Les paparmanes d’Annonciade, par Denis Ramsay…

Par Chatquilouche @chatquilouche

 Petite explication, car j’imagine que vous n’êtes pas tous familiers avec les paparmanes. Il s’agit de bonbons dont le nom est issu d’une traduction par paresse phonétique de « peper mint », la fameuse menthe poivrée anglaise. Et Annonciade, me direz-vous ? Il s’agit d’un nom propre ancien, le nom de ma marraine qui, à défaut d’être une fée-marraine, était ma tante, la sœur de ma mère. Elle avait hérité de ce nom étonnant en naissant le jour de l’Annonciation ! Elle aurait peut-être préféré naître un 25 décembre et s’appeler Noëlla ? Mais elle s’appelait Annonciade et elle était ma marraine ; je l’aimais beaucoup et j’aimais beaucoup les paparmanes.

Il existait deux catégories de paparmanes : les gros blancs et les petits roses. Les gros blancs, mes préférés, avaient la dimension d’un carré de sucre, mais étaient cylindriques et durs. Les roses étaient simplement deux fois moins épais et… roses. Petite curiosité grammaticale, à moins qu’il ne s’agisse d’une dérive biologique, nous disions un paparmane lorsqu’il s’agissait d’un blanc et une paparmane lorsqu’elle était rose…

À force d’être consommée, sucée et croquée par les vieilles personnes, la paparmane rose est presque devenue un symbole de cet âge vénérable, mais négligé. Comme la dentition des vieux n’est souvent plus qu’un souvenir d’Alzheimer, si votre grand-mère vous offre une belle petite paparmane rose bien ronde, présentée parmi d’autres dans un plat ancien en verre gravé de motifs de feuilles, ne prenez pas de chance et refusez, à moins d’aimer les paparmanes déjà sucées… D’un autre côté, s’il vous prend l’idée d’essayer quand même et que la totalité des paparmanes reste collée à celle que vous tentez de saisir, déposez le tout sans faire le moindre commentaire pour ne pas peiner votre grand-mère si gentille.

Les paparmanes blancs, les gros qu’on ramollit en suçant, mais qu’on croque aussitôt que possible, étaient les symboles de mon enfance, une de ses rares douceurs. Dès que j’avais quelques sous, ce qui était rare, car le plus jeune d’une famille de pauvres est habituellement plus pauvre encore, je partais vers le dépanneur pour convertir cette monnaie en paparmanes, peu importe l’argent que j’avais. Un gros cinq cents était habituellement ma seule richesse… Je montais alors la rue Aberdeen à Sherbrooke pour me retrouver sur la rue Alexandre, tout en haut, où j’allais voir le bonhomme Vico, et je mettais mon argent sur le comptoir et je déclarais : « Des paparmanes ! » sans dire s’il vous plaît, moi qui étais pourtant si poli. Je n’avais pas le temps d’allonger le discours… Nous avions baptisé ce commerçant « le bonhomme Vico » à cause de son annonce de lait au chocolat Vico sur sa devanture. S’il avait eu une annonce de Coca-Cola, l’aurions-nous appelé « le bonhomme coca » ? J’ai connu plus tard des bonshommes coca et ils n’avaient pas l’air de ça !

Je me rappelle le visage découragé de l’homme le jour où quelqu’un m’avait donné un vingt-cinq cents que j’avais mis sur le comptoir en disant : « Des paparmanes ! » Ils se détaillaient à trois pour une cent. Je me rappelle m’être dit à ce moment que, plus tard, quand j’allais travailler, je pourrais acheter tout plein de paparmanes ; j’allais pouvoir arriver au comptoir, déposer un dix dollars en disant : « Des paparmanes ! » J’ai appelé ce désir de quantifier un simple plaisir le syndrome des paparmanes. Il s’applique aussi à toute forme de plaisirs et s’appelle dépendance à l’âge adulte… À ce moment précis, je n’en étais qu’aux paparmanes…

Des bonbons à la cenne

La loi du retour existe, sans nul doute, du moins en ce qui a trait aux bonbons. Est-ce que je suis devenu un petit-gros plein de caries ? Un peu, mais pas trop. J’ai souvent repensé au bonhomme Vico quand je comptais des bonbons pour des garnements, alors que je travaillais dans quatre dépanneurs différents. Ils arrivaient au dépanneur, mettaient leurs sous sur le comptoir et disaient : « des bonbons mélangés ». Je leur demandais immédiatement lesquels ils préféraient pour placer leur favori dans le fond du sac, comme une surprise. Je dois retenir un peu de ma mère.

Mes parents ont travaillé pendant dix ans à la compagnie Lowney’s de Sherbrooke. Mon père n’a pas bougé de son poste de travail et a confectionné des glossettes aux raisins tous les jours de travail pendant dix longues années. Ma mère, pour sa part, plaçait les fameux jouets de plastique dans les boîtes de Cracker Jack, un popcorn caramélisé. Subrepticement, elle plaçait parfois un deuxième jouet, une grande dépense pour la compagnie qui l’engageait. Elle se disait : « Les enfants vont avoir deux bébelles au lieu d’une ! »

J’ai pu constater des changements dans l’offre de bonbons entre mon enfance et l’âge adulte où j’ai eu, entre autres boulots, celui de vendre ces petites doses de calories, arômes naturels et artificiels. Les paparmanes, tels que je les ai connus, sont devenus marginaux. Maintenant, la gélatine est à l’honneur ! Plusieurs d’entre vous connaissent les classiques du genre : nounours et framboises. Mais depuis nombre d’années, il est de bon ton de manger des doigts, des cerveaux, et même du mucus nasal ! Je voudrais quinze cents de morve, s’il vous plait ! Ça fait curieux la première fois qu’un enfant nous demande ainsi sa fine friandise…

L’avantage de vendre des bonbons à la cenne vient du fait que les enfants t’aiment. Tu fais partie du renforcement positif, car tu octroies les récompenses, payées par les parents… Tu deviens leur confident, leur Monsieur Bonbon.

Tante Annonciade

Un jour que j’étais en visite chez ma tante Annonciade et mon oncle Henri, que nous prononcions Henry, avec un accent anglais. Ma tante, donc, qui connaissait mon goût démesuré pour les paparmanes, me prit dans ses bras pour me dire un secret. J’aimais beaucoup ces moments de confidence affectueuse, d’autant que je savais que j’en ressortais toujours avec quelque chose de plus.

— Va voir dans le tiroir du haut de la commode. Il y a un sac de paparmanes. Prends-en autant que tu veux.

Je me dirigeai immédiatement vers la chambre et m’approchai du bureau en question, un peu plus grand que moi. J’avais cinq ans et j’étais petit. Je tirai le tiroir en question, mais n’y voyais rien, même sur la pointe des pieds. Je m’accrochai au tiroir et fit pencher le bureau dangereusement. Il retomba en place après quelques balancements et quelques bruits inquiétants. J’avais eu tout juste le temps de toucher le sac de papier. Dans le coin opposé de la pièce, une chaise me servirait de planche de salut. Je la tirai jusqu’au bureau en laissant une distance suffisante à l’ouverture du tiroir au trésor.

Angela Wood, sosie de tante Annonciade

Tant que t’en veux, c’est combien ? Je remplis d’abord les poches de mes culottes courtes, une derrière et deux devant, puis la poche de ma petite chemise, heureux de ne pas porter de chandail aujourd’hui. Je remplis ensuite mes deux mains autant que je pouvais, mais je m’aperçus que j’avais oublié une dernière façon d’en rajouter. Je déposai donc dans le sac les paparmanes que j’avais en main (je les reprendrai plus tard) et je m’emplis la bouche comme un écureuil de mes bonbons adorés. Pour être sûr qu’ils ne tombent pas, je les bloquai en tenant le dernier entre mes dents bien serrées. Je remplis de nouveau mes mains avant de descendre de la chaise, sans en échapper un seul ni en avaler tout rond ! Je réussis à me rendre ainsi dans le salon où m’attendait ma marraine. Elle partit d’un grand rire en me voyant, puis me débarrassa d’abord des paparmanes que j’avais en bouche pour ne pas que je m’étouffe et les plaça à part, dans un sac de plastique puisqu’ils avaient déjà été humectés.

Cet épisode était devenu l’anecdote préférée de ma tante qui m’en reparlait pratiquement chaque fois que je la voyais, même à l’âge adulte. Ma marraine Annonciade est décédée depuis longtemps, et aujourd’hui, dès que me prend le goût des paparmanes, un seul suffit.

Notice biographique :

L’auteur se présente ainsi :

« Né à Victoriaville dans un garage où sa famille habitait, l’école fut la seule constante de son enfance troublée.  Malgré ses origines modestes, où la culture était un luxe hors d’atteinte, Denis a obtenu un bac en sociologie.  Enchaînant les petits emplois d’agent de sécurité ou de caissier de dépanneur, il publia son premier ouvrage chez Louise Courteau en 1982 :La lumière différente, un conte fantastique pour enfants.  Il est un ardent militant d’Amnistie Internationale et un rédacteur régulier dans des journaux universitaires et communautaires.  Finalement, après plusieurs manuscrits non publiés, il publiera chez LÉR Les chroniques du jeune Houdini.  D’autres romans sont en chantier…  »

(Une invitation à visiter le jumeau du Chat Qui Louche :https://maykan2.wordpress.com/)