"C'est l'ordre même des choses qui est bouleversé avec le sang bleu et je me surprends à penser qu'il n'aurait pas dû exister dans ce monde".

ATTENTION, CE BILLET CONCERNE LE TROISIEME TOME D'UN CYCLE.DES BILLETS PRESENTS SUR CE BLOG CONCERNENT LES DEUX PREMIERS VOLETS.
Le billet consacré au tome 1.
Le billet consacré au tome 2.
Tout d'abord, mille excuses pour cette longue absence, due à la préparation intensive des Imaginales. Des souvenirs plein la tête et un cachet d'aspirine encore en train de pétiller dans un verre à portée de main, me revoilà pour parler... fantasy. Eh oui, je reprends la lecture en changeant de genre, on en reparlera, mais j'ai pas mal de livres dont j'aimerais vous parler. A commencer par le troisième tome du "Sang des 7 Rois", de Régis Goddyn (en grand format à l'Atalante), car cette série, très originale dans sa forme, avec des épisodes taillés comme les parts d'un gâteau, mérite vraiment l'attention. Un univers très particulier, mais aussi une narration addictive sans pour autant crouler sous les effets et les scènes d'action. Et, comme à la fin des deux premiers tomes, l'envie d'attaquer le suivant.
Bien sûr, Orville reste le personnage central de ce cycle, même s'il est loin d'être le héros omniprésent qu'on retrouve dans bien des séries de fantasy et d'autres genres. Et surtout, alors qu'on s'attendait, après le deuxième tome, à le voir la jouer collectif, c'est une nouvelle fois en solitaire qu'il va avancer vers son destin.
Car, s'il voyage, dans un premier temps, aux côtés des rebelles retrouvés à Arcédia, c'est un autre objectif qu'il vise, désormais : retrouver celui qui pourra l'aider à développer et maîtriser le don incroyable qu'il s'est découvert, mais qu'il comprend mal. Dans ces sept royaumes où il se sait en danger, autant que ceux dont le sang est bleu, il va lui falloir ruser.
Et, sur son chemin, semé d'embûches et de dangers, il lui faudra encore une fois se battre, avec ses armes, même les plus secrètes et effrayantes. Mais aussi régler quelques comptes, resurgis de son passé. Dans un cycle où tout semble tourner autour des liens du sang, de la transmission, de la famille, des ordres, Orville semble chaque jour un peu plus s'isoler et se désolidariser de son environnement naturel.
Peut-être va-t-il pouvoir profiter, dans cette quête, de la pagaille qui semble s'étendre dans les sept royaumes. En effet, la clique de ceux qui composent la Lignée, ces hommes puissants et ambitieux qui souhaitent redonner toute sa grandeur au sang bleu, connaissent quelques difficultés imprévues dans leur marche vers le pouvoir.
La biologie s'en mêle et reproduire le sang bleu, si souvent mélangé au fil des siècles, est loin d'être aussi évident qu'on pouvait le croire. Aux portes du pouvoir politiques, les anciens Gardiens doivent revoir leurs ambitions à la baisse. Mais, malgré tout, ils poursuivent le processus d'épuration entamé et, dans tout l'archipel, on asservit, on traque, on tue, on emprisonne...
Privé de son monarque, Orville, reparti par monts et par vaux, l'île du Goulet poursuit sa mutation en un huitième royaume qui entend bien réclamer une place à part entière aux côtés des sept autres. L'arghot, ressource qui avait valu à l'île d'être colonisée alors que rien ne l'y prédestinait, est désormais épuisé.
Sur les mers, les pirates se réorganisent, après avoir subi les foudres d'Orville. Et l'idée de vengeance, malgré la puissance déployée contre eux, s'est ancrée dans leur esprit. Des ennemis de plus pour l'ancien soldat. Sur une mer intérieure jamais vraiment sûre, où croisent les bateaux des différents royaumes, les bâtiments de guerre escortant souvent les équipages commerciaux, les dangers sont nombreux.
Sur terre, une rébellion s'organise peu à peu. Cette résistance clandestine s'en prend directement aux hommes aux symboles du pouvoir, à commencer par les capitaines-ambassadeurs. Groupuscule hétéroclite mais en plein essor, ces rebelles signent quelques actions d'éclat qui pourraient finir par inquiéter les sommets de la hiérarchie.
Mais, il leur faut encore s'organiser, étayer leurs réseaux, échapper aux traques et, pourquoi pas, réunir d'autres adversaires des membres de la Lignée, dont les aspirations pourraient en faire des alliés. A commencer par l'aspiration à une société où chacun, qu'il ait le sang bleu ou rouge, puisse vivre en harmonie avec ses concitoyens.
Quant à Rosa et Fernest, ils poursuivent leur avancée désespérée dans le désert avec le groupe de résurgents qu'ils escortent. Toujours traqués, ils s'enfoncent de plus en plus profondément dans ce territoire hostile dans lequel ils espèrent pouvoir réussir à piéger leurs poursuivants. Les pouvoirs de Rosa sont salutaires, mais la jeune mage pourra-t-elle sauver ses compagnons sans un coup de main providentiel ?
Enfin, arrive dans le récit un personnage qui est à lui seul les quatre cavaliers de l'Apocalypse et renvoie au rang de simple gamin capricieux le Joffrey Baratheon du "trône de fer". Frêle jeune fille en apparence, Braseline possède un pouvoir dévastateur qu'elle sait parfaitement utiliser. Et son unique motivation est claire : tuer.
Certes, il y a bien des personnages inquiétants ou méchants dans "le sang des 7 rois", mais, en introduisant parmi les protagonistes de son cycle cette demoiselle capable de déchaîner les feux de l'enfer, Régis Goddyn fait monter d'un cran la pression. Encore peu présente dans ce troisième volet, Braseline devrait prendre peu à peu une place plus importante dans les tomes suivants. Et ce n'est pas une bonne nouvelle pour ceux qui se trouveront sur son passage !
Pardonnez ce billet qui ressemble quelque peu à un catalogue, mais c'est ainsi : les trames narratives de ce cycle sont nombreuses et s'entremêlent avec une grande habileté. Bien sûr, cela surprend, cela frustre aussi, parfois, car on aimerait avoir des nouvelles de certains personnages, mais surtout, c'est extrêmement entraînant, même lorsque, à certains moments, on a l'impression qu'il ne se passe rien ou presque.
Tout l'art de Régis Goddyn, c'est d'enchaîner les chapitres nous emmenant aux quatre coins des sept royaumes sans jamais nous perdre, mais en entretenant une flamme et surtout, un grand nombre de questionnements auxquels le lecteur cherche des réponses. Des problématiques qui concernent aussi bien les personnages, individuellement et collectivement, mais aussi les thématiques centrales du récit.
Tenez, prenez ce sang bleu. Dans les deux premiers tomes, aucun doute, la clé de toute cette histoire repose sur cette caractéristique. Mais là, soudain, cette hypothèse prend du plomb dans l'aile. Sang rouge, sang bleu, rien n'est plus aussi évident et les aptitudes extraordinaires que l'on croise chez certain(e)s ne sont manifestement pas liées à la couleur du liquide vital...
Mais, dans ces conditions, qui tient véritablement les rênes ? Là encore, le schéma banalement manichéen que l'on croyait voir se dessiner depuis le début, avec les Gardiens en défenseur de la Lignée et en oppresseurs de tous ceux qui ne correspondent pas à ses critères biologiques, s'avère faux. Les Gardiens eux-mêmes ignorent comment contrôler ce sang qu'ils veulent voir dominer les sept royaumes.
On se retrouve donc au point de départ. Enfin, pas tout à fait. Car, désormais, on y voit un peu plus clair sur un certain nombre de personnages. Et le statut des mages lui aussi gagne en clarté et prend de l'épaisseur. S'il y a bien un point à propos duquel ce troisième tome nous fait faire des progrès, c'est bien celle de cette catégorie de personnages, jusque-là encore floue.
Je ne dis pas qu'on pourrait vous faire un exposé exhaustif de ce qu'est un mage dans l'univers des sept royaumes, mais les éléments que l'on découvre au fil des pages de ce volet sont particulièrement intéressantes et permettent d'imaginer que le pouvoir, qu'on croyait concentré, est en fait bien plus atomisé qu'il n'y paraît...
Et puis, il y a Orville... Antihéros, il trace son sillon, file vers son destin, dont il ne discerne encore que quelques contours encore diffus. Mais, j'ai eu le sentiment aussi qu'il s'isolait de plus en plus. Depuis son départ de Hautterre, la métamorphose est sensible. D'ailleurs, Léo lui-même, son compagnon de longue date, est le premier à le remarquer.
Des changements physiques, mais surtout dans sa personnalité, comme s'il s'était construit une armure imputrescible. Personnage central de ce cycle, Orville n'en est pas moins une véritable énigme. Sur le fil du rasoir, insaisissable, plein de zones d'ombre, il marche pour lui seul. En tout cas, pour l'instant.
Sa détermination est inébranlable, mais quel est son objectif véritable ? Et que fera-t-il si, ou lorsque, il maîtrisera le pouvoir qu'il a éveillé et qu'il utilise encore un peu sans trop comprendre comment ? Là encore, sans m'avancer, je vois une des clés de ce cycle. Pourrait-il basculer d'un côté obscur ? Ce n'est pas à exclure, dans l'état actuel des choses...
Au temps pour ceux qui aiment les héros sans peur, sans reproche et surtout ultra-positifs. Orville, ce n'est rien de tout cela. Il est prêt à tout, pour lui, tous les coups semblent permis et sa rectitude de soldat n'a jamais été aussi forte. Sauf que, tel un ronin, il ne sert plus aucun maître, à part peut-être lui-même. Qui sait ce qu'à cet homme en tête ?
Ce tome 3 pourrait passer pour un épisode de transition, mais, entre ce qui se déroule à Vallade, la capitale du Premier Royaume et la métamorphose d'un Orville de plus en plus énigmatique, il y a de quoi faire. Sans oublier quelques autres éléments que j'ai laissés volontairement dans l'ombre et que l'on verra, sans doute, peut-être, prendre de l'importance dans les prochains tomes.
L'univers mis en place par Régis Goddyn, parti d'un vicomté de montagne, aride et pierreux, n'en finit plus de s'étoffer, de gagner en épaisseur et en variété. De même, la galerie de personnages s'enrichit un peu plus, les enjeux également. Et l'on se dit que la maîtrise de tout cela n'est l'apanage de personne, si ce n'est de son créateur omnipotent.
Que nous réserve Régis Goddyn ? Ou plutôt que réserve-t-il à ces personnages qu'il est difficile pour le moment de cerner complètement. Principaux, secondaires, émergents, tous ont encore des pierres à apporter à un édifice imposant que construit patiemment le romancier et qui commence à avoir très fière allure.