Il suffisait que j'annonce ne pas aimer les polars pour que j'en chronique deux à la suite. J'aime être crédible, fiable, et correspondre à ce que j'annonce. Cet achat, en fait (car oui, je l'ai même acheté, je ne l'ai pas emprunté à la bibliothèque), c'est un coup de tête complet. La couverture m'a attiré l'œil (elle est un peu brillante), la quatrième de couverture me parlait d'un squelette découvert par hasard, de " traces effacées par la neige " et de " cris étouffés sous la glace d'une Islande sombre et fantomatique ". J'avais du mal à poursuivre ma lecture en cours, car elle est assez exigeante et j'étais fatiguée, alors je me suis lancée.
J'ai eu un peu de mal à accrocher au début. L'exposition passée, on ne sait pas bien vers quoi l'auteur nous mène et les personnages étant encore peu caractérisés, on a un peu de mal à s'y retrouver dans les changements de points de vue. En outre, l'auteur n'y va pas de main morte : c'est sombre et cru, et l'on sent bientôt que le pays est rude et qu'il a façonné ses habitants à son image. J'ai interrompu ma lecture quelques jours, j'ai travaillé... Et quand je l'ai repris, ça a été la révélation. Je ne devais lire que quelques chapitres avant de dormir (le piège...) mais quelque chose m'a cueillie et j'ai lu le roman jusqu'au bout, en tournant frénétiquement les pages.
Tout d'abord, l'enquête est habilement menée. La mise en place a de quoi intriguer : lors d'une fête d'anniversaire, un jeune homme avise un bébé qui mâchouille un jouet bizarre. Quand il s'approche, il prend conscience qu'il s'agit d'un os humain. Après recherches, l'équipe du commissaire Erlendur découvre qu'un corps a été enterré là, au beau milieu du chantier d'un nouveau quartier, lié à l'extension de Reykjavik, bien des années auparavant. Le squelette est lentement mis au jour par des archéologues et l'enquête laisse à penser que la disparition de " l'homme de Thusold " daterait de la seconde Guerre Mondiale. Au fil des recherches (personnes âgées ayant habité le quartier, registres, cadastres, fichiers de personnes disparues), deux hypothèses semblant tout aussi plausibles se présentent à nos enquêteurs. L'équipe du commissaire Erlendur suit donc les deux pistes parallèlement et l'auteur s'amuse à se jouer du lecteur, en le faisant préférer l'une et l'autre option, au fur et à mesure qu'il révèle ses indices. Sans donner la clé de l'énigme, les derniers rebondissements sont exemplaires à ce niveau-là, et il devient bientôt impossible de lâcher l'ouvrage avant d'avoir le fin mot de l'histoire.
Mais La Femme en vert n'est pas seulement un bon polar qu'on lit pour le suspense et qu'on oublie très rapidement ensuite. Non seulement l'intrigue est brillamment mise en place, mais les personnages prennent de l'épaisseur au fur et à mesure que le roman avance. L'enquête, au demeurant très prenante, devient alors le prétexte - ou, du moins, le révélateur - des tensions internes des personnages, et les pousse à se remettre en question. La relation conflictuelle entre Erlendur et sa fille junkie fait alors écho à la trajectoire de la femme sans nom, battue par son mari, que l'on suit tout au long du roman sans savoir s'il s'agit de la femme en vert du titre, de la victime retrouvée dans la terre ou encore d'autre chose. Tout le roman sert alors à donner un nom à cette anonyme et, parallèlement, à créer un lien entre l'homme brisé et sa fille, qui n'ont jamais réellement pu se parler. En ce sens, la violence décrite n'est jamais là pour " faire genre " : elle est au service du développement psychologique des personnages et de leur évolution. Et elle fait écho à la dureté du climat et des paysages septentrionaux, à l'image des montagnes qui entourent Reykjavik.
Une très bonne surprise, en somme, et il n'est pas du tout exclu que je tente de lire une autre aventure du commissaire Erlendur et de sa clique. Et ça me fait une lettre validée de plus pour mon challenge ABC !