Le titre avait de quoi intriguer, n'est-ce pas ? Il faut attendre d'avoir passé les deux tiers de ce roman (544 pages, tout de même) pour savoir à quoi il fait référence. On présente un peu partout La Piscine-bibliothèque comme le roman culte sur le milieu homosexuel dans les années 1980 : moment d'insouciance avant les ravages du Sida. Je l'ai emprunté et lu avec cette attente, et il est vrai que c'est le roman parfait pour précéder le Dorian de Will Self, qui réécrit le fameux personnages d'Oscar Wilde dans le milieu gay moderne. La Piscine-bibliohèque serait l'avant, Dorian serait l'après. Mais j'ai aussi l'impression qu'on disait ça de ce premier roman d'Alan Hollinghurst parce qu'il est difficile d'en parler autrement : La Piscine-bibliothèque est peut-être moins un récit qu'une fresque. De quoi est-il question ? Le héros, Will, est un jeune homme sûr de lui et de ses capacités. Oisif fortuné, il ne fait pas grand chose de ses journées à part aller à la piscine du Cory (Corinthian Club) - regards tour à tour indifférents ou intéressés dans les douches - et fréquenter les nombreux milieux de sociabilité gays de l'époque. Par un curieux hasard, il rencontre Lord Nantwich qui le charge d'écrire ses mémoires et lui confie nombre de documents et journaux de son époque. Deux expériences alors se confrontent : celle du jeune Will, qui vit ses amours avec insouciance, dans la simple jouissance du moment présent et celle, complexe et comme mystérieuse, d'un homosexuel du début du XXe siècle, qui a connu les chasses aux sorcières. L'expérience malheureuse de James, l'ami de Will, les liens qui finissent par se tisser, inexorablement, entre l'aujourd'hui et l'hier invitent à penser que tout cela n'est peut-être pas si loin et derrière l'insouciance du personnage principal, ébranlée (trop peu, peut-être, ou pas assez longtemps ?) par les révélations qui lui sont faites, se dit toute l'importance de connaître son passé, renouer avec son histoire. Will, sacré bibliothécaire (élève responsable) de la piscine du temps de l'école se trouve face à face, un instant donné, au temps qui passe et aux histoires, aux traces qui se perdent : peut-être aurait-il pu alors devenir bibliothécaire d'autre chose. Parallèlement, nous suivons ses amours, et notamment ses relations avec deux jeunes hommes qui parviennent à ébranler son beau vernis d'assurance et d'auto-suffisance. Les choses, pourtant, vont et viennent. J'aime à croire que chacune des relations de ce personnage est comme cela, au fond, et que son papillonnage n'est qu'un équilibre fragile : il y a trop de menaces qui planent autour de lui pour que j'arrive à penser le contraire.
Si je devais regretter quelque chose, c'est que le propos général est peut-être un peu noyé dans l'ensemble. J'avais reproché à Marianne Sluzny de faire disparaître ses personnages derrière son discours, et l 'excès inverse me semble bien plus pardonnable. J'ai souvent eu l'impression que l'auteur veut nous signifier quelque chose, mais que cela disparait un peu derrière des personnages hauts en couleur qu'on finit par suivre, séduit, quitte à rater les réflexions qu'ébauche l'auteur en parallèle. J'ai regretté également que le personnage principal ne soit pas plus marqué par les épreuves qu'il traverse. Le livre est long et plus j'avançais, plus je me disais que je ne savais pas où l'on m'emmenait et que l'épilogue déterminerait tout : très bon livre ou livre génial. Hélas, Will n'évolue pas assez à mon goût : peut-être aurait-il fallu la suite, ou une ouverture vers autre chose... ?
A mes yeux, La Piscine-bibliothèque n'est donc " qu'un " très bon livre. C'est un reproche dont on s'accommodera plutôt bien, je crois. Après tout, il est merveilleusement écrit, dans une très belle langue, bien mise en valeur par la traduction, et il dresse ainsi le tableau du milieu homosexuel des années 1980 avant ses profonds bouleversements. Les quelques défauts soulignés, la construction soignée mais dont la fin pèche un peu par rapport à la force de certains passages, le propos qui se veut présent mais reste un peu flou au bénéfice de la description des lieux et personnages, ce sont typiquement des choses que l'on corrige avec le temps et l'expérience. Séduite par ce premier roman, j'ai donc acheté L'Enfant de l'étranger du même auteur. Je ne doute pas qu'il me séduira tout à fait, cette fois-ci. Et avec La Piscine-bibliothèque, cela fait une référence de plus pour le défi premier roman, et une lettre cochée pour mon challenge ABC !
L'avis de Mr KJe n'ai pas tenu mon journal tout au long de ces six mois. Dès le début, j'ai compris que ce que je voulais dire, même si cela pouvait " dans un autre monde, un monde meilleur ", rencontrer des lecteurs et leur faire du bien, ne m'aurait valu que mépris et sarcasmes grivois. Et plus tard, bien après, quand j'ai songé que l'écriture pouvait apporter quelque soulagement à ma solitude et à ma frustration, je l'ai refoulée, m'en suis méfié comme d'un de ces amis vers lequel on revient encore et encore pour chaque fois le quitter rabaissé, mortifié ou gavé d'autosatisfaction. Mon journal, depuis l'enfance, a toujours été mon ami le plus proche, fidèle et silencieux, si intime que lorsque je lui mentais, je souffrais intérieurement de son reproche muet. Soudain, toutefois, il semblait se proposer quelque chose de honteux - l'autocomplaisance et, pire, la mise à nu de mon cercle étroit et répétitif de souvenirs et d'aspirations.