Un monde étrange, un archipel couvert de neige, dans un pays non précisé ou fictif. Une jeune femme de peau foncée, qui est aussi la narratrice, erre d’île en île, commettant çà et là quelques larcins pour survivre, lorsqu’elle se retrouve sur le navire de la reine. Celle-ci lui confie une mission dont elle devra se départir sans faille : retrouver trois cristaux qui, une fois réunis, ont un mystérieux pouvoir, et que la reine compte utiliser pour guérir son fils.
La jeune femme commence sa quête dans un château étrange, où elle se fait engager comme domestique. Après quelques péripéties, elle réussit à mettre la main sur le premier cristal, suite à quoi elle s’évade. Elle se retrouve alors de façon assez étrange dans un palais dominé par une certaine Esther, où le peuple désœuvré s’adonne à des activités ludiques et lubriques pour tromper l’ennui. La maîtresse des lieux est elle aussi une curieuse personne, laide et avachie, solitaire aussi, qui passe son temps enlacée dans des fourrures, et se distrait en faisant réciter des poèmes à ses invités nus. Régulièrement, les habitants se retrouvent dans la salle commune pour une soirée de distraction, par exemple une partie d’échec avec des pièces vivantes qui s’étripent. Ce chapitre est excellent et bien tourné, rempli de détails subtils.
C’est avec une écriture simple, justement dosée et fluide, et une syntaxe impeccable que l’auteure nous conduit d’une péripétie à l’autre. Son sens du mystère et du mystique, ainsi que sa façon de nous en dire juste ce qu’il faut, et pas trop, nous pousse à tourner les pages avec frénésie. Les personnages sont attachants et amplement décrits, de même que les situations et les lieux, avec même un luxe de détails. L’on se représente les situations sans difficulté, pourtant, il reste comme un brouillard, une aura indicible, une ambiance à la limite du surréalisme. C’est ce qui donne un charme insolite à cette histoire. La fin réserve quelques surprises. Toutefois, le dernier paragraphe est en petits points de suspension, heureusement, car l’on a envie de continuer l’aventure. La saga ne ferait que commencer ? Nous en sommes au tome I seulement, et la curiosité reste vive à la fin de ces deux cents pages. Un petit bémol cependant, je n’ai pas vraiment compris comment la chasseuse pouvait si facilement changer d’attitude, risquer sa vie pour la recherche d’un cristal, et puis délaisser cette quête subitement… Pour la reprendre aussi subitement. Peut-être en saura-t-on un peu plus dans les prochains volumes.. Le passage entre les différentes parties est rapide, et si chacune est excellente en soi, l’ensemble paraît disparate, un peu comme si chaque partie avait été écrite séparément, ou par des auteurs différents. Mine de rien, de nombreux sujets sont abordés, comme la domination, la maladie, l’addiction, l’oisiveté.
Il faudra voir ce que la suite nous réserve. À suivre avec attention donc…
Le site des éditions du 38
« La partie se poursuivait. Un fou s’est avancé en diagonale. Deux pions se sont entre-tués. C’était tragique et beau, deux pièces quittant la scène pour faire le jeu de leur roi. Hélas, le sang n’a pas coulé. Ils se sont retirés du plateau pour devenir spectateurs. J’en étais presque déçue, mais nettement soulagée. J’ai respiré plus librement et tenté de reprendre mon extase neigeuse.
C’est là que ça a commencé à se gâter. La belle harmonie qui régnait s’est brisée d’un coup. Rachel a envoyé un cavalier noir massacrer un petit pion blanc. Mais au lieu de se plier aux édits royaux et d’aller dignement au sacrifice, le cavalier s’est retourné et a décrété qu’il n’irait pas, qu’il allait se faire prendre par le fou et qu’il ne voulait pas de ce pion. Sur quoi le pion, une jolie frimousse brune, a pris l’air vexé et a dit que puisque c’était comme ça, elle non plus ne voulait pas, non, mais qu’est-ce que vous croyez, et tu penses vraiment que tu vaux mieux que moi, vieille guimbarde ? »
Chasseuse de cristaux Tome 1 : Vestiges de neige de Julie Derussy aux éditions du 38
Date de parution : 15/04/2015