D'Axel Kahn, on sait parfois qu'il est le frère du journaliste Jean-François Kahn (ex-"Evénement du jeudi", ex-"Marianne").
D'Axel Kahn, on sait moins qu'il est marcheur et penseur en même temps. Pourtant, le physique de l'homme aujourd'hui retraité des universités et des instituts de recherche le laisse à penser. Fin, sec, énergique, et d'une galanterie exquise.
Il ne faut pas être grand géographe pour réaliser que le chemineau a effectué là une des diagonales de la France. En réalité, s'il a choisi cette route, c'est parce que l'année précédente, il avait marché en solo sur l'autre diagonale hexagonale. Le 8 mai 2013, Axel Kahn avait quitté Givet dans les Ardennes pour arriver le 1er août à Saint-Jean-de-Luz dans les Pyrénées atlantiques. Un livre était né de ce parcours, "Pensées en chemin, Ma France, des Ardennes au Pays basque" (Stock, 2014, Le livre de poche, 2015). Il n'est pas nécessaire de l'avoir lu pour suivre le marcheur d'une mer à l'autre et apprécier son nouvel récit.
La mascotte à l'étape.
"Entre deux mers" est le compte-rendu personnel d'un périple entamé il y a tout juste un an. Derrière le marcheur, on perçoit l'homme. Si le livre reprend évidemment au jour le jour les étapes de cette longue marche, plus de 2.000 kilomètres et surtout un nombre impressionnant de montées et de descentes, et les rencontres qu'elle a permises, il le panache de pensées sur l'état de la France, en négatif et en positif, de nombreux souvenirs personnels que l'itinéraire a fait surgir, de considérations sur le présent et de discussions avec sa peluche mascotte.Si Axel Kahn est extrêmement attentif aux personnes et aux lieux qu'il rencontre, il est forcé d'admettre que la marche 2014 a été physiquement éprouvante pour lui: problèmes de genoux à répétition et chutes ont rendu encore plus difficile sa progression. Ce qui ne l'empêche pas de se mettre dans les yeux toutes les beautés possibles, les paysages, les constructions et bien entendu, les fleurs. Et de nous les partager dans ce "Voyage au bout de soi" plein de choses vécues.
Six questions à Axel Kahn
Pourquoi avoir choisi de traverser la France à pied?
Axel Kahn.
J'avais lu "Chemin faisant, mille kilomètres à pied à travers la France d'aujourd'hui", le livre de Jacques Lacarrière paru en 1974 (Fayard), où il racontait la diagonale qu'il avait effectuée d'août à décembre 1971 des Vosges aux Corbières. Ce qui m'a donné l'envie de mettre mes pas dans les siens. En 2013, il allait donc de soi que je fasse mon chemin nord-est sud-ouest. Au terme de cette première diagonale, que j'ai appelée la diagonale du vide vu l'état de la France que j'avais constaté, j'ai voulu être équitable et faire la seconde diagonale. J'avais pris un plaisir immense à la première mais je voulais confronter mon diagnostic à d'autres territoires. Les 1.500 km que j'ai faits en 2013 m'ont fort impressionné, notamment les territoires post-industriels. En 2014 par contre, j'ai traversé des régions où le chômage est inférieur à la moyenne nationale. J'ai ainsi complété mon image du pays. J'ai aussi constaté un attachement immense à la terre. La Bretagne, la Vendée, sans richesses naturelles, font preuve d'un dynamisme incroyable. J'ai en quelque sorte apposé une croix sur mon pays.
Vous dites avoir rencontré le sentiment de l'optimisme réaliste.
Moi-même, je suis mi-optimiste, mi-réaliste. J'essaie d'être réaliste, d'observer au-delà des idées reçues, des a priori. L'observation du paysage est une science humaine. L'optimiste pense que le meilleur est certain, le pessimiste que le pire est certain. Moi, je ne suis ni l'un ni l'autre. Il me semble que l'avenir n'est pas écrit, qu'il dépend de la manière dont on s'y engage.
Quelles différences entre vos deux "diagonales"?
En 2013, mon but principal était de réaliser un vœu ancien, prendre ce chemin comme l'auteur de "Chemin faisant", vœu doublé de la recherche de la beauté durant trois mois de voyage. Oscar Wilde entendait faire de sa vie une œuvre d'art. Une ambition démesurée. Je me suis dit: pour moi, c'est jouable pour trois mois. Mon premier périple s'est fait sur les pas de Jacques Lacarrière, une recherche de l'émotion esthétique et une quête de la beauté. J'y ai réussi mais je n'ai pas pu m'y cantonner à cause de l'étude du pays que j'ai faite.
En 2014, cela a été un défi contre moi-même. Le trajet était difficile, dangereux. En 2013, j'ai principalement suivi des chemins balisés. En 2014, je n'ai pas eu de chemins balisés pendant deux tiers du trajet. Pour les genoux, pour les tendons, c'est un véritable défi. Les descentes étaient de vrais problèmes.
Votre voyage de 2014 a été sociologique, historique, personnel aussi, non?
Oui, j'allais vers mes 70 ans, avec l'idée que c'était une des dernières grandes marches. Je l'ai fait pour aller au bout du chemin et pour cheminer sur le chemin de ma vie. Le chemin géographique et le chemin de vie se croisent parfois, provoquent alors des résonances. Comme quand j'ai croisé mes amours de jeunesse, mon enfance. J'ai connu des épisodes tristes et d'autres joyeux. Il ne faut pas le masquer. Les souvenirs m'accompagnaient pas après pas.
Qu'est-ce qui vous a le plus surpris dans ces parcours à pied?
Ce qui m'a le plus surpris dans ce chemin, c'est la gravité de la dévastation du territoire, dans le nord-est, dans le bassin de Decazeville. Cela m'a foutu un coup. J'ai aussi été frappé par la beauté de certains territoires, Conques en 2013 dont j'ai visité l'abbatiale le 3 juillet à 21h30, dans la lumière du soir à travers les vitraux de Soulages, lors d'un concert d'orgue et de trompette. C'était une sublime sidération. En 2014, j'ai beaucoup apprécié la vallée des peintres, dans la Creuse. Et je suis aussi passé par les lieux de deux souvenirs de tous les petits Français, Marignan où eut lieu la bataille en 1515 et la source de la Loire. C'était immensément beau.
Vous écoutiez les informations le soir à l'étape. Comment s'est passé votre retour dans notre monde?
J'ai eu des difficultés à finir ce périple car il y a un fort décalage entre l'incroyable beauté et la paix du chemin et le monde à nos pieds. Le dernier jour, il y a eu un terrible orage. J'aurais pu y mourir. Je me suis dit que cela aurait été une belle fin.