Les balbutiements chroniques de Sophie Torris…

Par Chatquilouche @chatquilouche

Cher Chat,

Tiré du site : Gluqq Studio

Le seul animal de compagnie que j’ai, c’est vous. Vous m’avez tendu la patte et je vous ai donné ma langue. Vous avez eu du flair puisqu’il semble que j’aie du mordant. Mais depuis, plus moyen de fourrer le chien. C’est un truc de wouf, mais je suis devenue la bête de somme de mon Chat.

Depuis que je vous ai adopté, je vous nourris, vous flatte, vous suis fidèle. Je suis en manque de vous quand je m’absente. Vous êtes mon Chat, mais c’est moi qui vous suis attachée. La discrétion et l’élégance félines incitent, paraît-il, l’écrivain à la réflexion. Vous êtes mon pense-bête. Vous me rappelez qui je suis.

En effet, l’animal de compagnie est, selon Boris Cyrulnik*, un délégué narcissique, un faire-valoir pour soi, mais aussi aux yeux des autres. Tous les chiens, les chats ne sont donc pas gris, même la nuit. C’est une légende. Ils ont la couleur du maître dont ils épousent le quotidien. Les chiens ne font pas des chats et comme je suis bête et disciplinée, j’userai de ces clichés dont on a tous été un jour spectateur et qui réunissent la belle et la bête, la femme fatale et son persan blanc, le baba-cool et son corniaud, l’adolescent rebelle et son pitbull, le citadin qui rêve de grands espaces et son husky, le Français et son labrador, élégant, tendre, doux, fidèle.

Le choix de la race permettrait-il ainsi au maître de se distinguer ? L’animal porte-t-il en collier une étiquette sociale ? Les présidents français n’ont en effet du chien que s’ils s’affichent avec leur labrador noir. Tout le monde se souvient de Baltique, seul, sur le parvis d’une chapelle, tandis que son maître, François Mitterrand, recevait son dernier hommage.

Si « un jour Dieu reconnait les chiens » *, l’homme quant à lui, n’a pas attendu son absolution pour faire de l’animal, un compagnon, un frère, un enfant. La dépendance est affective parfois jusque dans le lit. J’avoue qu’il m’est parfois arrivé, Chat, de vous balbutier, la nuit, des caresses d’oreiller, histoire de me coucher moins bête, mon homme en beau chien de fusil sur l’autre taie. S’il a toujours gagné la bataille de polochons, c’est quand même vous qui profitez de ma plume.

Le chien aboie, la caravane ne passe pas. Elle s’arrête. Alors, pourquoi le papa devient poule avec son animal familier même quand il joue le chien dans son jeu de quilles ? Entre chien et loup, Chanel s’est fait les griffes sur les moustiquaires, Camarade Kochkovitch a fêté son anniversaire et il a eu droit à une double ration de pâtée, Bebert est allé faire la bête à deux dos dans les bois, Maggie, soprano, a pratiqué ses gammes et le voisinage en a fait les frais, Betty a éventré le canapé et il a fallu aider Vizuri pour qu’elle puisse mourir dans la dignité. Chienne de vie !

Pourquoi accorder tant d’importance à un tas de poils ? La p’tite bête qui monte, qui monte, qui monte, finira-t-elle par tous nous attraper ? Dans un monde où, pour être reconnu, il faut être bête de sexe, bête de scène, bête curieuse, dans un monde où l’homme corrompu devient la bête noire de la société, on ne peut plus devenir frères qu’en animalité, non ?

L’homme ne cherche plus à comprendre son semblable quand l’animal comprend un tas de choses, même s’il ne comprend pas qu’il comprend. Une truffe humide n’est pas un pif gadget. Il s’y loge un amour inconditionnel, un flair-play apte à ronger l’os d’un chagrin momentané ou d’une existence solitaire. Que je sois d’une humeur de chien ou que j’aie la chienne, mon chat me fait toujours la fête et je reprends du poil de la bête. Je sais que vous m’aimez, mon Chat, que vous avez besoin de moi et qu’à l’inverse, j’ai besoin de vous. C’est bête comme chou.

Cependant, on peut se demander s’il est aussi déstabilisant pour un chien d’être traité comme un humain, que pour l’humain d’être traité comme un chien. L’animal à qui l’on permet tout, ne finira-t-il pas par défendre son rang et le simple fait qu’il sente tout le pouvoir qu’il a sur vous ne le poussera-t-il pas à vous dominer et à vous réserver un jour, un chien de sa chienne ?

S’il ne fait pas bon devenir l’ombre de sa main, il ne fait peut-être pas bon non plus devenir l’ombre de son chien. Ceci dit, en invitant l’animal à quitter le monde du gibier et de l’outil, l’homme l’a fait entrer dans le monde de la parole et du signifiant. C’est dans le souci des droits de chacun que se niche sans doute la moins ambivalente des relations d’amour, celle qui unit l’homme à son animal de compagnie.

Sophie, votre bête à bon Dieu.

* Boris Cyrulnik, La fabuleuse histoire des hommes et des animaux

* Renaud chante Baltique, et l’amour inconditionnel d’un chien pour son maître. http://www.dailymotion.com/video/x26tdi_renaud-chante-baltique-chez-drucker_music&fr=moz35

 Notice biographique

Sophie Torris est d’origine française, Québécoise d’adoption depuis dix-sept  ans. Elle vit à Chicoutimi, y enseigne le théâtre dans les écoles et l’enseignement des arts à l’université. Elle écrit essentiellement du théâtre scolaire et mène actuellement des recherches doctorales sur l’impact de la voix de l’enfant acteur dans des productions visant à conscientiser l’adulte. Elle partage également une correspondance épistolaire avec l’écrivain Jean-François Caron sur le blogue In absentia. (http://lescorrespondants.wordpress.com)

(Une invitation à visiter le jumeau du Chat Qui Louche :https://maykan2.wordpress.com/)