J’avais glissé une photo de Jackie Kennedy dans la poche de mon pantalon et le soir je la posais sous mon oreiller et je dansais, dansais jusqu’à en devenir ivre. Mes sœurs disaient : on est si fières de toi, Jack, tu deviendras le plus fortuné et le plus beau de la colline. (…) Le sol tournait et mes sœurs riaient fiévreusement et soudain il n’y avait plus de problèmes, il n’y avait jamais eu aucun problème et il n’y aurait jamais plus d’obstacle dans nos vies, je voulais que ce moment demeure éternel, dans la jouissance naïve de l’instant, que demain mes sœurs et moi nous sortions acheter de beaux vêtements et que nous vendions ensemble des œufs en étoile, aux carrefours de la ville.
-Un jour vous marcherez dans la rue avec moi, le visage découvert et nous danserons jusqu’à devenir fous
-Tu sais que ce n’est pas possible…
-Il nous faudrait quitter l’Afghanistan.
L’histoire
Jack est ce qu’on appelle à Kaboul une bacha posh, une fille déguisée en garçons car la famille n’en compte pas, pour éviter la honte. Elle se débrouille dans les rues de Kaboul en aidant son père, apprenant la recette des oeufs en étoiles, jusqu’au jour où des hommes débarquent dans sa famille pour la trouver. Son père l’aidera à fuir et elle atterira à Bruxelles, réfugiée parmi d’autres dans une société qui ne veut pas d’elle, pendant plus de 20 ans, servant de mère porteuse à un couple homosexuel, pour finalement retourner dans un Afghanistan défiguré par la guerre et les extrémistes…
L’histoire de Quand les ânes de la colline sont devenus barbus est un magnifique récit humain, touchant et bouleversant, une vision sans compromis d’une société où la femme n’a pas de place, où elle n’est qu’un objet à la merci des hommes. Un récit entre deux continents qui montre que notre société n’est pas si évoluée que l’on veut bien croire, entre les déboires des immigrés, la considération et l’utilisation. L’histoire raconte aussi l’extrémisme latent qui s’introduit dans toutes les pores de la société, contraignant, exigeant, écrasant tout sur son passage. Ce récit est profondément humain, d’une dimension unique en son genre, et d’une beauté à couper le souffle.
Le style
Le style de John Henry est extrêmement poétique, l’on vit à travers les yeux de Shabina, à travers ses aventures, ses malheurs, son désir de revoir ses enfants qu’elle croit apercevoir à chaque coin de rue. On comprend la dureté d’une vie de réfugiée dans un pays froid et hostile, mais aussi la condition de la femme là bas, dans ces contrées lointaines peuplées d’ânes et de barbus. Une écriture magnifique, qui vous fera verser des larmes, un jeune auteur qui débute mais qui ira sans doute très loin.
Si quelqu’un m’écoute à l’instant, je vous le dis, ne les laissez jamais gagner. Ne les laissez jamais vous voler vos espoirs.