L’oncle Wilbrod, Petits extraits de mon autofiction, par Denis Ramsay…

Par Chatquilouche @chatquilouche

 Octobre 1968.  J’ai huit ans et je suis en troisième année.  J’aimais l’école et mon frère Alain la détestait.  J’étais un premier de classe alors que mon frère se complaisait en fond de grille.  Nos parents nous avaient littéralement abandonnés et, parmi les choses que deux petits gars ne considèrent pas comme prioritaires, le lavage des vêtements ressort au premier rang, d’autant plus qu’une boîte de savon valait bien un pain et une pinte de lait, soit notre nourriture pour une semaine…  Ce matin-là, je n’avais plus de linge propre à me mettre.  Comme mon frère ne comprenait pas mon désir de suivre des cours plutôt que d’intimider les voisins, il me trouva un vêtement un peu moins sale que le reste de la brassée : un haut de pyjama dont l’odeur n’était, selon son nez, pas aussi rebutante que le chandail que j’aimais.

— J’ne suis pas pour aller à l’école avec ça ; c’est un haut de pyjama.

— Personne ne va s’en apercevoir avec des pantalons ordinaires.

Je n’étais pas convaincu, mais j’étais prêt à faire l’essai puisque ce matin, on avait le cours de math, et les maths, c’est tellement rassurant.  On peut compter sur les mathématiques pour fournir une réponse claire à la même question, une stabilité dans ma vie.  Je mis donc mon pantalon pas très propre et le fameux haut de pyjama et me dirigeai vers l’école Ste-Famille.  Je marchais en me traînant les pieds et en regardant par terre, espérant devenir invisible, ayant trop honte pour exister vraiment.

 J’étais le fantôme de ma propre enfance, un garçon de huit ans qui déambulait sans autre but qu’un prochain repas et une bonne note à l’examen.  Mon frère m’avait bien certifié que personne ne s’apercevrait de mon étrange accoutrement.  Pourtant, juste au coin de la rue, le premier ami que je rencontrai m’interpella gentiment.

— Heille !  T’es pas réveillé toé à matin !  Tu portes encore ton pyjama !

Je me regardai comme si je voyais pour la première fois ce vêtement de nuit et, sans le moindre commentaire, je retournai chez moi pour ne plus revenir avant le mois de mai, pétri de honte et d’amertume.

Ma tristesse infinie plombait mes pas et me brisa le cœur.  Aucune réaction de la part de l’école ; personne n’est venu frapper à ma porte.  Jusqu’à ce jour précis, mes notes excellentes m’immunisaient contre toute intervention des services sociaux.  J’avais de bonnes notes, donc j’allais bien et surtout, l’école allait bien…

 Les vêtements de l’oncle Wilbrod

 Quatre ans plus tard, je suis en famille d’accueil depuis un peu plus de trois ans.  Je me dois d’être rentable, de rapporter.  En ce qui a trait aux vêtements, les services sociaux donnent quelques dollars chaque saison pour m’habiller de vêtements neufs.  Cette famille d’accueil préfère garder l’argent pour leur enfant et accepter tout vêtement usagé donné pour moi.  Donc, plutôt que de recevoir du linge usé par ma propre famille, je recevais et portais des guenilles de leur parenté.

L’année de mes douze ans, en 1972, leur oncle Wilbrod est décédé.  L’oncle Wilbrod était petit et ses héritiers m’avaient laissé une grosse boîte de vêtements.  Je vous signale que l’oncle en question était né en 1899 et mort en 1972, ce qui lui faisait un retentissant 73 ans au moment de sa mort !  La taille était à peu près la bonne, la mode, très en retard.  Le velours cordé était à l’honneur, dont le manteau et le bonnet du style « Séraphin Poudrier ».  Déjà que j’étais petit et que je venais de sauter une année, être aussi mal attriqué n’allait pas m’aider à me faire des amis !

Mais le pire, c’était les souliers.  Comme mes espadrilles étaient en fin de course, j’en espérais de nouvelles avec l’argent des services sociaux.  Je reçus plutôt une vieille paire de souliers très pointus et, pour être sûr que tout le monde les remarque, ils étaient en cuir patin, un cuir très brillant.  Et comme mes vieilles espadrilles m’ont justement lâché la même semaine, j’ai dû pratiquer mes sports chaussé de ces souliers à la semelle lisse, plus propices aux planchers de danse qu’aux terrains de jeux.  Au départ d’un sprint, discipline dans laquelle j’excellais, je pris du retard en « spinnant », en courant sur place, pendant que les autres décollaient.

Notice biographique :

L’auteur se présente ainsi :

« Né à Victoriaville dans un garage où sa famille habitait, l’école fut la seule constante de son enfance troublée.  Malgré ses origines modestes, où la culture était un luxe hors d’atteinte, Denis a obtenu un bac en sociologie.  Enchaînant les petits emplois d’agent de sécurité ou de caissier de dépanneur, il publia son premier ouvrage chez Louise Courteau en 1982 :La lumière différente, un conte fantastique pour enfants.  Il est un ardent militant d’Amnistie Internationale et un rédacteur régulier dans des journaux universitaires et communautaires.  Finalement, après plusieurs manuscrits non publiés, il publiera chez LÉR Les chroniques du jeune Houdini.  D’autres romans sont en chantier…  »

(Une invitation à visiter le jumeau du Chat Qui Louche :https://maykan2.wordpress.com/)