Un membre permanent de la famille - Russell Banks ****

Par Philisine Cave
Un membre permanent de la famille fait partie des recueils de nouvelles les plus beaux que j'ai lus et même si ce n'est pas un coup de cœur, je reconnais que cette œuvre restera à part dans mon histoire avec ce genre littéraire. Russell Banks a l'art de décrire ses contemporains de façon lucide, intransigeante, empathique et bienveillante. Sa profonde inventivité réside dans la déviance repérée chez certains de ses personnages ou de la déviation de la trajectoire initiale des autres (à n'importe instant de l'intrigue), de surprendre le lecteur, là où il n'attend pas l'initiateur. 
C'est déroutant et très frustrant, parce que ces changements de cap ont souvent lieu en fin de seconde partie et constituent la plupart du temps la fameuse chute, si difficile à amorcer dans l'exercice de la nouvelle : on a envie de rester dans l'instantané avec des protagonistes attachants, parfois perturbants, si mystérieux, de humer leur atmosphère, de les retenir encore un peu avant qu'ils ne disparaissent de notre vue, d'anticiper la fameuse bascule (je l'ai souvent ratée dans mes prévisions).  Très souvent, ils nous échappent avant qu'on les comprenne parfaitement et intégralement. Mais ce suspense constitue le trésor précieux de Russell Banks, « son héritage » que représente cette œuvre foisonnante. Chaque héros n'est qu'une ombre qui nous rend visite le temps de quelques pages, puis laisse la place au copain ou à la copine. L'écriture est splendide (félicitations au traducteur Pierre Furlan), on respire les États-Unis à plein nez, la culture et les contradictions propres à chaque individu. C'était ma première expérience littéraire avec cet auteur (Une Comète m'en a réservée une autre) et je loue la simplicité de cet artiste dans l'emploi des mots, dans la description des situations, sa réelle et touchante efficacité dans ces douze récits. Russell Banks doit être un humain formidable, de sentir et de décrire à ce point si bien l'âme humaine (animale), à l'approcher sans la juger, à remettre en cause sa façon de concevoir une nouvelle, à continuellement modifier sa prose sans en rajouter des tonnes. 
Pourquoi **** au lieu de ***** ? Il m'a manqué la phase émotion dans certaines nouvelles : esthétiquement, les écrits sont parfaits (rythme, écriture, arrêt brutal). J'attendais juste le pincement au cœur, le petit truc qui fait que, moi aussi, je bascule à côté de chaque héros. Cela s'est rarement produit, même si je reconnais que plusieurs de ces rencontres m'ont perturbée les jours qui ont suivi la lecture. Je crois que chaque nouvelle de Russell Banks se savoure, qu'il vaut mieux être gourmet que gourmand pour apprécier le contenu, que celui-ci a besoin de décanter, de diffuser dans le cerveau (comme un thé rend son arôme subtil en infusant une certaine durée, propre à sa nature). Le temps va effectuer son travail de sape, est-ce qu'Un membre permanent de la famille y résistera ? Il est possible que la réponse soit positive.
Mes préférées : il n'y a rien à jeter, il faut juste les relire à l'infini !
Un Ancien marine découvre que sa retraite ne lui permet de vivre décemment. Or ses besoins, sans être excessifs, exigent un certain confort matériel qu'il va s'empresser d'assouvir sous le regard suspicieux de ses trois garnements, gardiens de l'ordre moral.   Une fête de Noël qui procure une émotion forte bien après la lecture, une superbe transition, un adieu pour un nouveau départ : magnifique ! Une Transplantation qui pourrait être la suite de Réparer les vivants de Maylis de Kérangal : tout aussi splendide, très forte, une chute admirable (émouvante). J'ai adoré cette nouvelle et je suis heureuse de l'avoir découverte. Big dog : un jeu de massacre jubilatoire et foncièrement corrosif entre copains après l'attribution d'un prix et d'une prime honorant l'un d'entre eux ! Blue : un achat de voiture mémorable.  Les outer banks : ceux et celles qui ont perdu un chien comprendront toute l'émotion de cette histoire. J'ai été touchée. Perdu, trouvé : une rencontre qui devient une non-rencontre, l'art de la fuite.
Les autres écrits
Un membre permanent de la famille où la garde alternée concerne aussi les animaux de la famille. Oiseaux des neiges : l'amitié féminine plus forte que la mort, écrit très très subtil dans l'interprétation. Le perroquet invisible : une nouvelle ratée selon moi (c'est plus une tranche de vie) À la recherche de Véronica : récit confus, une autre nouvelle ratée selon moi (il manque de la nuance et de la clarté)  La porte verte : un barman étonnant et détonant.
Trois récits concernent les chiens : il est possible que l'auteur fasse une fixette dessus. Je trouve cela plutôt positif et innovant.
excellente traduction de Pierre Furlan Éditions Actes Sud 
Rentrée littéraire Janvier 2015
Merci Jostein pour le prêt de ce LV !
avis : Jostein, Geronimo, Athalie ; CathuluClara ; Dasola ; Hop ! Sous la couette ; Ingannmic ; Kathel ; Le bison ; Luocine ; Ariane, Eva ;