Il est rare que je conseille d'ouvrir un livre, juste pour y découvrir la qualité linguistique de la prose intérieure. Pourtant, avec L'ancêtre, je vais me le permettre, parce que ce livre vaut
J'ai conscience en rédigeant cette chronique d'être passée à côté de ce roman : je l'ai lu avec plaisir (celui de respirer une langue française parfaite, avec l'emploi fréquent de subjonctifs, des phrases longues et mélodieuses, une touche de mystère à chaque instant) mais je n'ai adhéré pas au propos (il m'a manqué des arrêts instantanés sur les scènes, de sentir les personnages). Tout reste diffus et embrouillé : c'est un choix de l'auteur, sa patte d'écrivain, je n'en doute aucunement. Pourtant, là où je demandais des détails, je n'y vois que des ombres, là où arrivent les descriptions, j'aimerais connaître celles du devenir du narrateur. Juan José Saer joue avec la chronologie. Il le fait de façon brillantissime avec un phrasé splendide : même si le fond m'a laissée de marbre, je reste scotchée par l'écriture (je me répète : l'auteur et la traductrice sont deux êtres littéraires rares)
Bref, j'ai découvert un texte esthétiquement impeccable mais aussi une histoire bancale. Pourtant, le thème universel d'être étranger partout où on va, offre matière à discussion. Dans L'ancêtre, il est question de conflit de civilisations, de survie en milieu hostile, d'étude ethnique suggérée : c'est une histoire réelle romancée et d'une certaine façon discrétisée.
Pourtant, Juan José Saer fait preuve d'intelligence : débutant son intrigue sous forme romanesque, il tente une incursion dans l'essai en fin de parcours. Il s'amuse à casser les codes narratifs. Malgré ses qualités inventives, il ne se passe pas grand chose dans cet ouvrage. J'ai eu le même sentiment avec Les onze de Pierre Michon : la sensation de passer à côté d'un chef d’œuvre, totalement incompris par mes neurones réfractaires au style parfait qui fait de l'ombre au contenu. Franchement, j'aurais voulu plus et surtout adorer L'ancêtre !
Magnifique, splendide traduction de Laure Bataillon Éditions Le Tripode
Quelques citations du texte
« L’inconnu est abstraction ; le connu, un désert ; mais le connu à demi, l’entr’aperçu, est le lieu parfait où faire onduler désir et hallucination.»
« Toute vie est un puits de solitude qui va se creusant avec les années.»
« Le seul savoir juste est celui qui reconnaît que nous savons seulement ce qui condescend à se montrer. »
LC avec Laure (merci, merci, merci de ton indulgence)
autres avis : Laure, Sandrine, Dominique, Nina,