Construire un feu (d'après une nouvelle de Jack London) - Chabouté *****

Par Philisine Cave
Celui qui m'a offert cette BD dit d'elle que c'est son Chabouté préféré avec Tout seul (très beau aussi). Celui qui me l'a offerte ne l'a jamais chroniquée, respectueux du silence qu'impose une telle lecture, désireux de la partager par le biais d'un cadeau. Ce bienfaiteur discret et d'une infinie courtoisie m'a gâtée - il le sait - et je n'ai qu'un mot (peut-être deux) à lui transmettre : merci, Jérôme Un homme est décidé à rejoindre un campement humain, quoique lui coûte la longue traversée dans le gel absolu (pas de soleil pour réchauffer l'atmosphère, un blizzard qui surprend et s'immisce dans les vêtements, s'infiltre dans les gants, ankylose les jambes). Il a mal estimé la température ambiante, n'a pas suivi les conseils de routards avertis, poursuit son périple en compagnie de son chien. La bête consciente du danger (ce froid, seul juge du droit de vie ou de mort) suit son maître par soumission, au point d'en oublier son sens animal critique. Construire un feu devient l'acte de survie, qui demande malheureusement un minimum de condition physique. 
Je ne peux pas envisager une œuvre de Chabouté sans cinq étoiles : c'est la troisième BD que je lis de lui et là encore, le score maximal est atteint. Pourtant, après Un peu de bois et d'acier et Tout seul, je me disais qu'il serait dur d'obtenir la plus haute note. 
Et pourtant, il y arrive et encore, avec brio. Ce que j'aime chez cet auteur est l'infini respect qu'il dégage de ses personnages, de son trait de plume aussi. Il y a une vraie douceur à les mettre en scène (malgré ce que vit ce héros), à les voir évoluer, à les raconter. Construire un feu correspond à un défi littéraire : ne pas empiéter sur la narration de Jack London, juste l'éclairer, s'en appuyer, y ajouter sa patte personnelle (sans en faire trop). Et là, le résultat est magistral, parce que la voix de Jack London devient un personnage central, en servant d'écho lors de la balade : elle prévient des dangers, tente la conscience de l'humain. Les citations sont complémentaires au graphisme extrêmement précis de Chabouté : elles participent à la mise en abîme du chercheur d'or.
Chez Chabouté, rien n'est laissé au hasard, rien n'est surjoué : les teintes sont choisies avec parcimonie (déclinaison de marron, de blanc, de rouge orangé et de gris), les pages sans texte défilent, laissant le lecteur contempler les scènes décrites, l'expression faciale et les gestes du héros sont étudiés : on y lit la douleur, la souffrance, l'espoir, l'entêtement, la volonté. Le dessinateur donne corps au mouvement, au splendide paysage hostile loin d'être anecdotiques.
De cette histoire, on ressort chamboulé(e) par tant de virtuosité, parce qu'elle rend aussi hommage à ces aventuriers du passé aspirant à davantage de richesses, mettant leur vie en péril pour quelques grains d'or récoltés dans les gisements canadiens, là où l'hiver est réputé sibérien. Touchée-coulée !
Éditions Vent d'Ouest
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