"Tout a commencé quand mon père n'a pas voulu voir le Dernier Lapin et s'est terminé quand je me suis retrouvé englouti par une plante carnivore".
Autant le dire d'entrée : je partais conquise, groupie inconditionnelle que je suis de la saga à tomber des Thursday Next - cultissime (L'Affaire Jane Eyre, Délivrez-moi !, Le puits des histoires perdues, Sauvez Hamlet !, Le début de la fin). Je partais conquise, et je n'arrive pas déçue, bien au contraire, à bout de ces six cents et quelques pages de fol humour britannique, menées tambour battant et terriblement désopilante, s'inscrivant dans le digne héritage d'un Terry Pratchett au meilleur de sa forme, mais un Terry Pratchett qui aurait mangé du Stupeflip.
Depuis Le-Truc-qui-s'est-passé, c'est le règne de la politique chromatique, elle-même fondée sur une complexe symbolique des couleurs, finement hiérarchisée (les Gris, achromatiques, et les bas de spectre y étant particulièrement déconsidérés), et organisée autour de la valeur suprême de l'Harmonie. Il s'agit là d'une société terrifiante, codifiée dans ses moindres détails, et où le contrôle des individus est quasi-absolu, encadrés qu'ils sont par des règles innombrables (et le plus souvent stupides - "On ne doit pas faire du monocycle en marche arrière à une vitesse excessive", par exemple).
"Séparés Nous Sommes Ensemble. Il faut bien qu'il y ait une hiérarchie. Les Pourpres ne sont pas hautains et supérieurs parce qu'ils sont Pourpres, mais parce qu'ils détiennent le pouvoir. Tu crois que les Gris seraient différents si les rôles étaient inversés ?"
Suite à une malheureuse initiative, Edward Rousseau se retrouve envoyé dans les Franges extérieures, plus précisément dans un village des Confins dénommé Carmin Est. En moins de temps qu'il n'en faut pour le dire, cet adolescent un peu pataud se retrouve dans un sale pétrin, croisant des personnages aussi curieux que Tommo Cinabre, Travis Canari ou Violette de Mauve. Parviendra-t-il à s'extraire des griffes des uns et des autres ?
Au travers d'une appropriation très libre et d'un détournement sans vergogne des codes de la fantasy, laissant libre cours à son imagination totalement débridée, Jasper Fforde parvient néanmoins à créer un univers à part entière, une dystopie délirante (mais cohérente), le tout en multipliant les références aux grands mythes du genre (en vrac : Le meilleur des mondes, Fahrenheit 451, 1984 ...). L'auteur jubile, et le lecteur connivent jubile avec lui.
Bref : une fantaisie déjantée et décidément rafraîchissante ; de la légèreté, mais de la légèreté intelligente (on peut aussi penser à Tim Robbins), à pleurer de rire, très hautement recommandable, un premier pas possible pour découvrir ce chouette auteur gallois.