de 1984 à 1Q84, subtil changement).
Et pourtant, j'en ressors un peu mitigée, sans l'émerveillement suscité par Les chroniques de l'oiseau à ressort, sans l'urgence de poursuivre la lecture de La course au mouton sauvage, sans la profondeur de Kafka sur le rivage ou de La fin des Temps avec sa fabuleuse thématique onirique. La "Murakami touch" opère, mais par instants, l'ensemble demeure disparate, sans unité, mais sans pourtant manquer de charme. Comme si la puissance d'évocation était moindre, comme si le roman était moins abouti - c'est en partie lié au choix de l'éditeur français de fractionner la parution en trois morceaux (ah, la logique commerciale plutôt que celle du récit ...). Mettons cela sur le compte de ma lecture, elle-même inachevée, et lançons-nous gaiement dans la suite des aventures, pour explorer le pouvoir des Little People, dont la découverte s'annonce à peine à l'issue du premier volet !