Les apophtegmes de Jean-Pierre Vidal…

61. — Discernement et dissidence vont de pair, comme leurs contraires : confusion etchat qui louche maykan alain gagnon francophonie  conformisme.

62. — Ce que l’on nomme à tort « démocratisation », voire égalitarisme, n’est que décaractérisation et indistinction poussées à l’extrême, c’est-à-dire jusqu’à l’interchangeabilité des besoins, des désirs, des traits de caractère et des éléments culturels, individuels ou collectifs, dissous dans la « simplicité » indistincte du biologique et d’une sorte de socialité abstraite dont des droits tatillons assurent l’emprise.

63. — Pour l’être humain réduit désormais au rudimentaire, la merde est encore la chose la plus facile à produire. Voyez Hollywood… et tout le capitalisme.

64. — Les grands acteurs ne jouent pas un rôle, ils le jouissent.

65. — La vulgarité et la bêtise sont des formes de paresse qui ont leur fatalité.

66. — S’il arrive assez souvent que la jeunesse donne des visages d’ange à des crapules, il est presque inévitable que la vieillesse donne des gueules de crapule même à des anges.

67. — Pour tout ce qui concerne l’intelligence, l’âme, la sensibilité, on apprend systématiquement aux gens à se satisfaire de presque rien. Pour tout ce qui est matériel et fricard, on leur enseigne à ne se satisfaire de rien.

68. — Quand la pensée positive est l’injonction la plus pressante du commerce, il importe plus que jamais de savoir se montrer pessimiste.

69. — On ne réfute plus une idée, on ne la discute même pas. C’était bon pour les deux ou trois siècles précédents. Maintenant, on se contente de dire qu’on l’a trop entendue… même si c’est la première fois qu’elle est émise. Ainsi l’accusation de déjà vu suffit-elle à rendre invisible. De la part d’une civilisation qui repose tout entière sur la répétition, le conformisme, la massification, la chose est particulièrement piquante.

70. — Des méduses obèses perfusées à l’Internet et gavées de croustilles et de liqueurs contemplent d’un œil torve un écran ravagé de pubs ou testostéronné au jeu vidéo explosif et viril : c’est ça, les États-Unis. Et c’est l’avenir proche de la planète entière.

71. — Tiens-toi loin des jeunes, leur regard fait vieillir. Évite les vieux, ils n’ont plus de regard.

72. — Le chat n’est pas l’allié de l’homme, c’est son concurrent. Il suffit de voir quelles luttes les opposent dans le contrôle de l’espace domestique et quelles batailles épiques se livrent sourdement pour le moindre coussin, la moindre couverture. Mais le chat gagne toujours. Parce qu’il est capable de squatter jusqu’à son adversaire.

73. — Un complot n’a pas besoin d’être conscient pour être effectif. Il est certaines connivences demeurées, comme il se doit, implicites, qui sont plus efficaces et destructrices que les pires conjurations.

74. — Au train où vont les choses, on traitera bientôt de prétentieux quiconque saura parler une autre langue que le borborygme.

75. — Autrefois, et même naguère, on était fier d’avoir fait quelque chose. Maintenant, on est fier d’être, tout court ; d’ailleurs, de nos jours, être est toujours « tout court », trop court. Mais nous sommes fiers d’être. N’importe quoi : Québécois ou Canadien, cul de jatte, niaiseux, gai, noir, homme ou femme, obèse ou filiforme. Le ridicule « droit » à la vie est aussi un « droit » à la fierté inconditionnelle et sans raison.

76. — Les moralistes reprochent toujours à la prétention de n’être pas à la hauteur de ce qu’elle annonce. Mais la véritable prétention n’est prétention de rien d’autre qu’elle-même. Elle n’est jamais que la morgue du spectacle.

77. — Ce n’est pas parce qu’il existe, c’est vrai, des morts apaisées que la mort n’est pas un scandale.

78. — Quand les Américains parlent de rêve, on entend un bruit de tiroir-caisse. Quand ce sont les Québécois, on entend un moteur de 4×4 qui couvre le cri d’un orignal. Quand les Français s’y mettent, l’oreille est pleine de la plainte d’un légume que l’on extrait d’un minuscule jardin devant une minuscule maison de quasi-banlieue.

79. — Il faut vraiment considérer que les notaires et les comptables sont des intellectuels pour croire que l’intellectuel est froid et sans émotion. En vérité, l’intelligence, quand il en a — et il n’est pas toujours assuré que l’intellectuel en ait une — est son émotion. Comme la forme est celle de l’artiste.

80. — À un certain âge, on change de paradigme, et quiconque était encore, il n’y a guère, un beau ténébreux n’est plus qu’un gros éteint.

 Notice biographique

Écrivain, sémioticien et chercheur, Jean-Pierre Vidal est professeur émérite de l’Université du Québec à Chicoutimi où il a enseigné depuis sa fondation en 1969.  Outre des centaines d’articles dans des revues universitaireschat qui louche maykan alain gagnon francophoniequébécoises et françaises, il a publié deux livres sur Alain Robbe-Grillet, trois recueils de nouvelles (Histoires cruelles et lamentables – 1991, Petites morts et autres contrariétés – 2011, et Le chat qui avait mordu Sigmund Freud – 2013), un essai en 2004 : Le labyrinthe aboli – de quelques Minotaures contemporains ainsi qu’un recueil d’aphorismes,Apophtegmes et rancœurs, aux Éditions numériques du Chat qui louche en 2012.  Jean-Pierre Vidal collabore à diverses revues culturelles et artistiques (SpiraleTangenceXYZEsseEtc,Ciel VariableZone occupée).  En plus de cette Chronique d’humeur bimensuelle, il participe occasionnellement, sous le pseudonyme de Diogène l’ancien, au blogue de Mauvaise herbe.  Depuis 2005, il est conseiller scientifique au Fonds de Recherche du Québec–Société et Culture (F.R.Q.S.C.).

(Une invitation à visiter le jumeau du Chat Qui Louche :https://maykan2.wordpress.com/)