A peine avais-je fini La Piscine-bibliothèque que je me suis plongée dans ce petit livre, dont le concept ne pouvait que me plaire. Ces coquelicots, je les ai cueillis à la bibliothèque : la quatrième de couverture annonçait plusieurs nouvelles, contant le destin de divers personnages en Belgique, au cours de la Grande Guerre ; le petit papier permettant aux lecteurs de cocher s'ils ont aimé un peu, beaucoup, passionnément ou pas du tout leur lecture était noirci du côté des " Beaucoup ". C'était fort court, alors je me suis laissée tenter.
L'idée était bonne. Un ancien instituteur, un pianiste rendu sourd par les bombardements, une femme à Boches, un pigeon voyageur, un jeune flamand, un congolais ou une jeune fille de bonne famille devenue infirmière : autant de points de vue pour décrire la guerre 14-18 sur le territoire belge. Mais dès la première nouvelle, j'ai senti que ça n'allait pas me plaire. De profundis, qui ouvre le recueil, est une lettre d'un jeune homme mort sur le champ de bataille, sans nom et sans sépulture, adressée aux jeunes de 2014. Elle raconte sa vie d'avant la guerre, sa découverte du front, ses blessures, sa mort au champ d'honneur. C'est le soldat inconnu devant lequel des vétérans en uniforme viennent se recueillir, avant de disparaître à leur tour. Une injonction à se souvenir, une propension à s'attarder sur la barbarie des hommes, saupoudrée d'une petite note moralisatrice sur la guerre chimique qui avait connu ses débuts lors de 14-18 : la nouvelle, loin de me toucher, m'a surtout semblé d'une naïveté désarmante.
Si l'auteur s'est assurément renseignée pour écrire ces récits et bien qu'elle use de la première personne pour faire entendre la voix propre de chacun de ses personnages, on reste extérieur à leurs mésaventures. C'est que dans chaque texte surnage une voix plus générale, qui nous assène toujours le même discours : la guerre, c'est terrible, le monde a changé, des destins ont été brisés. La belle affaire. Il est regrettable que le livre se soit davantage employé à nous le dire, avec des effets de style assez naïfs, qu'à nous le montrer ou nous le faire ressentir. Et ce malgré tout le pathos versé dans ces histoires, que l'on veut trop exemplaires et qui en perdent leur humanité. En outre, l'écriture à la première personne est, à mon sens, l'une des plus difficiles à maîtriser et dans Un bouquet de coquelicots, il y a certains " je " auxquels je ne crois pas. Par exemple, le gamin flamand sans éducation ou le jeune congolais font tous deux des réflexions qu'ils n'auraient jamais pu faire avec ces mots et ces concepts. Perdre le personnage au profit de quelques jolies formules arrangés en bouquets de clichés et bons sentiments me semble assez dommageable. Les bons sentiments ne font pas la bonne littérature, on le sait depuis 1857. Cela ne signifie pas qu'il faille de mauvais sentiments pour faire des lettres, cela signifie que la morale de l'histoire ne préside pas dans le jugement d'un texte.
Je suis d'autant plus amère face à cette déception qu'il y a tout de même dans ce recueil quelques bonnes idées : la chute de la nouvelle Jeanette, la femme à Boches, tombe très juste ; le point de vue sur les tensions entre flamands et wallons dans le contexte particulier de la guerre est intéressant, et l'histoire du pianiste rendu sourd par les bombardements était une belle image... mais j'aurais vraiment aimé que cela soit écrit différemment. Un bouquet de coquelicots est un livre tout pétri d'idéalisme et de bonnes intentions, plein de belles histoires bien renseignées au niveau des faits - beaucoup moins au niveau des mentalités - mais il me semble qu'on a trop voulu délivrer un message, à grands renforts de discours, aux dépens de la littérature. Un éclat d'obus dans l'eau.
Sur le même sujet (hormis que cela se passe en France), je recommande plutôt Des garçons d'avenir, de Nathalie Bauer, déjà chroniqué sur ce blog plus tôt dans l'année.