Il y a ce lac, cet arbre d’eau, et moi. Il donne l’impression de flotter au-dessus des vagues, mais en fait, ce sont ses larges racines qui le maintiennent au niveau de l’eau. Le sentier d’aigues-marines, qui apaisent les eaux de ce lac, me donne accès à ce refuge. Chaque fois que j’arpente cette voie de pierres fines, je fredonne un air vieux comme le soleil pour rendre légères les pensées qui défilent. Je suspends aux branches de cet arbre mes plus belles. C’est ce que font toutes les fées. J’y accroche des bulles qui tournoient autour de moi et dont la lumière vrille les fragiles prunelles des animaux curieux. Elles font miroiter des souvenirs et font éclore des sourires sur le visage de mes sœurs.
Jadis, les arbres d’eau aussi appelés arbre à bulles avaient la noble tâche d’aider les navigateurs et de les préserver du danger par temps de brouillards. C’est quand les hommes ont cessé d’avoir des pensées heureuses et lumineuses à suspendre à leurs branches qu’ils ont arrêté de les cultiver. Ils ont semé des phares qui eux aussi mourront.
Toutes les fées n’ont pas d’ailes. En fait, mes pieds doivent encore fouler le sol pour m’imprégner de la Terre. De son énergie. Gravir les rocs pour sentir sa force et nager parmi les poissons pour m’imprégner de sa sensibilité, de son inspiration.
Le lac qui héberge mon arbre d’eau se meut lorsque j’y agite ma main, car aussitôt voilà que les koïs attirés par le bruit arrivent en grand nombre. Ces poissons gigantesques sont pleins de douceur ; ils dessinent des taches orange et blanches derrière les pupilles de ce lac qui voit grand. Je me glisse auprès d’eux et ils m’accueillent comme si j’étais l’une des leurs. Ils m’invitent à les suivre. Je m’agrippe à la nageoire dorsale d’un de ces géants tandis que ses nageoires pectorales balaient l’eau comme les ailes des grands oiseaux.
La Lune éclaire ce grand ballet silencieux de doux rayons beiges. Le poisson me fait entrevoir ce monde qui l’entoure. Nous nageons entre les ronces des arbres d’eau, glissant dans les trous noirs comme l’animal au fond d’un terrier. Et soudain, nous ressortons sous le regard d’une Lune médusée. Nous rencontrons au passage des loutres colossales, aux dents longues comme des sabres. Leurs jeux me laissent perplexe et je suis heureuse que mon compagnon déjoue aussi facilement leurs ruses afin de semer ce clan aux dents redoutables. Nous atteignons enfin l’autre rive.
Je le remercie d’un baiser et le laisse s’en aller.
Je quitte ce lac pour atteindre le rivage où le désert de vertes landes ondoie au gré d’une brise éternelle. Devant moi, une silhouette lumineuse me tend la main. Je la reconnais. La Lune me fait grâce d’un merveilleux sourire. Son visage ne me semble plus aussi rond, alors que tout son corps est devenu cette magnifique femme. C’est exactement la même chose avec les étoiles. Lorsqu’elles atterrissent sur la terre ferme, elles n’ont plus cette allure sphérique et commune. Mais la Lune demeure la plus particulière et, à mon avis, la plus gracieuse de toutes. Elle est beaucoup plus près de nous et, en l’occurrence, à l’écoute de nos confidences.
Elle me tend un présent. Ce sont des ailes. Des ailes légères, mais prêtes pour les grands voyages. Comme celle des papillons de nuit. C’est pour lui rendre visite qu’elle me souffle à l’oreille. Quand une fée a des ailes, c’est que la Lune lui en a fait cadeau, afin qu’elle la visite à son tour au-delà des nuages. Sa lumière est attirante pour celles qui, comme moi, aiment tout ce qui brille. Par contre, avec ces ailes viennent de grandes responsabilités. Je dois veiller sur ceux et celles qui n’ont pas cette chance.
Grâce à mes ailes, je suis revenue à mon arbre d’eau par la voie des airs, cette fois. Et dans une bulle rose, j’ai protégé ce souvenir. Accrochée à la plus haute branche, la bulle tournoyait et brillait si fort que mon arbre s’est mis à ballotter comme par jour de grand vent. À la surface de l’eau éclataient de gros bouillons qui firent déguerpir mes amis les koïs. Et j’entendis des craquements qui me firent penser au pire. Mais en fait, c’étaient les racines de mon arbre qui se détachaient du sol vaseux et que je voyais apparaître à la surface de l’eau. Puis tout à coup, les bouillons et les tremblements s’apaisèrent. Doucement, mon arbre s’éloignait de moi et dérivait vers le large, emportant mes lumières avec lui. Mes bulles. Mes souvenirs…
D’un battement d’ailes, j’aurais pu le rattraper ! Mais je compris qu’il ne m’avait jamais appartenu. Tandis qu’il allait partager à d’autres les bonheurs que j’avais vécus, j’arpenterais à mon tour cette Terre pour découvrir que je ne sais rien, avant d’aller rejoindre au-delà du ciel, mon amie la Lune.
Notice biographique
En 2012, Francesca Tremblay quittait son poste à la Police militaire pour se consacrer à temps plein à la création– poésie, littérature populaire et illustration de ses ouvrages. Dans la même année, elle fonde Publications Saguenay et devient la présidente de ce service d’aide à l’autoédition, qui a comme mission de conseiller les gens qui désirent autopublier leur livre. À ce titre, elle remporte le premier prix du concours québécois en Entrepreneuriat du Saguenay–Lac-Saint-Jean, volet Création d’entreprises. Elle participe à des lectures publiques et anime des rencontres littéraires.
Cette jeune femme a à son actif un recueil de poésie intitulé Dans un cadeau (2011), ainsi que deux romans jeunesse : Le médaillon ensorcelé et La quête d’Éléanore qui constituent les tomes 1 et 2 d’une trilogie : Le secret du livre enchanté. Au printemps 2013, paraîtra le troisième tome, La statue de pierre. Plusieurs autres projets d’écriture sont en chantier, dont un recueil de poèmes et de nouvelles.